Le débat d'aujourd'hui était bien nécessaire pour tenir compte de l'évolution de l'épidémie, avant la suspension de nos travaux. Il faut bien sûr rester humble face à la gestion d'une telle épidémie. Le covid a pris tout le monde de court ; personne ne pouvait en mesurer la gravité ni la durée. Sans solution de traitement ni vaccin, le recours au confinement était alors inéluctable. Nous ne dirons jamais assez le travail exceptionnel du personnel hospitalier, qui a tenu à bout de bras le système de santé. Le groupe Socialistes et apparentés insiste une nouvelle fois sur la nécessité sociale et politique d'un grand plan d'urgence pour l'hôpital public, qu'il avait déjà exprimée avant la crise. Il faut aussi de véritables revalorisations des rémunérations, au-delà du Ségur de la santé, qui crée malheureusement de l'incompréhension, voire un sentiment d'injustice parmi les métiers qui en sont exclus. Il faut aussi des mesures d'attractivité des carrières et une refonte de la gouvernance de l'hôpital, celle-ci restant déséquilibrée au détriment des équipes soignantes.
Des mesures auraient-elles pu être prises en amont, pour ralentir l'épidémie ? Sans doute. Je ne reviendrai pas sur les masques. Je prendrai l'exemple du télétravail, dont la généralisation fut souvent annoncée trop tard par le Gouvernement, notamment à l'automne dernier. Une instauration plus précoce aurait pu permettre d'éviter des transports en commun surchargés, des paradoxes et des incompréhensions relatives aux nombreuses restrictions alors imposées aux citoyens. En effet, la cohérence et la lisibilité des mesures sont des éléments déterminants d'une bonne acceptation de la gestion de crise.
Le Conseil scientifique, créé pour éclairer la décision politique dans le cadre de cette crise, a plusieurs fois rappelé, notamment par l'intermédiaire de son président le professeur Delfraissy, l'importance d'instaurer ce type de mesures de freinage de l'épidémie. Le Conseil scientifique aurait-il pu être davantage écouté ? Je le crois, monsieur le ministre.
Il faut apprendre des erreurs et du manque d'anticipation pour permettre à la société de s'adapter, en préservant au maximum les droits et libertés individuels, afin de lutter efficacement contre le risque de résurgence épidémique. Car, mes chers collègues, nous n'en avons pas fini avec cette épidémie, la lucidité nous oblige à le reconnaître.
C'est d'ailleurs dans cette logique que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) réalise un travail sérieux depuis le début de la crise sanitaire. Plusieurs rapports ont été publiés ; un prochain rapport, consacré à la pharmacovigilance des vaccins, devrait sortir fin mai. Je cite ces travaux car je suis convaincu – vraiment convaincu – de l'absolue nécessité de transparence. Notre capacité à mieux anticiper et à prévoir les résurgences épidémiques se trouve aussi dans les activités de contrôle de l'Assemblée. Il faut donc les renforcer et se saisir de l'ensemble des analyses, des propositions et des débats, qui sont autant de pistes solides pour faire face à l'imprévisibilité du virus. Nous ne sommes pas sortis du covid. L'émergence du variant omicron, associé à une létalité diminuée, a pu apparaître à certains comme le glissement vers une endémie. Néanmoins, la protection apportée par l'infection ou la vaccination semble n'avoir qu'une durée relativement limitée et la circulation du virus accroît le risque de voir émerger un variant plus dangereux.
