Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du mercredi 23 février 2022 à 15h00
Accès universel à la vaccination — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel :

Pas moins de 34 milliards de dollars en un an, soit 1 000 dollars par seconde, c'est le montant des bénéfices engrangés par Moderna, Pfizer et BioNTech en 2021. Les vaccins contre le covid-19 engendrent des profits financiers absolument exorbitants et ceux-ci sont privatisés, totalement accaparés par les laboratoires privés, alors que rien n'aurait été possible sans les financements publics, sans les trente ans de recherche publique sur l'ARN, sans les financements très généreux par les États de la recherche et développement sur le covid-19 – 10 milliards ont été consacrés à la seule recherche sur le vaccin – et sans le système de précommande de doses, qui a protégé les labos des risques financiers en faisant payer les États alors même qu'ils n'avaient aucune garantie – ils ne pouvaient savoir si les vaccins seraient réellement efficaces ni même s'ils sortiraient un jour.

Il n'y a qu'à voir le cas Sanofi, groupe qui a bénéficié d'une précommande de 300 millions de doses par la Commission européenne sans que quiconque ait encore pu bénéficier d'un vaccin produit au pays de Pasteur. À écouter les informations de ce matin, j'ai cru comprendre que l'on pouvait peut-être s'attendre à l'annonce prochaine d'un vaccin, mais je crains qu'il n'arrive en retard comme la cavalerie.

Sanofi illustre parfaitement tout ce qui ne va pas dans la gestion de la crise du covid-19 et de la recherche française. Ce laboratoire a bénéficié de plus de 1 milliard d'euros en crédit d'impôt recherche (CIR) au cours des dix dernières années ; il réalise 80 % de ses bénéfices sur la vente de produits pris en charge par la sécurité sociale ; il a profité de la baisse des impôts de production et du soutien de la Banque centrale européenne (BCE) pendant la crise sanitaire. Or ce laboratoire réussit l'exploit d'avoir déçu toutes les attentes en matière de vaccin, d'avoir dégagé des bénéfices en hausse de près de 340 % en 2020, et d'avoir annoncé, sans la moindre honte, la fermeture de l'un de ses laboratoires en France et un plan de licenciement de 1 700 salariés. Précisons que les syndicats s'attendent à d'autres mauvaises nouvelles.

On ne peut pas continuer à financer d'aussi grands groupes privés sans imposer de conditions sociales, sans prendre en compte le fait que ces financements mirobolants se font au détriment de la recherche publique. Rappelons que la recherche fondamentale, notamment sur les variants du covid-19, a été largement freinée en France par un manque de moyens dévolus à la recherche publique ou, plutôt, par le passage obligé par des appels à projets qui doivent être rentables à court terme.

Quel est le résultat de cette politique de privatisation de la recherche, obsédée par le profit financier ? On en vient à traiter des produits nécessaires à la santé publique comme de simples marchandises, ainsi que cela s'est produit dans le cas des vaccins contre le covid-19. Cela n'est plus acceptable.

Alors que ces vaccins sont considérés comme des biens communs par l'OMS, les laboratoires les réservent aux pays les plus riches, en créant des jeux de concurrence tarifaires, puisque les pays qui ont payé les doses au prix fort – Israël ou le Royaume-Uni, par exemple – se font livrer plus vite. Les inégalités sont donc légion dans la distribution du vaccin. Or le directeur général de l'OMS s'inquiète du détournement des doses disponibles par des pays déjà fortement vaccinés tels que la France, allant jusqu'à préciser que « des programmes de rappel sans discernement ont toutes les chances de prolonger la pandémie, plutôt que d'y mettre fin » ! Pendant ce temps, moins de 5 % des populations des pays à bas revenus ont eu accès à une première dose, ce qui augmente les possibilités de mutations du virus.

Face à ces inégalités et à ces marchandages indignes, il n'y a qu'une seule bonne solution : la levée des brevets. Les licences obligatoires ne permettent pas de résorber ces inégalités, car, comme l'a démontré Médecins sans frontières, elles pâtissent d'une procédure trop longue et complexe. La simplification de leur utilisation est une bonne chose à laquelle nous ne nous opposerons évidemment pas. Cependant, les licences obligatoires n'empêchent pas les laboratoires de se rémunérer sur le vaccin, voire de demander de fortes sommes en dédommagement.

Il faut donc mettre fin à cette financiarisation de la santé publique, et sortir du modèle caritatif qui est d'un autre temps et ne fonctionne pas. Plus de 80 % des doses que le G7 avait promis de redistribuer ne l'ont pas été et, de surcroît, beaucoup d'entre elles n'ont pas pu être utilisées à cause des délais de conservation trop courts. Le Nigeria a ainsi été récemment contraint d'incinérer plus de 1 million de doses.

Il est temps d'offrir enfin à tous ces pays la possibilité de l'autonomie et de la souveraineté face aux laboratoires crapuleux et à ces logiques de charité bancales. Cela passe par la levée des brevets qui permettra aussi une baisse des prix et une accélération de la production des vaccins, notamment dans les pays les plus pauvres. Sur ce sujet, le Gouvernement a pris des positions très contradictoires. Emmanuel Macron s'est d'abord opposé à la levée des brevets avant de prétendre s'y rallier. Concrètement, il n'a surtout rien fait pour la rendre possible. Résultat : l'Union européenne continue de bloquer cette proposition au sein de l'Organisation mondiale du commerce.

Chers collègues, je ne m'opposerai pas à cette résolution, mais je vous demande d'aller beaucoup plus loin. Il est temps de repenser la recherche publique, de lever les brevets pour nous libérer des pressions des laboratoires et de mettre fin aux inégalités vaccinales qui gangrènent les pays pauvres et mettent en péril la santé de toutes et tous. C'est d'autant plus urgent que, malheureusement, d'autres épidémies viendront.

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