Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du jeudi 24 février 2022 à 9h00
Déclaration du gouvernement relative à l'évolution de la situation sanitaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Dans son histoire, l'humanité a tant de fois dû affronter des épidémies, des séismes et des crises. Elles ont, parfois, dévasté des continents entiers, semant la mort et la désolation. Chacun de ces épisodes fut unique, mais à chaque fois, à la fin, ne demeurait qu'une aspiration pour les gens : retrouver une vie normale et redonner du sens à leurs existences. Durant la crise du covid, l'immense majorité de nos concitoyens, en particulier les jeunes, les personnes âgées et le personnel soignant, ont fait preuve d'un grand sens civique, respectant des confinements éprouvants avec un courage exceptionnel.

Cette crise a d'abord révélé l'extrême fragilité de notre organisation sociale – je pense évidemment à notre système de santé. J'ai alerté, comme vous tous, à de nombreuses reprises, sur l'état d'extrême fatigue des soignants. La santé est un bien crucial : nous l'avons malheureusement fragilisé, avec un sous-investissement financier chronique dans les hôpitaux et une technocratie triomphante. Nous devons bien sûr améliorer nos services publics, mais pas au prix de leur sacrifice.

Bien évidemment, les annonces du Ségur de la santé ont été les bienvenues. L'engagement est significatif, mais encore insuffisant ; des lits continuent d'ailleurs à être fermés. C'est un véritable changement de cap que nous devons collectivement opérer, pour refaire de la santé une priorité et nous poser à nouveau, enfin, la question du sens de nos services publics.

Vous annoncez, avec le répit de la crise, des assouplissements, patiemment distillés, des restrictions sanitaires : fin du masque en récréation, puis dans les lieux clos fin mars, voire levée du passe vaccinal. Or, nous le savons tous, le véritable sujet est de recréer, enfin, la confiance.

Sur la méthode, je rappelle aux Françaises et aux Français que nous sommes sous le régime de la douzième loi d'urgence, qui nous prive de nombreuses libertés individuelles. Nous avions notamment demandé que la création du passe vaccinal soit, au minimum, conditionnée à une clause de revoyure, avant la fin de la session. Nous étions prêts à revenir siéger, s'il le fallait. Vous n'avez pas retenu nos demandes, préférant un débat sans véritable enjeu. Je le regrette, car ce débat ne nous permettra pas, une fois de plus, d'influer sur les décisions.

Je le disais, nos concitoyens aspirent à retrouver une vie apaisée, mais nous savons que cette épidémie et sa gestion laisseront des traces profondes.

L'Assemblée doit tirer le bilan de la gestion de crise permanente dans laquelle nous nous trouvons depuis près de deux ans. Nous devons en tirer les conséquences, notamment pour que l'exception ne devienne pas la norme.

Il importe également de comprendre chez nos concitoyens la soif d'anticipation, de concertation et de transparence dans les décisions à prendre et de mettre en place dès à présent un nouveau cadre démocratique pour le pays. Ce travail n'a pas été effectué, ce qui ne nous empêche pas de remettre à nouveau l'ouvrage sur le métier. À force de taper sur le clou, il finira bien un jour par s'enfoncer. Oui, gouverner en temps de covid est éminemment complexe. Nous avons désormais du recul et une meilleure connaissance de l'épidémie. En quelques mois, la science a accompli des avancées majeures, même si des inconnues demeurent. Je comprends, je le répète, les difficultés d'exercer les responsabilités qui ont été les vôtres, monsieur le ministre, et il est toujours plus facile de critiquer que d'agir. Je salue aussi les élus locaux, qui ont fait un travail remarquable.

En cette période de désenchantement démocratique, il importe de rendre hommage, à nouveau, aux soignants, aux « premiers de corvée », aux responsables associatifs, à tous ceux qui permettent au pays d'avancer. J'ai eu l'occasion de le dire à de multiples reprises : plus les décisions sont difficiles, plus il faut les partager, y associer le plus grand nombre. Trop de nos concitoyens ont eu le sentiment contraire ces dernières années : un sentiment de vérité tronquée après des erreurs et des mensonges – souvenons-nous de la polémique sur les masques au début de la crise. Ce sentiment aura été partagé par de nombreux scientifiques, corps intermédiaires, enseignants, parents d'élèves, élus locaux… La gestion trop pyramidale du pays a été confortée. Le Parlement, quant à lui, a été abaissé à un niveau inédit dans notre histoire. Le Conseil des ministres s'est lui aussi effacé. Seuls ont décidé un Conseil de défense sanitaire, qui ne laisse rien échapper, et un Président trop isolé.

