En introduction, je tiens à féliciter le rapporteur pour la qualité de sa proposition de loi et la méthode de travail utilisée, associant tous les acteurs. Il nous faut aller vers la meilleure protection de l'intérêt général, et cela passe par la protection de l'engagement risqué de nos concitoyens. Nous en sommes encore loin, si l'on regarde le sort des lanceurs d'alerte de par le monde – comment ne pas penser aux actions vaines engagées pour que l'asile politique soit accordé à Julian Assange ? La position du Sénat au début des travaux de la CMP était inacceptable. Ses dispositions exprimaient un recul par rapport au droit existant en France, en particulier la loi Sapin 2, et étaient donc illégales au regard de la clause de non-régression que comporte la directive.
Je développerai deux points en particulier. Le premier est que la proposition de loi a réussi le difficile équilibre consistant, d'une part, à conserver le champ large de la loi Sapin 2 de 2016 et à transposer les avancées de la directive européenne et, d'autre part, à protéger les lanceurs d'alerte en sauvegardant les secrets protégés et les intérêts des personnes mises en cause.
L'avancée majeure que comporte ce texte réside dans la suppression de la hiérarchie des canaux de signalement – internes, externes, puis divulgation publique –, la possibilité étant désormais offerte de saisir directement le canal externe, c'est-à-dire la justice, le Défenseur des droits, les ordres professionnels ou les autorités administratives. Sur la divulgation publique, qui sera permise en dernier recours si aucune réponse n'a été apportée par le canal externe, nous attendons que le décret précise un délai aussi bref que possible et, en toute hypothèse, inférieur à six mois.
Nous saluons, en premier lieu, le retour à une définition plus englobante, et donc protectrice, des lanceurs d'alerte ; en deuxième lieu, la protection des facilitateurs, personnes morales ayant aidé les lanceurs d'alerte ; enfin, la solution trouvée consistant en une prise en charge des frais de justice pour la défense du lanceur d'alerte, financée par une provision à la charge de l'attaquant et prononcée par le juge – c'est, nous semble-t-il, un élément important.
Mon deuxième point porte sur le travail de protection des lanceurs d'alerte, qui est loin d'être achevé. Nous savons tous le prix à payer pour ceux qui osent dire la vérité dans l'intérêt général. Une amélioration de leur protection passera par plus de soutien psychologique et financier, avec la création d'un fonds ad hoc. Nous savons que l'article 9 est quasi inopérant et que les autorités externes compétentes sont incapables de mettre en place un tel dispositif.
La marche que nous devrons franchir consistera à permettre au lanceur d'alerte de disparaître au profit d'une personne morale, qui peut avoir cette vocation de lutter contre la corruption ou de défendre l'intérêt général, et qui dispose souvent des ressources nécessaires et reste moins exposée que le lanceur d'alerte.
Enfin, il nous faut favoriser le déploiement des canaux internes, notamment dans les administrations, car ils sont quasi absents dans le service public. Cela participe de la culture déontologique dont nous voulons la diffusion. Nous pouvons regretter l'analyse selon laquelle le recours libre à un canal externe incitera les administrations ou les entreprises publiques à se doter d'un réseau interne. Ce seul pari sur l'incitation traduit peut-être un manque d'affirmation politique de la lutte contre la corruption et l'atteinte à l'intérêt général. Le service public, dans son acception la plus large, doit refléter par ses engagements cette recherche d'exigence et d'exemplarité, à laquelle nous tenons.
Enfin, si la loi organique prévoit la création d'un adjoint permettant l'accompagnement des lanceurs d'alerte, ce à quoi nous sommes tout à fait favorables, encore faut-il que les moyens financiers soient au rendez-vous de ce nouveau droit.
En conclusion, les lanceurs d'alerte ne sont pas l'alpha et l'oméga de l'État de droit, mais l'une de ses composantes. L'alerte ne se substitue pas aux dispositifs de contrôle adaptés qui doivent être mis en place par la puissance publique. Les dernières révélations sur la gestion dramatique de certains EPHAD poursuivent l'objectif de l'intérêt général et, si l'État répond en diligentant des enquêtes, il ne remplit pas pour autant son office s'il ne met pas en place un dispositif de contrôle susceptible de prévenir les graves manquements dénoncés.
La protection des lanceurs d'alerte s'inscrit dans le développement vertueux d'une culture déontologique dont nous devons tous, à tous niveaux, nous emparer. Sans surprise, le groupe Socialistes et apparentés votera ce texte. Nous ne redoutons pas, vous le voyez, de soutenir les textes positifs de notre assemblée, et c'est sans hésitation que nous le ferons ici.