Dans le classement que j'ai mentionné, la démocratie française est jugée défaillante en raison des restrictions de libertés individuelles et collectives imposées à la population. Notre pays ressort abîmé et fracturé de la crise, et la méthode qui a été employée en guise de stratégie vaccinale n'a rien arrangé. Vous avez fait le choix d'imposer successivement un passe sanitaire et un passe vaccinal, selon des logiques de surveillance, de contrôle et de sanction. Plutôt que de convaincre, vous avez stigmatisé une partie de la population, contribuant à alimenter des fractures sociales et territoriales déjà bien présentes. Vous avez mobilisé un discours binaire et simpliste, piètre façon de combattre les thèses complotistes. Pour tenir vos objectifs sanitaires, vous avez créé des clivages, là où il fallait plutôt du rassemblement. L'argument du virus a même été utilisé au profit de la réforme des retraites ou de l'assurance chômage, à des fins politiques. Cet usage du contrôle, de la contrainte et de ce qui peut être vécu comme une forme de chantage et d'infantilisation fait appel à des dynamiques qui nous inquiètent pour les perspectives qu'elles tracent pour la société. Ces choix aux effets contradictoires ne jouent pas sur les bons ressorts ; ils témoignent d'un renoncement à créer la confiance et à construire une émancipation partagée. À l'inverse, il fallait développer une politique sanitaire qui invite la société à se mobiliser pour faire face, une politique qui repose sur des actes de confiance plutôt que sur l'autorité, et qui s'appuie sur les forces disponibles et sur un lien social à retisser par la rencontre.
De tout cela, nous ne sommes pas encore sortis. Tout en conservant une vigilance collective et une vigilance individuelle volontaire, adaptées à la situation, il faut engager au plus tôt une sortie de ces contraintes et de l'état d'exception permanent ; il faut se déprendre des mauvaises habitudes.
J'ai évoqué la vaccination. Je passerai sur la faiblesse éclatante de notre politique de recherche, mais je dirai un mot de la façon dont vous vous en êtes remis au marché et aux grands groupes pharmaceutiques, sans actionner les outils juridiques permettant à la puissance publique de prendre la main en mobilisant les capacités de production et en levant les brevets. Cette attitude est d'ailleurs à l'image d'un plan de relance sans garantie – plan de relance qui était pourtant nécessaire pour relever l'ensemble des défis auxquels nous sommes confrontés. La couverture vaccinale de cinquante-six pays est en deçà de 10 %. Les laboratoires pharmaceutiques ont eu le temps d'engranger plusieurs dizaines de milliards d'euros de bénéfices grâce à la pandémie, directement liés à la commande publique – c'est aussi ça, le quoi qu'il en coûte.
La crise a révélé l'affaiblissement de la puissance publique, des services publics et plus particulièrement de notre système public de santé – un affaiblissement que vous n'avez pas su enrayer, et que vous avez même entretenu. Avant même que survienne la pandémie, le service public hospitalier connaissait une crise profonde. La détérioration de l'hôpital public s'est amplifiée durant le quinquennat du fait de la compression des dépenses, de l'amplification du virage ambulatoire, et j'en passe. À la faveur d'une crise sanitaire qui a révélé la paupérisation de l'hôpital public – et en même temps l'engagement sans faille des personnels –, le Gouvernement a été rattrapé par le réel, concédant, avec le Ségur de la santé, une revalorisation salariale attendue depuis trop longtemps, mais qui peine à compenser dix ans de gel du point d'indice. Trop tardif, trop insuffisant, trop incomplet, le Ségur de la santé n'a pas mis fin au malaise hospitalier qui couvait depuis de longues années, pas plus qu'il n'a véritablement ouvert de perspectives pour l'hôpital. Pire, vous avez continué de réduire les capacités d'hospitalisation : 17 900 lits ont été fermés durant le quinquennat. Quant à la prise en charge de l'autonomie, cette question lancinante revient ces derniers jours avec force et gravité. Les soignants continuent de crier leur colère, de subir des cadences effrénées et de souffrir d'un métier qui se déshumanise et qui perd son sens. Bien que vous ayez vanté les mérites de la sécurité sociale, monsieur le ministre, vous avez travaillé à l'affaiblir durant les cinq années qui viennent de s'écouler…,