Intervention de le contrôleur général des armées Christophe Jacquot

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le contrôleur général des armées Christophe Jacquot, chef du service de la transformation :

Je suis chef du service de la transformation, depuis sa création en 2020. Je propose de vous apporter un éclairage sur la transformation en gendarmerie et sur l'innovation, qui en est un levier fondamental, en lien étroit avec les ministères des Armées.

La transformation s'entend comme l'adaptation dynamique et continue aux évolutions de son environnement, des nouveaux usages, des attentes de la population et des élus, des évolutions sociétales, juridiques et technologiques. Pour répondre à l'ensemble de ces bouleversements et tenir compte de leur accélération, le service a pour mission de piloter l'exécution du plan stratégique du directeur général – plan GEND 20.24 – qui place la population au cœur de la mission et fait du gendarme son principal exécutant. Ce plan s'articule autour de quatre orientations fondamentales regroupant 84 projets de transformation lancés depuis janvier 2020.

Le premier pilier consiste à mieux protéger en développant une offre sur-mesure. Je pense en particulier à l'amélioration de la réponse opérationnelle qui vous a déjà été présentée par le dispositif de gestion des événements (DGE) ainsi qu'au principe de redevabilité et au dispositif de consultation et d'amélioration du service (DCAS), qui pose les bases d'une véritable co-construction de la sécurité avec les élus. Je pense également à la brigade numérique et au ComCyberGend, que le colonel Caniotti décrira tout à l'heure.

Le deuxième pilier consiste à mieux progresser en s'engageant ensemble et en confiance. Plusieurs outils ont été mis en place à cette fin. Il s'agit par exemple des chatbots de ressources humaines qui permettent à tout un chacun de visualiser son parcours au sein de la gendarmerie ou des différents massive open online courses (MOOC) organisés, en particulier celui consacré à l'IA qui sera évoqué par le général Perrot.

Le troisième pilier consiste à mieux équiper en construisant le futur dès à présent. J'évoquerai à ce titre le pack mobilité, qui favorise l'exercice des missions du gendarme au plus près de la population et qui se compose d'un ordinateur Ubiquity, disposant de capacités de consultation et de traitement identiques à celles d'un ordinateur dans une brigade, ainsi que d'un smartphone deuxième génération, le NEO 2, associé à 74 applications. Il s'agit encore du projet GendFabLab, qui permet l'impression en 3D au sein de chaque groupement et qui a émergé en particulier pendant la première crise du covid.

Le dernier pilier consiste à mieux fonctionner en allégeant la contrainte et en libérant les solutions. Nous pouvons citer le projet P4S, assistant à l'élaboration du service qui facilite grandement le travail du commandant de brigade, ainsi que le vote par voie électronique que nous avons favorisé pour le travail de concertation du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie.

En résumé, nous avons pour missions d'anticiper les évolutions, d'accompagner les projets de transformation et de les valoriser, afin de donner au directeur général une vision à la fois globale, actuelle et transverse de l'ensemble des projets de transformation tout en facilitant l'émergence de nouveau projets et l'adoption de nouveaux modes de travail, davantage transversaux, collaboratifs et créatifs.

J'en viens ainsi au sujet de l'innovation en gendarmerie, qui est en réalité le reflet d'un savant dosage d'audace, de créativité et d'adaptation au terrain. En effet, ce que l'on attend d'une innovation, c'est qu'elle facilite l'exercice de la mission du gendarme au service de la population. Un plan de stratégie de recherche et d'innovation a ainsi été mis en place, prolongeant en quelque sorte le plan stratégique GEND 20.24 du directeur général. Celui-ci structure véritablement notre ambition sur le long terme, avec des objectifs clairement définis : faire du cyberespace une priorité, s'engager dans une stratégie d'ouverture de la donnée, mettre en place une IA de confiance au service de la sécurité, placer l'humain au cœur de la transformation numérique, développer la recherche et l'innovation dans les sciences du vivant, au profit des enquêtes judiciaires comme d'une biométrie raisonnée et enfin durcir la protection, alléger l'équipement et augmenter les capacités du gendarme.

Je souhaiterais développer ce dernier point, qui tire les conséquences de l'évolution du contexte d'intervention du gendarme, à savoir une violence d'intensité croissante dans l'environnement des élus comme dans l'environnement intrafamilial ou dans celui de la délinquance. C'est pourquoi il nous faut nous montrer vigilants sur les fondamentaux de l'identité militaire et les aptitudes du commandement à remplir nos fonctions et notre contrat opérationnel. C'est une véritable éthique de l'action qui gouverne l'activité des gendarmes, constituée des vertus et des valeurs associées et héritées de notre appartenance à la collectivité militaire, qui doivent sans cesse être cultivées. Pour accroître cette protection du gendarme, je citerai l'exemple du pack équipement individuel ou du gilet d'intervention trois en un, sorte de gilet pare-balles transformable.

Pour mettre en œuvre cette stratégie de recherche et d'innovation, la gendarmerie peut compter sur un écosystème qui assure le continuum entre l'innovation ouverte, l'innovation dirigée et l'innovation participative, jusqu'au développement industriel. La gendarmerie s'appuie sur l'innovation ouverte, notamment vers les mondes académique et industriel, afin de détecter les technologies dites « de rupture », qui sont en réalité les technologies de demain, pour répondre le mieux possible aux défis à venir. La gendarmerie constitue aujourd'hui une communauté de 300 docteurs et doctorants animée par le Centre de recherches de l'école des officiers de la gendarmerie nationale (CREOGN) et s'inscrit véritablement dans une logique partenariale de recherche fondamentale à finalité opérationnelle, sur la base de 150 accords de collaboration : des accords-cadres avec des partenaires académiques publics, comme avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), et des accords avec l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (INRIA), avec l'Agence de l'innovation défense (AID) partenaire essentiel, ainsi qu'avec l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA).

