Nous sommes bien évidemment opposés à ce texte. Vous connaissez notre position, puisque nous avons déjà défendu, en commission, un amendement tendant à supprimer l'article unique de la proposition de loi. Revenons tout d'abord sur le contexte et sur la séquence politique dans laquelle nous sommes, depuis cinq ans, en matière de surveillance et de censure sur les réseaux sociaux. Le bilan du quinquennat, c'est un effet de cliquet, avec davantage de contrôle, de censure et d'algorithmes, mais sans aucun texte garantissant davantage de liberté en contrepartie, ou donnant plus de moyens aux différents opérateurs publics – notamment à la CNIL – en mesure de contrôler l'absence de dérives en la matière.
À cet égard, le groupe FI a combattu la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, autorisant le transfert de compétences de l'autorité judiciaire – un juge indépendant prenant des décisions dans le respect de la séparation des pouvoirs et des libertés fondamentales – au préfet, en matière administrative. Ensuite, la loi de programmation militaire 2019-2025 a autorisé l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), sous couvert d'une protection contre les cyberattaques, à poser des sondes sur les réseaux, pour les analyser. Le bilan est mitigé, au vu de la dernière attaque subie par le ministère de la justice. Vous en conviendrez, les faits parlent d'eux-mêmes et il existe sans doute des marges de progression…
La loi asile et immigration, défendue par Gérard Collomb, a également consisté à développer le fichage des personnes migrantes, dans le cadre de Frontex, l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, et des dispositions afférentes. Ainsi, les migrants – susceptibles d'être renvoyés dans leur pays d'origine – sont désormais fichés sur le lieu de la première demande d'asile. Il en va de même pour les mineurs non accompagnés.
D'autres lois ont eu le même objectif. Ainsi, la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, dite loi fake news, qui vise à contrôler davantage ce qui se passe sur les réseaux sociaux, est d'une efficacité fort discutable puisqu'elle est circonscrite aux périodes électorales : la justice ne dispose pas de suffisamment de moyens pour donner suite aux différentes demandes.
La directive européenne sur le droit d'auteur, dite directive copyright, dont le président Macron s'est félicité, a considérablement augmenté le traitement algorithmique du contenu en ligne. Si vous postez des vidéos sur un certain nombre de réseaux sociaux, il vous sera signifié que leur contenu est protégé au titre du droit d'auteur et que vous ne pouvez pas le diffuser, au mépris des dispositions juridiques autorisant à citer des contenus déjà existants, par exemple dans le cadre d'un reportage ou d'une critique. La réalité, c'est une dérive et une guerre avec les plateformes, lesquelles ne vous répondent pas lorsqu'elles censurent votre contenu.
Ainsi, notre collègue Bastien Lachaud a posté une vidéo sur les réseaux sociaux – sur la plateforme YouTube –, dans laquelle il s'opposait à l'un des textes relatifs à la crise sanitaire : il a été censuré au motif qu'il propageait de fausses informations. Le secrétaire d'État chargé de la transition numérique est intervenu directement, mais chacun, on l'aura compris, ne peut faire intervenir un membre du Gouvernement en pareil cas. Ce sont donc la liberté d'expression et les libertés fondamentales qui sont en cause : elles ne sont évidemment pas l'apanage des députés, mais de tous les citoyens.
Je pourrais continuer longtemps ainsi. Le décret autorisant la création d'un moyen d'identification électronique, ou décret ALICEM – authentification en ligne certifiée sur mobile –, crée une identité numérique fondée sur un système de reconnaissance faciale, et ce contre l'avis de la CNIL, qui s'était en effet opposée à une telle obligation pour l'identité numérique.
Avec la plateforme Health Data Hub, qui centralise les données médicales, on bat tous les records puisqu'il s'agit d'héberger ces données sur des serveurs de Microsoft. Il faudrait être un peu naïf pour croire que le système est complètement étanche et qu'il empêche les uns ou les autres d'y puiser des informations. Je vous signale au passage que les données de santé sont les informations qui font l'objet du plus grand nombre d'attaques par les pirates car elles se monnayent très cher, notamment sur le marché noir – ou moins noir. Bien entendu, les assureurs et d'autres prestataires privés en sont très friands.
La loi de finances pour 2020 autorise Bercy à se servir d'informations publiées sur les réseaux sociaux, prétendument pour traquer les fraudeurs fiscaux. C'est évident, les propriétaires de yacht, pour être bien visibles, publient des photos de leur bateau sur leur page Facebook ouverte au public ! Nul besoin de consulter la page Facebook des propriétaires de gros yacht pour savoir qu'ils en ont un. La réalité, c'est que les données collectées auprès de tout un chacun sont conservées pendant trente jours ; et l'on devrait croire sur parole que les opinions, notamment politiques et syndicales, sont filtrées dans cette collecte ? Si la loi prévoit quelques garanties on constate que le système, tel qu'il est concrètement appliqué, ne tient pas debout : lorsqu'on utilise un filet aussi grand pour capter des informations, on finit par contrevenir aux principes fondamentaux, notamment au droit au respect de la vie privée.
Vous avez également instauré des dispositifs pour améliorer la surveillance lors des Jeux olympiques de Paris, en lien avec des mesures prévues dans d'autres lois. La loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet a été censurée presque intégralement par le Conseil constitutionnel. Tant mieux, c'est normal. Je ne sais si nous aboutirons au même résultat une fois les nouveaux membres nommés ; nous discuterons de ce point en commission des lois la semaine prochaine.
Alors que la loi pour une sécurité globale préservant les libertés a été censurée par le Conseil constitutionnel, vous êtes revenus à la charge dernièrement avec la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. L'objectif est d'installer des caméras dans tout l'espace public – il y en avait déjà dans les transports en commun – et de les interconnecter entre elles, notamment avec les caméras-piétons portées par les agents assermentés. Elles permettent d'envoyer des images aux centres de commandement en temps réel, en vue d'éventuels traitements algorithmiques. Pour l'heure, il n'est question ni de reconnaissance faciale, ni de croisement de fichiers, encore que : nous avons saisi le Conseil constitutionnel pour l'obliger à se prononcer sur ces dispositions et vous empêcher de faire n'importe quoi, comme ce fut le cas avec la loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, aux termes de laquelle nous pouvons tous être filmés par des drones. Aussi je vous invite, chers collègues, à sourire en permanence : vous êtes filmés, donc, à tout le moins, souriez, ne faites pas la tête. Telle est la société dans laquelle nous vivons.
La proposition de loi, petit texte discuté en toute fin de législature, vise à imposer aux plateformes le retrait des contenus à caractère terroriste dans un délai inférieur à une heure. Cette mesure part d'un très bon sentiment ; personne, dans l'hémicycle, n'est favorable au terrorisme ni ne souhaite encourager les terroristes – enfin je l'espère. La question n'est donc pas là. En revanche, nous pouvons nous demander si le dispositif est efficace et si le droit en vigueur permettait d'en prévoir un autre. Or le texte contient un gros indice.
Madame la rapporteure, vous avez balayé notre argument d'un revers de la main…