Le rapport public annuel, qui est produit chaque année depuis maintenant cent quatre-vingt-dix ans, est certainement la publication de la Cour des comptes la plus connue de nos concitoyens, mais également la plus redoutée – au bon sens du terme – des administrations, institutions et organismes que les juridictions financières ont la charge de contrôler. Son succès résulte de la volonté constante des magistrats financiers d'adapter son contenu aux attentes des pouvoirs publics et des citoyens.
Contrairement à ce que j'ai entendu tout à l'heure lors des rappels au règlement, l'enjeu de ce rendez-vous annuel n'est en aucun cas de se montrer ou non complaisant vis-à-vis du Gouvernement, mais de prendre connaissance des travaux de la Cour et de les commenter. Le rapport n'a lui-même rien de complaisant – et vous verrez que mon propos ne le sera pas non plus –, mais est, au contraire, tout à fait utile et nécessaire.
Dans la perspective de la réforme des juridictions financières à l'horizon 2025, l'exercice est aujourd'hui renouvelé. Vous avez, monsieur le premier président, fait le choix de mettre l'accent sur un grand enjeu de l'action publique : les enseignements à tirer de la crise sanitaire et de ses conséquences budgétaires, économiques, financières et sociales. L'idée est, en traitant d'un seul enjeu, de gagner en cohérence tout en préservant la diversité et l'exhaustivité de vos observations. Vous avez aussi fait le choix de vous concentrer sur un évènement majeur pour mieux mettre en lumière des réalités plus structurelles et plus anciennes propres à l'action publique. À la lecture de votre rapport, je constate que le pari est réussi et je vous en félicite. Vous passez les politiques publiques au révélateur de la crise sanitaire et le tableau que vous dressez permet de remonter jusqu'aux racines des problématiques évoquées.
Je souhaite revenir sur les principales lignes de force de votre rapport et de ce qu'il dit de l'État, de l'organisation collective et de la qualité des politiques publiques. Disons-le d'emblée, la Cour des comptes assume pleinement son rôle ! Votre diagnostic n'est pas empreint de complaisance ou de satisfaction facile. Il a plutôt une tonalité équilibrée et interrogative. Il contient nombre d'enseignements utiles, sinon cruciaux, à quelques semaines d'échéances électorales nationales.
Face à la pandémie, au-delà des mesures sanitaires elles-mêmes, notre pays a instauré des politiques d'urgence dans tous les domaines où cela était nécessaire. Cela a constitué au cours des deux dernières années, l'essentiel de nos travaux, ici et en commission des finances : l'instauration du « quoi qu'il en coûte », le fonds de solidarité, les prêts garantis par l'État, la mise en place de l'activité partielle, la réduction ou l'annulation de charges sociales. Bref, nous avons pris des mesures d'urgence, financées par une mission budgétaire ad hoc, la mission "Urgence face à la crise" , qui ont permis à notre pays de résister plutôt mieux que les autres et plutôt mieux que lors des crises précédentes. La France a ainsi, sans délai, mené une politique sociale puissante, avec des outils adéquats, la mobilisation de moyens financiers à la hauteur des enjeux et une administration – vous l'avez dit, monsieur le premier président – qui a su réagir avec agilité et réactivité face au bouleversement brutal de ses missions et de ses objectifs.
Ce satisfecit – entre guillemets – reste bien sûr d'actualité, mais le mérite de votre rapport est d'aller beaucoup plus loin dans l'analyse. Vous montrez que les politiques publiques souffrent parfois, dans leur conduite, d'une connaissance défaillante des publics qu'elles visent. Alors que le premier confinement a entraîné la fermeture des universités et des restaurants universitaires, empêchant les étudiants de travailler, vous constatez que les politiques publiques lancées pour soutenir ces derniers ont été d'une ampleur insuffisante au regard de leur précarité.
Certes, nous avons, dès 2020, proposé des aides directes d'urgence aux étudiants boursiers, institué les repas à 1 euro et appliqué, sur le terrain, des dispositifs importants en faveur de la santé psychique des étudiants. Mais il convient de le constater avec lucidité : on n'en a « pas assez » fait, ou alors « trop tard », ou « dans trop peu d'endroits ». Vous en concluez, avec raison, que faute d'avoir une connaissance fine des besoins de la population étudiante et de disposer de « données fiables sur la notion de précarité étudiante, les pouvoirs publics n'étaient pas préparés à faire face à une crise majeure ». C'est là un enseignement primordial du rapport public annuel, qui doit nous conduire à nous interroger sur la façon de mieux piloter l'action publique à l'avenir.
