Intervention de Michèle Victory

Séance en hémicycle du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichèle Victory :

Je suis très fière d'apporter, une fois encore, au nom du groupe Socialistes et apparentés, mon soutien à un texte qui touche à un droit fondamental des femmes : le droit d'avoir le choix. Près d'un demi-siècle après l'adoption de la loi Veil, ce droit si chèrement acquis reste encore d'une grande fragilité. Sa pleine effectivité n'est toujours pas garantie sur l'ensemble du territoire français, comme le confirment les débats houleux que nos assemblées parlementaires ont depuis de longs mois sur ce texte. Les reculs historiques observés récemment partout dans le monde, comme en Pologne ou au Texas, montrent que nous devons encore et toujours défendre le droit à l'avortement. En effet, lorsque nous défendons les droits des femmes, c'est de notre vision de la société qu'il est question. Lorsque des régimes peu respectueux des libertés s'attaquent au libre choix des femmes à disposer de leur corps et au droit de revendiquer leur intégrité, ce sont bien des principes fondamentaux qui sont remis en cause.

Répétons-le : chaque année 3 000 à 5 000 Françaises sont encore contraintes de se rendre à l'étranger pour faire pratiquer l'IVG. Elles y sont obligées, d'une part à cause du nombre insuffisant, dans de nombreux territoires, de professionnels de santé ou de services adaptés pratiquant cet acte, d'autre part à cause du délai légal de recours à l'IVG, qui est beaucoup plus court chez nous que chez nos voisins. Chez moi, en Ardèche, 40 % des femmes qui ont recours à une IVG doivent ainsi changer de département, ce qui traduit l'insuffisance de l'offre de praticiens – un phénomène particulièrement marqué dans les territoires ruraux. Comment pouvons-nous accepter que des femmes, parfois en détresse ou qui veulent tout simplement faire un autre choix, se voient dans l'obligation d'engager des sommes importantes pour faire pratiquer en dehors du territoire national une interruption de grossesse ? N'est-ce pas le rôle de notre État de protéger les citoyennes et de leur donner les moyens d'assumer leurs choix ? C'est d'autant plus vrai que les difficultés d'accès à l'IVG, on le sait, touchent majoritairement les plus fragiles – jeunes filles mineures, femmes isolées en zone rurale, femmes enceintes à la suite d'un viol ou ne disposant que de faibles ressources.

Au cours de nos débats, certains ont dit qu'il fallait absolument éviter que les femmes puissent subir des pressions concernant leur décision. N'oublions pas que les pressions peuvent s'exercer dans les deux sens : pour pratiquer une IVG, mais aussi pour garder l'enfant, même lorsque les conditions nécessaires ne sont pas réunies. C'est pour cela que nous devons accompagner les femmes, mais ne jamais parler à leur place.

Certes, l'amélioration de l'accès à l'IVG ne se limite pas aux mesures contenues dans la proposition de loi. Des réponses d'ordre structurel concernant le pilotage et l'organisation de nos offres de soins en orthogénie demeurent nécessaires. Reste que ce texte permet d'avancer sur des questions majeures, en allongeant de deux semaines le délai légal de recours à l'IVG, en augmentant, grâce à l'habilitation des sages-femmes, le nombre de praticiens en mesure de le pratiquer, en renforçant la formation des femmes et en supprimant le délai de réflexion de deux jours. Ainsi, pour toutes les femmes concernées, mais aussi pour toutes celles qui, dans les plannings familiaux et les associations, soutiennent les femmes et les jeunes filles, les accompagnent et écoutent leurs doutes et leur détresse, cette proposition de loi défendue par Albane Gaillot puis par Marie-Noëlle Battistel et Cécile Muschotti méritait bien que les clivages politiques ou partisans soient dépassés. Je salue leur travail et leur ténacité car le parcours du texte aura été semé d'embûches : obstruction de la droite conservatrice à l'Assemblée, rejet systématique du texte par le Sénat, position de sagesse tenue par la majorité.

S'agissant de la double clause de conscience, sa suppression aurait été une avancée majeure, et le statu quo ne nous satisfait pas. Le dernier débat dans l'hémicycle a encore illustré nos divergences sur cette question. Cette clause n'apporte pourtant aucune protection supplémentaire aux professionnels de santé par rapport à la clause de conscience générale dont ils bénéficient déjà et qui leur permet de refuser de pratiquer un acte contraire à leur position morale. Elle ne fait qu'entretenir la stigmatisation de l'IVG comme un acte culpabilisant pour les femmes. L'IVG est ainsi le seul acte médical pour lequel existe cette double clause, ce qui en fait un acte toléré plutôt qu'un droit à part entière. En commission, le nom de Simone Veil a souvent été prononcé pour justifier cette position, mais chacun comprend bien ici que le contexte actuel est, fort heureusement, bien différent de celui dans lequel la loi de 1975 avait été votée. Je ne crois pas qu'il soit de bon aloi de ramener sans cesse nos débats actuels à ce que fut, dans une société encore corsetée et sourde aux droits des femmes, la bataille acharnée et courageuse d'une femme que nous admirons tous, ici comme en dehors de l'hémicycle.

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