Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Séance en hémicycle du mardi 1er mars 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la décision de la russie de faire la guerre à l'ukraine

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade :

L'Ukraine est attaquée car elle a fait le choix, avec la révolution de Maïdan en 2014, de se tourner vers l'Europe – non pas vers l'OTAN, comme la propagande russe relayée en France veut le faire croire mais bien vers l'Union Européenne. Elle n'est pas attaquée pour ce qu'elle fait – elle n'agresse ni ne menace personne – mais pour ce qu'elle est : un pays libre, démocratique et ouvert qui regarde vers l'Europe.

En France, certains voudraient réécrire l'histoire de cette guerre, inverser les responsabilités pour dédouaner M. Poutine. Ils condamnent en chœur ce qui se passe mais continuent à vouloir expliquer ou justifier les actes du tyran russe au prétexte que la Russie se sentirait menacée par la présence de l'OTAN et des États-Unis. Ce faisant, ils mettent sur un même plan l'agresseur et l'agressé. Or, dans ce conflit, seuls les faits comptent : les États-Unis n'ont pas annexé l'Ukraine dans l'OTAN, c'est la Russie qui envahit l'Ukraine. L'Ukraine n'est pas dans l'OTAN, ce sont aujourd'hui les bombes russes qui tombent sur les civils ukrainiens. Cette guerre est un prétexte et l'OTAN une fausse excuse.

D'autres, souvent les mêmes, appellent à une grande conférence sur les frontières. Or, dans un tel moment de guerre, les frontières ne doivent pas être négociées mais confortées, assurées. L'intégrité territoriale de l'Ukraine ne se négocie pas.

D'autres enfin – souvent les mêmes, encore une fois –, s'opposent à l'aide à l'Ukraine et aux livraisons d'armes, disent-ils, « au nom de la paix ». Pourtant, refuser d'aider l'Ukraine à se défendre, ce n'est pas favoriser la paix – et ils le savent pertinemment – mais abandonner l'Ukraine aux mains de Poutine, mettre en péril toute la sécurité de l'Europe. Voilà la réalité de ce qu'ils proposent avec de tels discours.

Nous l'avons compris, l'Ukraine est une cible parce qu'elle nous ressemble, parce qu'elle croit en la démocratie libérale, respectueuse de l'individu, des minorités et des droits fondamentaux. Au fond, c'est une guerre contre ce qui fonde notre identité d'Européens.

Les citoyens d'Europe l'ont d'ailleurs parfaitement compris. De Paris à Berlin, de Prague à Amsterdam, une marée humaine de plusieurs centaines de milliers de personnes a déferlé dans les rues ce week-end pour crier sa colère. Le peuple européen, dont certains nient encore l'existence, a dit non à la guerre. Saluons aussi le courage de ceux qui défilent en Russie, en dépit des risques qu'ils encourent. Ils sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le pense. Cette guerre n'est pas la leur mais celle d'un homme aveuglé par sa volonté de puissance et par son refus obstiné de la démocratie.

Dans ces moments si singuliers, chacun a ressenti le tournant de l'histoire que nous vivions. Nous savons que notre avenir commun se décide maintenant, tout comme notre capacité, en tant qu'Européens, à faire vivre notre modèle dans ce siècle. Nous comprenons que si nous ne sommes pas capables de résister maintenant, alors nous perdrons tout ce que nous avons construit : la liberté, la paix et la sécurité pour les générations à venir en Europe. Poutine ne veut pas seulement rayer l'Ukraine de la carte mais aussi redéfinir l'ordre de sécurité sur notre continent à sa manière. Ce moment de bascule, les dirigeants européens l'ont saisi. Là où Poutine espérait la division, il a trouvé un front uni. Là où il pensait voir l'Europe se disloquer, il la voit se renforcer comme jamais.

Face à cette guerre, dans cette situation d'urgence, nous devons agir avec détermination. C'est ce que fait le gouvernement français avec ses partenaires européens en prenant des sanctions dures et en apportant son soutien à la résistance ukrainienne.

En l'espace d'un week-end, la Russie s'est retrouvée mise au ban de la communauté internationale : déconnectée du système de paiements internationaux, empêchée de convertir ses réserves en devises, privée de produits essentiels pour son économie, ses avions publics ou privés interdits de ciel européen, Poutine et ses oligarques sanctionnés. L'objectif est clair : isoler la Russie et affaiblir sa capacité à financer cette guerre.