Gardons-nous par ailleurs de toute autosatisfaction et restons modestes. La gestion hypercentralisée de la crise nous a-t-elle permis d'obtenir des résultats meilleurs que nos voisins ? Prenons un indicateur : le nombre de morts pour 100 000 habitants. La France, avec au total près de 137 000 décès, est dans la moyenne des pays de l'Union européenne, ni plus ni moins. Ramené à la population totale, ce nombre représente un peu plus de 2 000 morts par million d'habitants, soit le niveau de l'Espagne ou du Portugal, où les restrictions de libertés ont été bien moindres qu'en France. Ce ratio est certes nettement moins bon dans d'autres pays, mais on compte moins de 1 500 morts par million d'habitants en Allemagne et moins de 1 300 en Irlande. Sachons donc rester modestes.

Je ne reviendrai pas de façon exhaustive sur l'ensemble des mesures décidées depuis vingt-six mois, mais m'attarderai sur deux décisions récentes montrant que rien n'a vraiment changé. La première concerne le protocole sanitaire mis en place dans les écoles à la rentrée de janvier : souvenons-nous des protocoles transmis le dimanche dans l'après-midi, veille de la rentrée ; souvenons-nous des enseignants dépourvus de masques FFP2, des classes non équipées en capteurs de CO2 et en purificateurs d'air. Trois modifications ont été apportées à ce protocole en moins d'une semaine.

Rappelons la mise en place du passe vaccinal. N'avons-nous pas, une fois de plus, légiféré dans l'urgence sans que cela soit nécessaire et selon un calendrier politique presque assumé, le Président de la République en rajoutant une couche en révélant le véritable objet de ce passe vaccinal, « emmerder les non-vaccinés » ? Lors de l'examen de ce texte, nous avions dit que ce passe n'était pas le seul moyen de lutte pour la couverture vaccinale et que c'était une addition de mesures qui était efficace – position d'ailleurs partagée par le Conseil scientifique. Ces résultats s'ajouteront dans la conscience collective à la pénurie de masques en 2020 et aux ratés des premières semaines d'acheminement des vaccins. Cette gestion erratique fut même couplée parfois à des formes de mépris dont nous aurions pu nous passer.

Cette grande crise sanitaire s'ajoute à d'autres : la crise environnementale, dont nous ne connaissons hélas que le début des effets, la crise sociale, avec cette explosion des inégalités, notamment celles des richesses, la crise de nos valeurs. Nos concitoyens sont désenchantés, ils ne croient plus en rien. Même le rationalisme scientifique est mis à l'épreuve – et pourtant, sans progrès, point de salut.

La démocratie, notre bien le plus cher, est menacée et je sais combien, monsieur le ministre et vous tous, chers collègues, vous en avez au fond de vous conscience. Nous avons alerté le Président de la République lors de la crise des gilets jaunes en l'exhortant à en sortir par le haut en redonnant la parole à nos concitoyens et en ouvrant le débat sur la réforme des institutions. J'ai déploré que la majorité n'ait pas souhaité s'engager dans le rééquilibrage des pouvoirs, avec notamment une dose de proportionnelle pour que le Gouvernement soit contrôlé par un Parlement trouvant des consensus entre le plus grand nombre de groupes politiques représentant tous les Français.

Je n'ai pas compris que vous ne vous engagiez pas dans un grand choc de décentralisation en matière de santé, en réglant la question des ARS afin de redonner du pouvoir aux élus locaux, proches du terrain. Vous avez testé des formes de démocratie participative beaucoup trop timides.

Face aux angoisses qui taraudent nos concitoyens, je vous le redis avec une grande solennité : le pays est capable de se revivifier, de se reconstruire et sans doute d'affronter tous les grands défis de notre temps, à une seule condition : travailler enfin ensemble. Il est pour cela crucial que ceux qui prendront des responsabilités ces prochains mois agissent afin que tout ce qui sera demain décidé le soit dans un cadre nouveau, où les décisions les plus importantes seraient enfin partagées. Contrairement à ce que pensent tous les prophètes de mauvais augure, notre pays ne se redressera jamais en continuant à décider seul ou en opposant les Français les uns aux autres. Au contraire, nous devons rassembler nos concitoyens, et pour cela engager un véritable renouveau démocratique fondé sur la concertation et le partage des décisions.

C'est aujourd'hui ma dernière intervention à l'Assemblée dans le cadre de cette législature. Je remercie les électeurs qui m'ont fait confiance. Ce fut un honneur pour moi de les représenter, tout en regrettant que mes combats, notamment pour un renouvellement démocratique, aient si peu progressé. Peut-être qu'en tapant fort sur le clou, il finira un jour par s'enfoncer. En ce qui nous concerne, nous serons toujours aux côtés de ceux qui défendent ces indispensables réformes que je rêve de voir enfin aboutir.

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