Intervention de Florence Parly

Séance en hémicycle du mardi 1er mars 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement relative à la décision de la russie de faire la guerre à l'ukraine

Florence Parly, ministre des armées :

Ce débat au titre de l'article 50, alinéa 1 de la Constitution fait honneur à notre pays car il marque l'unité de votre assemblée, mesdames, messieurs les députés, pour témoigner au peuple ukrainien et à ses courageux dirigeants l'amitié, la solidarité et le plein soutien du peuple français. Jeudi dernier, le 24 février, la Russie a lancé une attaque illégale et massive contre l'Ukraine ; cela fait maintenant six jours que l'armée ukrainienne et le peuple ukrainien se battent avec courage et héroïsme contre l'agresseur. Je ne reviendrai pas après M. le Premier ministre sur ce que nous avons observé pendant des semaines, c'est-à-dire le déploiement progressif d'un dispositif militaire massif le long de la frontière de l'Ukraine et en Biélorussie sous couvert d'exercices militaires, un dispositif que Vladimir Poutine s'était engagé à retirer à l'issue de ces exercices, et ce qu'il n'a pas fait malgré tous les efforts diplomatiques déployés, au premier rang desquels ceux du chef de l'État.

Je voudrais revenir d'abord sur ce que nous observons grâce à nos satellites qui nous permettent d'avoir notre propre appréciation de la situation, information que nous échangeons bien sûr avec nos alliés. À cette heure, les Russes poursuivent leur offensive sur tous les fronts, que ce soit au sud depuis la Crimée, dans l'est depuis le Donbass en appui des forces séparatistes et au nord où Kiev est encerclée et des frappes en cours, sachant que les forces russes maintiennent par ailleurs un blocus naval en mer Noire et en mer d'Azov. Les frappes des premiers jours ont principalement ciblé des équipements ainsi que des infrastructures militaires et stratégiques afin pour la Russie d'acquérir la supériorité aérienne, mais aujourd'hui la situation est beaucoup plus confuse et les informations devenues difficiles à vérifier. Nous avons de bonnes raisons de penser que les forces armées ukrainiennes résistent bien en livrant des combats acharnés, et même mieux que ce que les Russes avaient anticipé. Cette combativité reflète le courage de tout un peuple qui s'est levé pour défendre son indépendance et ses valeurs, qui sont aussi les nôtres.

J'en viens à ce que nous faisons à titre national et avec nos partenaires et alliés. Nous agissons dans deux directions : il s'agit d'aider les Ukrainiens à se défendre tout en assurant notre propre posture de défense pour que la Russie comprenne bien à quoi elle s'exposerait si elle s'en prenait à l'Alliance. Vous le savez, un engagement direct de nos forces comme de celles de nos alliés pour soutenir l'armée ukrainienne face à la Russie n'est pas une option car cela ferait de nous des cobelligérants dans ce conflit. Un pays comme la France ne peut recourir à la force que s'il est directement attaqué ou dans le cadre des alliances dont il fait partie.

Pour autant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser la résistance ukrainienne démunie face à un ennemi résolu à l'écraser au mépris de toutes les règles du droit international. C'est pourquoi nous avons décidé de répondre à l'appel de l'Ukraine et de livrer des équipements de défense. Vous comprendrez que je ne puisse en donner ici le détail. Sachez toutefois que nous parlons d'équipements de protection, de carburant, mais aussi de missiles et de munitions. La représentation nationale a été informée à huis clos ce matin du détail de cette aide.

L'Europe est aussi pleinement engagée dans cette voie. Vous avez suivi les annonces relatives à la décision de livrer des équipements de défense à l'Ukraine pour une valeur de 500 millions d'euros. C'est la première fois que la facilité européenne pour la paix est utilisée depuis qu'elle a été créée l'an dernier. Il s'agit du résultat de mois d'efforts, auxquels la France a pris toute sa part, et je puis vous dire que tout cela n'a pas surgi spontanément des bureaux bruxellois : c'est la concrétisation de ce qui a été engagé, sous l'impulsion du Président de la République, dès le discours de la Sorbonne, en septembre 2017.

Il s'agit donc d'un pas historique pour l'Europe qui a su agir vite et fort. À l'heure de la présidence française de l'Union européenne, nous sommes déterminés à aller encore plus loin pour donner à l'Europe de la défense tous les outils dont elle a besoin. Nous avons décidé hier, avec l'ensemble des ministres de la défense européens, des moyens de coordonner nos aides bilatérales à l'Ukraine. L'état-major de l'Union européenne a été désigné pour répondre aux demandes ukrainiennes en matière d'équipements de protection, d'armements et de munitions. L'Union européenne va également pouvoir s'appuyer sur un hub logistique en Pologne.