La pression doit aussi s'exercer sur les alliés de la Russie, en particulier sur le dictateur du Bélarus Loukachenko qui prend une part active dans cette guerre et continue de réprimer son peuple, lequel manifeste lui aussi pour la liberté du peuple ukrainien.

Cette stratégie de l'isolement, nous devons par ailleurs la mener sur le champ de l'information et de la communication. Nous, européens, avons été trop naïfs et indulgents avec les organes de propagande et de désinformation massives que sont RT et Sputnik. Leur bannissement du territoire européen est aujourd'hui la seule solution. Il n'est plus acceptable, dans un contexte de guerre, de les voir déverser leur propagande et saper les fondements du débat démocratique et public européen.

Soutenir l'Ukraine, c'est aussi écouter ce que nous demande le président Zelensky – en l'occurrence, de l'aide et des armes pour défendre son pays et protéger sa population. Les Européens l'ont entendu. C'est la traduction concrète et immédiate de l'union des Européens avec le peuple ukrainien et l'affirmation de l'Europe puissance que nous défendons.

Mais au-delà de la dimension militaire, il y a une situation humanitaire à traiter. L'Europe vit en effet un exode massif, l'un des plus grands depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Ces derniers jours, près de 700 000 Ukrainiens ont quitté leur pays pour rejoindre l'Union européenne. Des millions d'autres sont sur les routes. Tous sont les victimes du cynisme de Poutine et de ses alliés. Tous doivent savoir qu'ils sont les bienvenus en Europe et qu'ils seront bien accueillis. Notre devoir le plus élémentaire est de sauver et de protéger ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont vécu – et fuient – l'enfer des bombes russes.

Enfin, soutenir l'Ukraine, c'est reconnaître l'aspiration européenne de son peuple. Le président Zelensky a signé hier un document par lequel il demande que son pays obtienne le statut de candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Le Parlement européen a soutenu cette volonté dans une résolution. Je partage cette position.

Le fait de travailler, en tant qu'Européens, pour l'octroi de ce statut ne signifie pas que l'Ukraine adhérera demain à l'Union européenne car ceci suppose un processus long. Mais cela veut dire très clairement que l'avenir de l'Ukraine se situe au sein de la famille européenne. C'est le message que les Ukrainiens nous ont écrit en lettres de feu, par leur combat acharné et héroïque en faveur de la liberté.

Ce conflit effroyable nous révèle enfin la nécessité de renforcer l'Europe afin qu'elle devienne une puissance souveraine, indépendante et capable de défendre ses peuples et ses valeurs. Et nous voyons d'ores et déjà que, contraints par les événements, les Européens ont agi en ce sens à une vitesse extraordinaire. Qui aurait pu croire, il y a seulement une semaine, que l'Union européenne deviendrait une puissance militaire capable de mettre au point une unité stratégique ? Que des pays, comme notre voisin allemand, changeraient radicalement leur position sur les questions de défense ? L'Union européenne se réveille, nous vivons une révolution de la puissance.

Enfin, la souveraineté de l'Europe se gagnera aussi par son indépendance énergétique. Si nous voulons être pleinement souverains, alors nous ne pouvons plus dépendre d'approvisionnements extra-européens, du gaz russe ou d'énergies fossiles venues du bout du monde. Nous devons mener à son terme cette révolution énergétique, d'abord dans le cadre de la lutte pour le climat, ensuite pour la sécurité et l'indépendance de l'Europe.

Nous ignorons encore quelle sera l'issue de cette guerre odieuse. Toutefois, il est certain que nous ne sommes plus dans le monde d'avant. Dans les heures et dans les jours à venir, tout dépendra de la résistance ukrainienne mais aussi de notre capacité, à nous, Européens, de continuer à opposer un front uni et à rester debout.

Oui, défendre nos valeurs démocratiques à un prix – déjà élevé. Les Ukrainiens le paient en bombes et en morts parmi les civils ; nous devrons peut-être le payer économiquement. Cependant, si nous ne sommes pas prêts à payer ce prix maintenant au nom de la souveraineté de l'Ukraine, des valeurs qui fondent notre Europe et de l'idéal européen, alors ce sont les générations futures qui devront payer un prix infiniment plus élevé : celui de la division et peut-être de la guerre en Europe.

L'heure est au soutien du peuple ukrainien et du président Zelensky dont la vaillance suscite l'admiration du monde entier. Il a demandé aujourd'hui que nous n'abandonnions pas l'Ukraine. Qu'il sache, s'il nous écoute, que nous sommes à ses côtés, aux côtés du peuple ukrainien. L'avenir de l'Europe et de l'Ukraine s'écrira en commun.

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