Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mercredi 16 février 2022 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

S'agissant du manque de coordination, je tiens à évoquer en priorité les travaux réalisés par les chambres régionales et territoriales des comptes sur vos territoires, mesdames et messieurs les députés, qui mettent en lumière l'articulation parfois difficile des interventions des acteurs publics nationaux et locaux. Le chapitre dédié aux interventions économiques des collectivités locales d'Occitanie reflète la nécessité de mieux encadrer les dispositifs de soutien, en évitant un éparpillement des moyens qui peut être préjudiciable à leur efficacité. Ainsi, bien que l'État ait créé un fonds de solidarité national pour éviter la multiplication désordonnée des régimes d'aides allouées par les collectivités locales aux entreprises sur leur territoire, l'effort de rationalisation est resté, il faut le dire, quasiment lettre morte. Chaque niveau de collectivité a développé son propre mécanisme de soutien, parfois au prix d'une stratégie de contournement des règles définissant ses compétences. Le chapitre relatif au contrôle des délégations de service public dans les Hauts-de-France souligne, quant à lui, que, faute d'une stratégie claire pour répondre aux impératifs de continuité et d'adaptation du service public, les autorités délégantes ont trop souvent accédé sans réelle discussion aux demandes des entreprises délégataires, en dépit de la chute des activités déléguées et de la baisse de la qualité de service aux usagers.

Enfin, nous déplorons que les aides accordées n'aient généralement pas été assorties de précautions suffisantes pour éviter certains effets d'aubaine et limiter les risques de fraude. Le suivi des mesures fiscales exceptionnelles, dont j'ai souligné toute la pertinence, était difficile en raison des rigidités liées au système d'information de l'administration fiscale. De même, une attention doit être prêtée au suivi des PGE. Il est difficile, à ce stade, d'en prédire le coût total pour l'État, puisqu'il dépend du taux de défaut des bénéficiaires, estimé actuellement à 4 %, soit un coût net pour l'État inférieur à 3 milliards d'euros ; néanmoins, il faut en assurer le contrôle. De manière plus sectorielle, nous identifions des limites similaires pour les aides de l'État en faveur du mouvement sportif. Les moyens dédiés aux contrôles ont été quasi inexistants et le déploiement des aides s'est fait dans une grande confusion entre les mesures d'urgence et les mesures de relance. Il faut clarifier et développer, dans les fédérations comme à l'Agence nationale du sport (ANS) et à la direction des sports, une véritable fonction de contrôle de gestion et d'audit.

L'État a donc agi avec volontarisme pendant la crise – parfois avec brio, parfois moins bien ; il n'est pas question de dénigrer ici ses actions, mais de tirer des leçons de la crise et, comme Churchill, de se dire qu'il ne faut jamais gaspiller une bonne crise.

Le troisième et dernier enseignement que je veux tirer de ce rapport public annuel 2022 est que les faiblesses structurelles de notre système productif et de notre modèle social et de transition écologique ont été accentuées pendant la crise sanitaire. La pandémie a d'abord rappelé que nous étions individuellement et collectivement vulnérables. La première de ces vulnérabilités, c'est bien évidemment la production de produits de santé. La hausse brutale de la demande, en particulier concernant les médicaments ou les masques de protection sanitaire, a mis à mal le fonctionnement de nos chaînes d'approvisionnement. Le chapitre du rapport public annuel relatif à l'approvisionnement en produits de santé démontre que les pénuries auxquelles nous avons été confrontés exposent au grand jour notre dépendance – désormais bien documentée – à l'égard de certains produits importés venant de pays comme la Chine et l'Inde. La deuxième vulnérabilité dont je souhaiterais parler a trait au secteur alimentaire. Nous avons évité les ruptures d'approvisionnement, mais le rapport met aussi en évidence le développement insuffisant des circuits de proximité.

Ensuite, la crise sanitaire a éprouvé notre modèle social. Il a résisté, il a su protéger nos concitoyens, mais il doit être consolidé. J'ai une pensée particulière, comme vous, pour les 600 000 résidents des EHPAD qui figurent parmi les personnes ayant le plus souffert de la crise, d'abord parce qu'entre mars 2020 et mars 2021, la pandémie a provoqué près de 34 000 décès parmi eux, soit 36 % des décès constatés en France du fait du covid-19. L'important chapitre portant sur la gestion de la crise dans les EPHAD met en exergue les difficultés structurelles que connaissent ces établissements : médicalisation insuffisante, locaux vétustes, taux d'encadrement trop faible. C'est le modèle EHPAD lui-même qui, me semble-t-il, doit être repensé. Je remettrai d'ailleurs prochainement à votre assemblée un rapport spécifique sur ce sujet, dans lequel je formulerai des propositions d'élargissement des compétences des juridictions financières pour mieux contrôler ce secteur d'activité.

Enfin, je souhaite évoquer un sujet d'une très grande importance, celui de la transition écologique. Nous avons choisi d'illustrer les répercussions du changement climatique à travers la situation des stations de moyenne montagne des Pyrénées-Atlantiques. Derrière l'apparence bucolique, voire anecdotique, du sujet se cache la nécessité de renouveler un modèle économique insoutenable en raison des réalités environnementales actuelles et futures. Dans vingt à trente ans, seule une station pyrénéenne devrait encore bénéficier d'un niveau acceptable d'enneigement naturel. Comment, dès lors, penser la montagne de demain ? La question est importante.

Le besoin de résilience est également illustré par les risques pesant sur la disponibilité de l'énergie nucléaire. La situation nous incite – voire nous contraint – à analyser les transitions écologique et énergétique comme les deux faces d'une même pièce. En raison de son caractère décarboné, le nucléaire est essentiel pour atteindre les objectifs de neutralité que la France s'est fixés.

Le rapport public annuel 2022 illustre la diversité des sujets traités par les juridictions financières, mais aussi leur capacité à être en phase avec les réalités du terrain. Les thèmes que nous avons choisis manifestent tous une conviction : quand il s'agit de la crise sanitaire et des préoccupations des Françaises et des Français, il n'y a pas de petit sujet. Le rapport dresse, je crois, un tableau objectif de la France en sortie de crise, avec des réussites et des faiblesses ; des défis à relever ; des atouts et des lacunes.

Je veux être optimiste, avec l'optimisme de la volonté, mais aussi celui de la rationalité. Nous espérons tous que l'année 2022 sera celle de la fin de la crise du covid-19. Elle sera sans doute au moins celle de sa banalisation, et de la transformation de la pandémie en épidémie. Cela ne doit pas nous faire céder à la morosité, au contraire. Une nouvelle fois, nous devons nous adapter – c'est la nature de l'homme que d'affronter le changement, les difficultés. Je ferai miens les mots de Jean Jaurès – sans nostalgie, croyez-le : « Il ne faut avoir aucun regret pour le passé, aucun remords pour le présent, et une confiance inébranlable pour l'avenir. » Nous devons simplement prendre conscience des obstacles du présent, de manière collective et solidaire. En un mot, nous devons faire advenir l'avenir, en cette année 2022, dont les enjeux sont très forts. À nous de répondre à l'appel de nos concitoyens et des décideurs pour éclairer leur choix.

J'aurai plaisir à vous revoir tout au long de l'année, en espérant que nos échanges et notre coopération resteront aussi riches. Vous pourrez en tout cas toujours compter sur la Cour des comptes, dont j'affirme à nouveau l'indépendance. Elle se tient à équidistance de l'exécutif et du Parlement, avec une seule boussole : informer le citoyen pour être utile au pays.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.