Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du vendredi 4 février 2022 à 15h00
Lutte contre l'exclusion financière et plafonnement des frais bancaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Qui oserait dire que le plafonnement des frais bancaires actuel est satisfaisant ? Personne, à part, peut-être les banques et vous-même, monsieur le secrétaire d'État. Qui peut juger satisfaisants le libre jeu de la concurrence et les engagements des établissements bancaires ? Bien au contraire, les frais n'ont encore cessé d'augmenter cette année, alors que les banques ont engrangé tant de bénéfices pendant la crise.

Dans nos sociétés, l'accès à un compte et à des prestations bancaires de base est un service essentiel. Il doit être garanti à tous de manière équitable, mais aussi à un tarif abordable. Ce n'est pourtant pas le cas : 8 millions de Français, c'est-à-dire la plupart de nos compatriotes, payent tous les mois des commissions bancaires excessives ; parmi eux, 3,8 millions sont en situation de fragilité financière.

L'argument du Gouvernement, encore répété il y a quelques instants, n'est pas satisfaisant : il consiste à dire qu'il est légitime pour les banques de facturer des commissions du montant de leur choix pour les services qu'elles proposent, et qu'un nouveau texte législatif en la matière est par conséquent inutile. Allez l'expliquer aux Français ! Le problème n'est pas l'existence des frais, mais leur juste niveau : il est anormalement élevé, parmi les plus hauts d'Europe. Les sommes facturées par les banques sont totalement décorrélées du coût réel des opérations qu'elles sont supposées compenser – quiconque a déjà regardé son relevé de compte le sait bien.

Pour de trop nombreux établissements bancaires, ces frais sont devenus un vivier de ressources, particulièrement rentable. J'ajouterai que certains de ces frais s'apparentent à des sanctions à l'encontre des plus précaires que l'on veut écarter. Il faut donc avant tout lutter contre les excès et les abus, qui pèsent de plus en plus lourd sur les foyers français.

En France, cette cascade de frais représenterait 6,7 milliards d'euros, selon l'UFC-Que choisir. À ceux qui contestent ce chiffre, je réponds qu'il appartient aux banques de jouer le jeu de la transparence et de publier leurs données.

Face à cette situation, que devons-nous faire ? La majorité nous invite à rester les bras croisés, à laisser faire le libre jeu de la concurrence, à se contenter d'engagements moraux des établissements. J'ai entendu les arguments suivants en commission : ne régulons pas, les banques ont pris des engagements, ne légiférons pas… Tout cela à un moment où les très riches sont de plus en plus riches et où les classes moyennes et les plus pauvres voient passer le train.

Mes chers collègues, je n'ai jamais pensé que la puissance publique devait se mêler à tout, Charles de Courson non plus. Pour autant, j'estime qu'on est face à des abus et des contournements. Il nous faut prendre nos responsabilités, agir et légiférer. Je le pense d'autant plus que je me souviens que, dans cette même assemblée, au début du mois de janvier, lors d'un débat sur le sujet, tous les groupes sans exception avaient reconnu les failles du système actuel des plafonds des frais bancaires. Il existe certes un plafonnement de ces frais défini par la loi, mais il est si incomplet, si flou, si lâche qu'il ne sert pratiquement à rien.

Avec ce texte équilibré et sérieux, nous proposons de protéger durablement et efficacement tous les clients et les publics les plus démunis. Est-ce original ? Sommes-nous le seul pays à vouloir le faire ? Non, de nombreux pays l'ont fait, y compris les États-Unis qui ne sont pas, à ma connaissance, un pays communiste. Depuis la fin de 2021, comme par enchantement les frais bancaires ont commencé à diminuer Outre-Atlantique. Pourquoi ? Cette décision soudaine ne résulte pas d'une volonté spontanée des banques américaines, mais de la détermination de l'administration Biden et de son Bureau de protection des consommateurs en matière financière – en anglais, le Consumer Financial Protection Bureau.

Aux États-Unis, les résultats ne se sont pas fait attendre : les frais pour un chèque émis d'un compte insuffisamment provisionné sont en train d'être divisés par trois dans les banques les moins vertueuses, pour passer de 35 à 10 dollars. Je rappelle qu'en France, le plafond est compris entre 30 et 50 euros selon le montant du chèque. Cherchez l'erreur ! Et c'est sans compter les banques qui en rajoutent en facturant encore l'envoi d'une lettre d'information et les agios. Ce décalage démontre clairement les abus.