Vous le savez, la France est un contributeur majeur à la sécurité de ses alliés. Au lendemain de l'annexion illégale de la Crimée par la Russie, en 2014, les chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance s'étaient accordés sur le déploiement d'une présence avancée renforcée dans les États baltes et en Pologne. Il s'agissait de montrer à tout agresseur potentiel que le territoire des pays baltes et de la Pologne était bien couvert par la garantie de l'Alliance. Nous y avons pris notre part depuis le début, et nous continuerons de le faire, mais la situation créée par l'agression russe nous a conduits à décider du renforcement de ces dispositifs, non pas dans le sens d'une escalade, mais tout simplement pour défendre et rassurer nos alliés de l'Est.

Le Président de la République a été très clair lors du Conseil européen, jeudi dernier, et lors du sommet de l'Alliance, vendredi. Nous allons donc accélérer et renforcer le déploiement déjà prévu de nos avions de chasse dans les États baltes – dès la mi-mars quatre Mirage 2000, appuyés par une centaine d'aviateurs seront déployées en Estonie – et, depuis le 24 février, des patrouilles quotidiennes de deux Rafale et d'un avion ravitailleur décollent depuis la France. Ses avions assurent une patrouille dans les espaces aériens situés sur le flanc est de l'Europe. Par ailleurs, nous renforçons ponctuellement notre dispositif en Estonie : une compagnie d'infanterie de montagne de 200 militaires est en train de rallier ce pays pour être déployée aux côtés de nos alliés danois et britanniques.

Enfin, nous avons accéléré le déploiement de moyens en Roumanie dans le cadre de l'OTAN, comme le Président de la République l'avait proposé dès le mois de janvier. Le déploiement des premiers militaires a eu lieu ce week-end, et une montée en puissance est en cours – avec 500 militaires et leurs blindés –, qui se poursuivra toute cette semaine. Dans un second temps, nous serons rejoints par des alliés, et nous jouerons le rôle de nation-cadre d'un nouveau dispositif de l'OTAN.

Pour terminer, je souhaite vous dire ce à quoi nous nous préparons. La crise que nous vivons a fait brutalement prendre conscience à notre opinion publique que la guerre n'est pas une réalité qui se résume à des conflits asymétriques sur des théâtres éloignés. L'invasion de l'Ukraine et les menaces proférées par le président Poutine à notre égard montrent que notre sécurité se joue directement en Europe Pour le ministère des armées, ce constat n'est pas nouveau : dès 2017, le travail stratégique préparatoire engagé pour notre loi de programmation militaire avait permis de décrire le retour des stratégies de puissance ainsi que leurs conséquences. L'hypothèse d'un conflit majeur en Europe a été pleinement prise en compte dans l'élaboration de la loi de programmation militaire qui, comme le Président de la République l'a souhaité, est une loi de remontée en puissance.

Elle a donné lieu à un travail conceptuel sur la notion de conflit de haute intensité, qui nous a conduits à poser trois questions et, surtout, à commencer d'y répondre. Première question : quelle est notre crédibilité face à un agresseur puissant et déterminé ? C'est tout l'enjeu de la remontée en puissance de notre outil de défense qui, après des décennies de sous-investissement, opère désormais une inversion de tendance afin de moderniser nos forces et de sécuriser un modèle d'armée complet à l'horizon 2030.

Deuxième question : quelle est notre capacité à agir en commun avec nos alliés et nos partenaires ? Soyons clairs, il y a peu d'hypothèses dans lesquelles la France serait engagée seule dans un conflit de haute intensité. Les mesures que j'ai évoquées, il y a un instant, montrent à quel point notre engagement au sein de l'Union européenne comme de l'OTAN constitue une composante essentielle de notre défense. Ainsi, depuis cinq ans, nous avons fait grandir l'Europe de la défense et, grâce aux dispositifs que nous avons construits, comme la facilité européenne pour la paix, nous sommes aujourd'hui capables de réagir vite et fort pour faire face à une situation inédite.

La troisième question sur laquelle je n'élaborerai pas une réponse est relative au niveau de résilience de notre nation et à sa capacité à encaisser des chocs. Il s'agit d'un élément essentiel auquel nous nous sommes attaqués en bâtissant, par exemple, une capacité à surmonter des attaques cyber massives ou des tentatives qui viseraient à paralyser nos satellites.

Mesdames, messieurs les députés, nous vivons un moment historique, historique pour l'Ukraine qui lutte pour sa survie en tant que nation et pour les valeurs que tous les Européens ont en partage, un moment historique aussi pour l'Europe qui doit être à la hauteur. Soit l'Europe fait face, soit elle s'efface. Avec les mesures fortes prises ces jours derniers dans l'unité, nous faisons face, et la France continuera à jouer un rôle moteur dans cette action européenne.

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