La gendarmerie s'engage également dans un dialogue avec le secteur privé de l'industrie de défense et de sécurité en particulier, notamment à travers le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT). C'est dans ce cadre qu'elle a organisé, en décembre dernier, l'accompagnement par la gendarmerie de l'innovation, de l'industrie et de la recherche (AGIIR), à la Station F, salon qui s'est concrétisé par des rencontres entre des industriels, notamment des jeunes pousses, et des directeurs de programmes et des chefs de projet de la DGGN.

Pour développer cette culture scientifique et de l'innovation, il est apparu indispensable d'accroître notre ressource scientifique. C'est ainsi qu'en 2021, 52 % des officiers recrutés étaient des ingénieurs ou des personnes titulaires d'un master à dominante scientifique.

Je ne ferai que citer l'innovation dirigée, qui ressort d'une démarche capacitaire, pour consacrer la fin de mon propos à l'innovation participative, à l'accompagnement et à la valorisation des innovations. La démarche participative est un fleuron de la gendarmerie dans la mesure où elle crée une véritable dynamique collective. Elle repose sur une idée simple – celui qui sait est celui qui fait, et sur un principe clairement énoncé par notre directeur général : le droit à l'erreur. Par le biais d'une hotline, grâce à laquelle tout personnel de la gendarmerie peut poser une question à la DGGN, mais surtout grâce à un dispositif d'ateliers d'innovation, rénové en 2021, l'échelon central recueille, sans filtre hiérarchique, les propositions et innovations mises en œuvre au plan local. Celles-ci sont proposées à un comité de suivi de la DGGN, qui a pour mission d'élaborer uniquement avis d'innocuité. Autrement dit, l'administration centrale doit émettre un véritable avis pour s'opposer à une innovation. L'innovation est ensuite ouverte à un vote des utilisateurs. Tout personnel de la gendarmerie peut ainsi s'exprimer sur les meilleures innovations selon le principe suivant : le terrain juge le terrain. Puis les innovateurs voient leur innovation publiée, voire généralisée à l'ensemble de la gendarmerie, les meilleurs étant récompensés lors d'une cérémonie qui leur est consacrée. C'est ainsi que le département de la prospective et de l'innovation (DPI) de mon service anime une véritable communauté d'innovateurs et également de makers, terme aujourd'hui consacré aux créateurs d'objets dans le milieu de l'impression 3D au service de la sécurité. En quinze ans, environ 1 880 bonnes pratiques ont été présentées, dont 780 ont été retenues et environ 10 % généralisées ou proposées à une réplication ou à un partage. Je citerai deux exemples récents : la borne pass sanitaire (qui vérifie la validité d'un pass en flashant un QR code), mis à disposition sur internet en licence ouverte, ainsi que l'application Gendluxe, disponible sur NEO, qui permet aux gendarmes de constater plus efficacement, plus facilement et plus rapidement les infractions liées à la contrefaçon de produits de luxe. En complément de ce dispositif et pour stimuler l'innovation au sein d'un service particulier, il arrive également que nous organisions des hackathons, comme celui qui se tiendra en avril prochain sur le thème du speech to text, c'est-à-dire la transcription du langage oral en langage écrit, avec une école d'ingénieurs partenaire, des ateliers d'idéation, des défis participatifs pour des sujets très concrets (fabrication des visières pendant la crise covid, aménagement sécurisé de coffres de véhicules, etc.). De nombreux projets sont en cours, dont certains sont communs aux Armées et à la gendarmerie, et sont naturellement soutenus par l'AID, tels que NEODK, dispositif mobile de relevé d'empreintes décadactylaires qui évite le déplacement à la brigade et permet d'envoyer au fichier les éléments retenus.

En matière d'accompagnement de la valorisation, le service de la transformation anime à échéance mensuelle une commission de valorisation des innovations qui associe la direction des opérations de l'emploi (DOE) mais aussi la direction des soutiens et des finances (DSF). L'objectif est d'accompagner les innovations dès le départ en fonction de leur degré de maturité, c'est-à-dire de leur donner des conseils de nature juridique, technique, financière, mais aussi de choisir le moyen le plus efficace pour orienter une innovation. Avons-nous atteint le stade de partenariat industriel ? Souhaitons-nous intégrer cela à une démarche capacitaire ou souhaitons-nous déposer un brevet ? Récemment, le drone indoor de criminalistique HANGI a été primé par la ministre des Armées. Celui-ci, au lieu de posséder une hélice extérieure, fonctionne sans troubler l'environnement par le brassement de l'air et peut également être utilisé pour la sécurité d'événements particuliers dans des halls fermés. Nous pouvons aussi citer l'exemple de SGATI, balise de tracking basse consommation reposant non pas sur une technologie GPS classique mais sur la technologie Internet of Things (IoT). C'est ainsi que la gendarmerie a déposé dix brevets, dont celui pour une colle conductrice électrique, celui pour un dispositif de prélèvement de matière osseuse, en lien avec le Muséum national d'histoire naturelle, fortement intéressé par cette innovation, et enfin celui pour le laboratoire mobile d'analyse ADN.

En conclusion, l'innovation est inhérente à l'identité du gendarme. C'est un écosystème qui repose sur l'humain et sur la prise en compte du terrain, pour faire se rencontrer des besoins et des idées, et c'est en s'appuyant sur nos fondamentaux militaires et sur un plan stratégique que l'institution peut anticiper les défis et les attentes des citoyens et des élus en matière de sécurité comme de protection.

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