Intervention de Jean-Félix Acquaviva

Séance en hémicycle du mercredi 16 février 2022 à 15h00
Prévention de la diffusion en ligne de contenus à caractère terroriste — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Félix Acquaviva :

Internet est devenu un outil essentiel au recrutement et à la propagande terroristes, en particulier pour le terrorisme islamiste qui nous a tragiquement frappés à plusieurs reprises ces dernières années. Nous l'avons tous constaté lors du terrible assassinat de Samuel Paty, désigné comme cible sur les réseaux sociaux. Il est donc primordial de lutter contre la diffusion de contenus terroristes en ligne, au même titre qu'il est primordial de combattre toute forme de haine en ligne. Pourquoi ce qui est interdit dans les médias ou dans l'espace public serait-il si facilement accessible sur internet ?

En ce sens, l'objectif de cette proposition de loi est plus que louable : inscrire dans notre droit les dispositions du règlement européen contre la diffusion du terrorisme en ligne, adopté le 29 avril dernier. Ce dernier prévoit notamment que l'autorité administrative pourra adresser une injonction de retrait ou de blocage de contenus à tout hébergeur dont l'établissement principal est situé sur le territoire national, et qui devra s'exécuter dans l'heure, sous peine de sanctions. Lorsque l'autorité administrative souhaite le retrait ou le blocage de contenus hébergés par un prestataire dont l'établissement principal est situé dans un autre État membre de l'Union européenne, elle formule une demande à l'autorité compétente de ce dernier, qui dispose de soixante-douze heures pour se prononcer.

En vue de lutter contre la diffusion des idées terroristes, le groupe Libertés et territoires estime crucial de responsabiliser les hébergeurs de contenus, notamment les grandes plateformes, et les fournisseurs d'accès. Toutefois, la proposition de loi nous inspire des réserves. D'une part, concernant la forme, nous ne disposons ni d'une étude d'impact, ni de l'avis du Conseil d'État, alors même que les sujets abordés sont très sensibles et touchent à nos libertés fondamentales. D'autre part, sur le fond, plusieurs textes – entre autres la loi Avia – ont déjà tenté de s'attaquer à la diffusion en ligne de contenus terroristes ou haineux. Si la régulation d'internet est justifiée, il n'en faut pas moins respecter le principe de proportionnalité en matière de liberté d'expression, et ménager des voies de recours devant le juge afin que l'administration, ou la plateforme en cause, ne soit pas seule à décider.

C'est pourquoi notre groupe s'interroge quant à l'applicabilité des dispositions du texte et aux risques que celui-ci, de même que le règlement européen, font peser sur les libertés publiques. Ainsi, tous les acteurs concernés affirment que les hébergeurs de contenus n'auront pas les moyens humains de traiter les demandes de retrait ou de blocage dans le délai d'une heure qu'il leur faudra pourtant respecter sous peine de lourdes sanctions : ils confieront donc obligatoirement la modération à des algorithmes. Dès lors, nous craignons que ces derniers, encore imprécis, n'effectuent des retraits injustifiés, voire à titre préventif. En tant que militants corses – le sujet a été évoqué –, certains d'entre nous ne connaissent que trop les amalgames : un Corse, un Basque, un altermondialiste, dont le militantisme est lié à l'histoire et à la situation politique, n'est pas un terroriste au sens où l'entendent des textes comme celui-ci. Pour éviter les généralisations, il faudrait un débat approfondi. Le risque n'est-il pas trop grand d'assister à une limitation de la liberté d'expression en ligne, pour des contenus qui ne devraient pas être concernés ?

Par ailleurs, aucun contrôle du juge n'étant prévu au préalable, seule l'administration appréciera le caractère illicite des contenus, ce qui pose un problème de fond ; car dans un État de droit, c'est à la justice d'en décider. Plusieurs associations nous ont signalé que ces dispositions entrent en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2020, censurant une partie de la loi Avia. Étant donné le fait que la proposition de loi constitue un véritable remake de la loi Avia, nous ne serions pas étonnés que le Conseil constitutionnel considère de nouveau que de telles dispositions portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.

En définitive, il est bien entendu nécessaire d'agir contre la propagation des contenus terroristes, mais cela doit se faire de manière précautionneuse. Au vu du contenu de ce texte, les membres de notre groupe demeurent à ce stade quelque peu sceptiques quant au respect de cet équilibre.

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