Mme la présidente de la commission peut en témoigner, au cours de cette législature, nous avons très souvent eu l'occasion d'évoquer la place de plus en plus importante des nouvelles technologies, y compris une terrible dérive contre laquelle nous devons absolument lutter : la prolifération sur internet des contenus à caractère terroriste. Il faut garder en tête que les attaques perpétrées ces dernières années sur notre sol trouvent fréquemment leur origine dans une intense propagande numérique, laquelle va jusqu'à faire passer pour idyllique la vie dans certaines zones de guerre au Moyen-Orient et à comparer les environs de Raqqa aux Caraïbes : les discours des prédicateurs ne créent finalement que des illusions destinées à déstabiliser des jeunes en quête de sens.
Tout comme les autres membres de mon groupe, je me félicite donc que nous examinions aujourd'hui cette proposition de loi qui encadre le règlement européen permettant de retirer de la Toile les contenus à caractère terroriste dans un délai d'une heure. Il convient d'ailleurs de saluer l'initiative de la Commission européenne, qui met enfin à profit l'existence du marché intérieur pour prendre des mesures efficaces en vue de la sécurité de nos compatriotes : à vingt-sept États, représentant 450 millions de citoyens, il est plus facile d'imposer une régulation vertueuse aux acteurs du numérique. Au sein d'une Europe où tout circule librement, les personnes comme les idées, nous ne pouvons nous permettre de cloisonner à l'échelle de chaque pays nos réponses à ceux qui nous menacent. La France est bien placée pour savoir que l'échange d'informations et l'entraide internationale sont indispensables face à des actes malveillants quelquefois planifiés à l'autre bout du monde.
Toutefois, cette initiative européenne suscite aussi des questions concernant l'ampleur de la réponse que constitue ce dispositif. Comme un certain nombre d'entre nous, je m'interroge sur le fait qu'une autorité administrative décide seule, sans contrôle d'un juge, des injonctions aux plateformes. Certes, le règlement semble comporter davantage de garde-fous que la loi du 24 juin 2020 qui, due à notre collègue Laetitia Avia, avait été en grande partie retoquée par le Conseil constitutionnel. Cependant, madame la ministre déléguée, si vous êtes à ce point certaine que le texte ne contrevient pas à la Constitution, pourquoi lui avoir donné la forme d'une proposition de loi et non celle d'un projet de loi, que le Conseil d'État aurait ainsi pu valider avant qu'il soit soumis au Parlement ?
En outre, comme c'est régulièrement le cas, nous regrettons le délai séparant l'adoption du règlement, en avril 2021, de l'examen du texte qui permettra de l'appliquer. En pleine présidence française du Conseil de l'Union européenne, la France montre une fois encore que l'application des textes européens ne constitue pas pour elle une priorité : c'est bien dommage. Enfin, bien que sa définition ait pu être clarifiée lors des discussions à l'échelon communautaire, la notion même de « contenus à caractère terroriste », utilisée dans l'ensemble du territoire de l'Union, ne laisse pas de m'inquiéter, en raison de la large interprétation que pourraient en faire des pays où la liberté d'expression ne constitue pas forcément la norme et où l'indépendance de la justice peut être menacée.
L'expression de ces quelques inquiétudes vise surtout à nous inviter à la vigilance collective concernant l'application des dispositions que nous nous apprêtons à adopter. En sus du contrôle prévu après trois ans au niveau européen, nous devrons nous assurer que ces mesures ne donnent pas lieu à des atteintes disproportionnées aux libertés. Quoi qu'il en soit, le groupe UDI et indépendants salue bien évidemment toute initiative qui nous permette de lutter contre le fléau du terrorisme : nous soutiendrons donc cette proposition de loi.