Vous relevez par ailleurs à juste titre que de bons résultats sont parfois obtenus au prix d'un surdimensionnement des politiques publiques. De fait, si on ne connaît pas précisément les publics visés, on est condamné, pour atteindre son but, à recourir à des moyens mal calibrés et mal proportionnés. Il en va de même lorsque le contrôle est insuffisant. Nous avons cette préoccupation en commun : bien dimensionner la dépense publique afin d'en accroître l'efficience.
Vous prenez pour exemple le plan « 1 jeune, 1 solution ». Je crois que nous pouvons tous nous réjouir de ce que le chômage a reculé fortement depuis cinq ans, particulièrement chez les jeunes. À cet égard, la révolution quantitative et culturelle accomplie pendant le quinquennat en matière d'apprentissage est un acquis crucial pour le pays, qu'il nous faudra consolider. Vous invitez néanmoins – et vous avez raison – à évaluer ces résultats à l'aune des moyens appliqués, notamment pendant la crise sanitaire. Vous en appelez, là comme ailleurs, à la clarté et au ciblage des dispositifs, compte tenu de la complexité des acteurs et de l'extrême diversité de l'accès à l'emploi selon les territoires. Au total, vous faites le constat que la maille de l'action publique – notamment en période d'urgence, mais pas uniquement – n'était pas assez fine pour être pleinement efficace.
Vous soulignez par ailleurs que si les administrations et les agents publics ont su relever le défi, souvent au pied levé, la puissance publique était dans son ensemble mal préparée en mars 2020 pour affronter la crise sanitaire. Vous l'aviez déjà mis en évidence au printemps dernier, dans votre rapport sur les juridictions judiciaires remis à la commission des finances en application du 2
Avec l'examen de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, ainsi que des administrations fiscales et douanières, vous mettez à nouveau en lumière la capacité de ces services à s'adapter aux circonstances. Les agents publics ont été très réactifs, mais vous déplorez, dans certaines administrations, la faiblesse des secrétariats généraux des ministères chargés de préparer les plans d'action en cas de crise – des sortes de stress tests administratifs – et le retard pris dans la dématérialisation de l'action publique.
Par ailleurs, vous analysez l'action de certaines collectivités territoriales face à la crise. Pendant ces deux années, j'en ai beaucoup parlé avec les rapporteurs spéciaux de la commission des finances sur la mission "Relations avec les collectivités territoriales," Christophe Jerretie et Jean-René Cazeneuve – ce dernier étant également président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation : nous savons tous qu'elles ont apporté un soutien essentiel pour la population. Le bloc communal, les départements et les régions ont tous été très utiles et ont mené une action complémentaire de celle de l'État. Il n'en reste pas moins – c'est ce que vos travaux conduisent à constater – qu'une bonne action publique n'est pas la somme des bonnes volontés de chaque niveau d'administration. Vous avez parfaitement raison : il importe que chacun respecte les compétences des autres. L'efficacité et la clarté de l'action publique locale en dépendent.
Vous comprendrez que j'évoque vos analyses relatives aux transports collectifs en Île-de-France. Je parlais de l'importance d'accorder les bonnes volontés locales ; s'agissant de la gestion à court terme de la baisse des recettes tarifaires, il s'agit plutôt de mauvaise volonté régionale. Vous soulignez à juste titre que face à la curieuse politique de la caisse vide menée par la région Île-de-France, « la crise sanitaire fait apparaître l'État comme l'assureur en dernier ressort pour la quasi-totalité des pertes subies par le système des transports collectifs en Île-de-France, dont la gestion est pourtant décentralisée et le financement de l'exploitation censé reposer sur des ressources exclusivement franciliennes. »
On ne peut pas évoquer votre rapport public annuel sans considérer la situation d'ensemble des finances publiques. Lors des deux années précédentes, vous nous avez souvent fait part de vos observations à ce sujet. En matière de déficit et d'endettement, la situation est plus dégradée que celle de la plupart de nos voisins européens, même si nous sommes parvenus à obtenir en 2021 des résultats meilleurs que ceux attendus. Vous savez, chers collègues, que nous nous sommes gardés de tout triomphalisme, quand nous les avons découverts : ce sont de bonnes nouvelles,…