Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 16 février 2022 à 15h00
Prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La proposition de loi décline le règlement européen du 29 avril 2021 visant à lutter contre les propos illicites de nature terroriste, qui appellent au recours à la violence, notamment physique, ou au meurtre. En décembre 2020, le Parlement européen et le Conseil sont parvenus à un accord final sur un règlement imposant, dans l'Union, le retrait dans un délai maximal d'une heure des contenus à caractère terroriste ayant été signalés. Aux termes du règlement, « vu l'ampleur du problème et la rapidité nécessaire pour identifier et retirer efficacement les contenus à caractère terroriste, l'adoption de mesures spécifiques efficaces et proportionnées constitue un élément essentiel de la lutte contre les contenus à caractère terroriste en ligne ». Les réseaux sociaux sont en effet considérés aujourd'hui comme un outil privilégié de propagande et de recrutement par les réseaux terroristes. Avec ce règlement devrait être garanti que ce qui est illégal hors ligne l'est aussi en ligne.

S'agissant des plateformes et des hébergeurs, il leur est demandé d'agir à temps et de faire preuve de suffisamment de transparence quant aux mesures mises en place, sous peine de s'exposer à des sanctions décidées par les États membres ayant demandé le retrait d'un contenu terroriste. Dans une perspective d'internationalisation de la lutte, des ordres transfrontaliers de retrait des contenus doivent aussi pouvoir être effectués. Le règlement ne prévoit pas d'obligation de surveillance générale à la charge des plateformes ni de recours à des filtres automatisés. Mais, nous y reviendrons, il ne l'encadre pas non plus, ce qui soulève une question.

A priori, les contenus à caractère éducatif, journalistique et artistique sont exclus du texte. Celui-ci tend à donner compétence à l'ARCOM d'émettre des injonctions et de décider de sanctions administratives et pénales. À ce sujet, notre groupe souhaite partager avec vous, chers collègues, trois observations ; plusieurs sont nées de la discussion que nous avons eue en commission la semaine passée.

Sur le fond, l'autorité administrative en charge du respect de la législation pourra décider des mises en demeure et injonctions préalables ainsi que des éventuelles sanctions à l'égard des contrevenants. Il y a donc une analogie avec la proposition de loi censurée en 2020 par le Conseil constitutionnel : ce texte, qui visait à lutter contre les contenus illicites en ligne – pédopornographiques ou terroristes – donnait compétence à une seule administration pour apprécier le caractère manifestement illicite des contenus ainsi que pour en demander le retrait dans l'heure, sans réelle possibilité de recours suspensif.

Avec le texte dont nous débattons aujourd'hui, la commission des lois a élaboré une forme de gradation des mesures de prévention en établissant un schéma de mises en garde successives – avec une mise en demeure préalable à toute sanction – et en liant la gravité de la sanction à la gravité des manquements et à leur caractère répété. Ce texte diffère de la précédente proposition de loi, notamment en ce que les sanctions prises à l'égard des hébergeurs tiennent compte du caractère répété de l'infraction, et en ce que la décision finale peut faire l'objet d'un recours.

Il reste que cette proposition de loi recèle une difficulté et un risque, car il est fort probable que les plateformes et hébergeurs auront le souci de se prévenir de tout contenu qui leur paraîtrait terroriste, en utilisant des algorithmes. Le groupe Socialistes et apparentés entend donc, par voie d'amendement, donner compétence à la CNIL – elle aussi autorité administrative indépendante – pour contrôler le paramétrage et la mise en œuvre des algorithmes utilisés par les fournisseurs d'accès aux fins de supprimer automatiquement les contenus dont le non-retrait est susceptible de donner lieu au prononcé des sanctions prévues par le présent texte. Nous espérons que la majorité de nos collègues se rallieront à cette mesure visant à prévenir une censure automatisée, sans conscience ni appréciation proportionnée et circonstanciée.

Sur la forme, nous regrettons que notre assemblée n'ait pu disposer d'aucune évaluation ni comparaison avec les dispositions prises par d'autres pays de l'Union européenne, lesquelles auraient pu contribuer à notre réflexion et à une possible harmonisation de la réglementation applicable. Par ailleurs, le texte est examiné selon la procédure accélérée alors que la procédure ordinaire reste, aux termes de la Constitution, la norme. On l'a vu, le temps de la discussion est pourtant utile : il permet d'améliorer les projets et propositions dont nous discutons. Pour ces raisons, nous nous abstiendrons.

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