Il ne tient qu'à nous de nous doter d'une législation enfin ambitieuse et protectrice. Je ne reviendrai évidemment pas sur le détail des dispositions qui ont été parfaitement présentées par Charles de Courson que je remercie pour son engagement. J'insisterai toutefois sur les grandes avancées que nous défendons.

Tout d'abord, cette loi permettra une généralisation et un renforcement du plafonnement des frais bancaires, de tous les frais bancaires sans exception. Il ne sera donc plus possible aux banques d'échapper à ces limites en inventant de nouvelles appellations – il y a plus de 500 appellations en France. Nous proposons de diviser par deux tous les frais pour l'ensemble des clients et par quatre pour les clients fragiles. Nous clarifions la classification des clients en situation de fragilité financière parce que, vous le savez sans doute, si la catégorie des clients en situation de fragilité financière existe, elle est soumise à la libre appréciation des banques. Des catégories identiques sont donc reconnues fragiles par certains établissements et non par d'autres. On demande finalement aux banques d'appliquer une loi avec tellement de trous dans la raquette que tout le monde passe à travers ces dispositifs. Ce n'est pas acceptable. Il faut, bien entendu, imposer les mêmes critères à ceux qui bénéficient des tarifs adaptés. C'est le bon sens, et c'est ce que nous voulons faire. Ainsi, avec les limites que nous posons nous faisons en sorte que les banques ne puissent pas se rattraper sur d'autres frais.

Le groupe Libertés et territoires a également déposé des amendements à l'issue des auditions menées par notre rapporteur et de l'examen en commission des finances afin de muscler notre arsenal de lutte contre les frais bancaires. Je pense, en particulier, aux frais de succession, qu'on appelle parfois « les commissions de la mort ». Certaines banques vont jusqu'à prélever 300 euros par héritage. Là encore, c'est bien plus que chez nos voisins européens. Les frais sont en moyenne de 80 euros en Espagne, et de 107 euros en Belgique. Nous voulons donc instaurer un plafond pour revenir à une moyenne européenne.

Enfin, nous proposons d'améliorer la procédure du droit au compte. Alors que tout le monde a le droit d'ouvrir un compte en trois jours, comme le prévoit la loi, cette procédure prend actuellement deux semaines. Selon la Cour des comptes, ces lenteurs seraient liées aux obligations légales qui pèsent sur les banques. Or les discussions avec la direction du Trésor et la Banque de France n'ont toujours pas permis d'aboutir à une solution. Nous proposons donc un dispositif équilibré pour assurer l'effectivité de ce droit pour tous les Français.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris le groupe Libertés et territoires vous propose d'agir concrètement. Voter contre ce texte, ce serait affirmer que tout va bien ; voter pour, c'est rendre à nos concitoyens plusieurs milliards d'euros indûment prélevés. Au moment où la question de l'inflation et du pouvoir d'achat des Français se pose avec gravité, nous avons le pouvoir de faire œuvre de justice. N'ayons pas peur de réguler les activités bancaires !

Savez-vous, monsieur le secrétaire d'État, qui a dit que tout banquier devrait être placé en liberté surveillée ? C'est un ancien président de la République, le très modéré Raymond Poincaré, président du Conseil pendant la crise de 1928, né à Bar-le-Duc et décédé dans le département de la Meuse. Quelque quatre-vingt-dix ans plus tard, il serait bon que l'on commence à s'en souvenir. Nous ne défendons pas le même capitalisme, nous ne défendons pas celui du laisser-faire et du laisser-aller dans toutes les circonstances. Nous croyons en l'économie de marché, mais en une économie régulée lorsqu'il y a des abus, et il y en a toujours, des abus de concurrence, des abus de position dominante ou du gain sans limite.

J'espère que cette proposition de loi suscitera un vrai débat. En tout cas, j'observe avec beaucoup de satisfaction que ce débat était déjà engagé, notamment grâce aux médias et à notre action. Je formule le vœu que nous avancions sur cette question importante pour tous les Français.

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