Paludiers au nord de la Loire ou sauniers au sud, ils ont en commun un savoir-faire ancestral, qui façonne nos paysages depuis l'époque gauloise. Ils sculptent des paysages exceptionnels, qui vont du vert émeraude au bleu azur, du rose vif au rouge intense. Ils offrent un sel de qualité dans un environnement à la biodiversité particulièrement variée et profitent d'un espace préservé. Souvent même, ils travaillent dans des zones humides d'importance internationale, les sites de la Convention de Ramsar, ou dans des sites classés Natura 2 000.
Par un habile parcours, ces hommes et ces femmes poussent l'eau de mer à travers une succession de bassins construits sur des sols argileux. Peu à peu, l'eau s'évapore pour ne plus offrir finalement que son sel. Fruit de la mer, du soleil et du travail des hommes, rien n'est plus naturel que ce sel.
Grâce à cet héritage et à ce savoir-faire, une dizaine de marais salants sont encore en activité sur la côte atlantique, à Guérande, à Noirmoutier, sur l'île de Ré et sur l'île d'Oléron, où 600 paludiers exercent leur passion, mais également sur le pourtour méditerranéen – ne l'oublions pas ! –, dans les salins de l'Aude, d'Aigues-Mortes, de Giraud et de Berre.
Pour protéger ces exploitants, un brevet professionnel de responsable d'exploitation agricole a été créé en 1978. Plus récemment, en 2019, la filière salicole artisanale a bénéficié du statut d'activité agricole. Ces mesures constituent de véritables progrès, mais elles sont insuffisantes. Une nouvelle étape devait être franchie avec l'octroi du label AB, mais, catastrophe, alors que le sel avait du mal à trouver sa place dans les produits bio – il n'est ni animal ni végétal, mais minéral –, un nouveau règlement européen relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques permet, depuis janvier, à tous les types de sels, qu'ils soient marins ou miniers, de prétendre au précieux sésame !
Il s'agit d'un non-sens total pour les petits producteurs, qui craignent la concurrence déloyale risquant de découler d'une confusion chez les consommateurs. Car soyons clairs : contrairement au sel des marais salants, récolté manuellement, la plus grosse partie de la production de sel français provient de l'extraction minière, basée sur des techniques de forage.
Dans nos grandes surfaces, on trouve du sel récolté à la main, mais aussi du sel marin « industriel », qui a généralement subi un lessivage réalisé par des machines. Dans ces conditions d'extraction et de traitement industriels, on voit mal comment ce sel pourrait bénéficier du label AB puisque « le sel est alors dénaturé et subit l'ajout d'intrants chimiques pour pouvoir être commercialisé », comme l'explique le Président de l'Association française des producteurs de sel marin de l'Atlantique.
C'est pourtant ce que la Commission européenne s'apprête à faire, puisque le cahier des charges qui définit les règles d'éligibilité au label AB, en cours de rédaction, prévoit d'y inclure toutes les techniques de production existantes, y compris, bien entendu, l'extraction de mines. Bienvenue en absurdie !
Cette proposition de résolution est donc indispensable pour rappeler aujourd'hui que nos marais salants n'ont rien à voir avec les mines de sel et qu'un label biologique ne peut avoir de sens que s'il bénéficie de la confiance du consommateur. Comment faire confiance quand le sel répandu sur nos routes pourra bénéficier du même label que celui que nous mettons dans nos assiettes ? Au travers du sel, c'est toute la certification biologique qui pourrait être remise en cause ! La Fédération nationale de l'agriculture biologique l'explique d'ailleurs très bien : dans la mesure où « elle rend le label bio moins lisible pour le consommateur et qu'elle éloigne la production biologique de ses fondamentaux agronomiques, la labellisation bio du sel telle qu'elle se profile, avec l'intégration des différents modes de production, ouvre une brèche dans la crédibilité du label bio européen ».
À l'heure où la défiance envers Bruxelles reste importante dans l'Hexagone – un sondage a révélé début janvier une véritable fracture au sein de l'opinion sur les avantages et les inconvénients de l'appartenance à l'Union européenne –, on ne s'en étonne pas quand on voit à quel point la Commission peut être parfois déconnectée du terrain. Les absurdités sont malheureusement légion.
Alors, oui à la protection de nos savoirs ancestraux, oui à la valorisation de nos patrimoines culturels et naturels, oui à la préservation de notre héritage historique et paysager et, bien entendu, oui à cette résolution !