Il apparaît donc primordial de maintenir dans les prochains mois une politique ambitieuse de séquençage, afin de réaliser une surveillance des variants en circulation sans biais de sélection. Dans une logique d'anticipation permanente, il est particulièrement nécessaire de travailler sur des scénarios d'émergence de nouveaux variants aux caractéristiques différentes de ceux actuellement connus. Il faut ainsi prévoir une adaptation des protocoles de dépistage, de mesures sanitaires et de vaccination ; le cafouillage lors de la rentrée du mois de janvier devra servir d'exemple afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Du point de vue international, depuis le mois de juillet, nous demandons, dans le cadre de nos travaux, l'instauration à l'échelle de l'Organisation mondiale de la santé – OMS – d'un réseau de surveillance du virus et des variants dans les pays en développement qui n'ont pas les capacités de le faire eux-mêmes. Cela m'amène d'ailleurs une nouvelle fois à évoquer la question de la levée des brevets, sur laquelle mon groupe a très rapidement pris position. Depuis la découverte et la production des vaccins, vous refusez toujours cette mesure. La France doit œuvrer pour que tous les pays puissent accéder rapidement à la vaccination contre le covid-19, en apportant une contribution ambitieuse aux initiatives de dons de doses à de nombreux pays, mais également en soutenant les autorités sanitaires locales chargées de contrôler les chaînes de production, pour éviter le risque de production de vaccins de qualité inférieure aux produits standards. Je regrette que le président Macron, qui vient de prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne, n'ait pas encore dit un mot sur la levée des brevets et la solidarité sanitaire internationale.
On le sait, le variant omicron vient d'Afrique du Sud. Si nous n'aidons pas les pays en développement à protéger leur population, alors le virus continuera de circuler dans plusieurs zones du globe et reviendra par vagues dans les pays occidentaux. C'est pourquoi il faut pousser à l'instauration d'une surveillance génomique de large ampleur chez l'homme comme chez l'animal, afin de connaître précisément la diversité virale en circulation et anticiper l'émergence de nouveaux variants.
En plus de la vaccination, il faut bien sûr continuer à travailler sur une stratégie thérapeutique globale contre le covid, en encourageant notamment le développement d'un traitement de cette maladie. Je pense par exemple aux molécules repositionnées comme le camostat ou encore à la deuxième génération d'anticorps monoclonaux, qui est aussi à l'étude. Il apparaît nécessaire de développer de nouveaux financements pour mener des recherches cliniques et permettre des adaptations réglementaires pour que ces essais disposent rapidement des autorisations indispensables.
Enfin, il est essentiel de créer une structure européenne fonctionnelle pour que les différents pays puissent mutualiser leurs efforts en matière de recherche clinique. Ces préconisations de l'OPECST rejoignent en partie celles du rapport de la commission d'enquête chargée d'identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l'industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l'industrie et notamment celle du médicament, que j'ai remis il y a quelques semaines. De manière générale, il est nécessaire de donner aux chercheurs un plus large accès aux données des agences de santé, afin de bénéficier des compétences et de l'engagement du monde académique.
J'en viens aux conséquences directes de cette épidémie, notamment l'émergence du covid long. Perte de goût, d'odorat, grande fatigue, essoufflement, troubles cognitifs, douleurs musculaires, le covid long est une réalité douloureuse pour les patients. Bien que ses symptômes soient variés et fluctuants, ils sont souvent très invalidants. Il est difficile d'identifier le nombre de personnes touchées mais le risque principal consiste justement dans le retard de la prise en charge. La reconnaissance du covid comme maladie professionnelle, il y a quelques mois, va dans le bon sens mais il nous faut aller plus loin dans la prise en charge de cette nouvelle maladie. Il faut assouplir les critères de reconnaissance, inclure le covid long dans la liste des affections de longue durée (ALD), faciliter la prise en charge de cette pathologie par la médecine de ville, instaurer une communication spécifique et enfin accélérer les recherches sur les causes de cette forme longue du covid.
Les conséquences de l'épidémie sont également indirectes. Les cinq vagues épidémiques ont conduit à de vastes déprogrammations de soins et d'opérations dans les hôpitaux, et à une moins bonne prise en charge d'un grand nombre de pathologies, qu'il nous faut absolument prendre au sérieux dans les prochains mois. Je veux vous alerter sur de vraies craintes quant à la vulnérabilité des patients atteints de cancer. Du fait des retards de dépistage, les oncologues ont vu arriver, à la suite de la première vague, des patients atteints de cancers à des stades plus évolués ; un dépistage tardif implique un stade plus avancé de la maladie.