Intervention de le colonel Pierre-Yves Caniotti

Réunion du mercredi 2 février 2022 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

le colonel Pierre-Yves Caniotti, chef de la division stratégie, prospective et partenariats du ComCyberGend :

J'ai l'honneur de représenter le commandant de la gendarmerie dans le cyberespace, le général de division Marc Boget, qui ne pouvait être présent aujourd'hui. Je me propose de vous apporter un éclairage sur les missions de ce nouveau et grand commandement dans l'environnement complexe au sein duquel nous évoluons, qui nécessite une agilité particulière.

Le cyberespace n'est autre qu'un espace public dans lequel l'ensemble des missions de la gendarmerie trouve à s'appliquer, du renseignement à l'ordre public, et de la sécurité publique à la police judiciaire. La construction de la réponse à la menace cyber est donc particulièrement transverse, impliquant l'ensemble des échelons de commandement mais aussi des services spécialisés. Elle suppose par ailleurs des adaptations permanentes, l'année 2021 ayant été marquée par la création du ComCyberGend.

L'évolution des technologies et services numériques ainsi que l'adaptation continue des modes opératoires des organisations criminelles dresse un état de la menace qui donne le vertige. Sur le plan statistique, le constat est sans appel : l'impact est sérieux et en augmentation constante. Les faits rapportés à la gendarmerie sont en effet en hausse d'une année sur l'autre de 10 à 40 % selon les phénomènes criminels considérés. Le premier enjeu est donc de diminuer le nombre de victimes et d'accompagner celles que nous n'avons pu préserver. Le deuxième enjeu consiste à peser sur la délinquance en ayant à l'esprit que ces groupes criminels sont avant tout constitués en écosystèmes très dynamiques dans leur construction et leur infrastructure, le tout évoluant dans un environnement qui s'affranchit des frontières physiques. Le troisième enjeu est de garantir un haut niveau de compétence pour composer avec l'évolution permanente des technologies et services numériques largement exploités par les organisations criminelles. Parmi les défis que nous relevons d'ores et déjà, figure celui de l'omniprésence numérique et du volume toujours plus important de données à traiter, qui oblige le gendarme à acquérir des compétences spécifiques en sus de l'ensemble des compétences métier qu'il détient déjà ; le défi du chiffrement, dont le développement nécessite la mise en œuvre de technologies de pointe et de modes d'action innovants ; le défi des cryptomonnaies, dont l'utilisation croissante suppose pour les enquêteurs de tracer ces actifs sur internet ; le défi du cloud computing, qui pose des questions juridiques prégnantes nécessitant la mise en place d'actions de coopération à l'international et de normes supranationales.

Pour répondre à ces enjeux, le directeur général a souhaité la création d'un grand commandement du cyber pour la gendarmerie. S'inscrivant pleinement dans sa stratégie GEND 20.24, il est opérationnel depuis le 1er août dernier. Sa vocation est de placer l'ensemble des unités exerçant une mission dans le cyberespace sous une bannière de coordination unique et parfaitement identifiable. Il incarne ainsi la composante numérique que toute mission de la gendarmerie comporte désormais. Il exerce ses missions sur l'ensemble du territoire en appui et au profit de l'ensemble des unités de la maison.

Le ComCyberGend assume d'abord dans le cyberespace l'un des impératifs majeurs de la gendarmerie au quotidien, la proximité numérique, autrement dit le lien avec la population qu'elle protège. En se rendant disponible sur l'espace public internet, en orientant l'usager et les victimes et en diffusant des messages de prévention en lien avec ses nombreux partenaires, il accompagne la transition et est doté à ces fins de structures de prévention, de contact et de première assistance en ligne. Fonctionnant vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, magendarmerie.fr permet d'entrer en contact direct avec un gendarme. Nous avons pour cette unité un nombre de sollicitations en augmentation constante, de l'ordre de 300 à 600 par jour. Parallèlement, en partenariat avec l'ensemble des acteurs participant à diffuser une culture cyber auprès de la population, des acteurs économiques et des collectivités territoriales, le dispositif CyberGEND, pleinement intégré au maillage territorial de la gendarmerie, conduit des actions de prévention à l'aide de contenus élaborés au niveau central par le ComCyberGend et visant à une prise de conscience des dangers liés aux usages numériques afin de s'en prémunir et d'évoluer en sécurité sur les réseaux, participant ainsi à la confiance numérique.

Le ComCyberGend anime ensuite la fonction investigation sur le cyberespace, essentiel pour peser efficacement sur la cybercriminalité, mais aussi sur la criminalité usant du vecteur cyber pour augmenter sa surface d'attaque, pour diversifier ses activités ou les dissimuler. À cet effet, le ComCyberGend s'appuie une nouvelle fois sur le dispositif CyberGEND, qui constitue notre allonge dans les territoires et forme un réseau de 7 000 cybergendarmes aux compétences diverses – investigations simples sur support numérique, investigations complexes, recherches du renseignement sur internet, recherches en source ouverte, enquêtes sous pseudonyme ou encore traçabilité des cryptoactifs – permettant d'apporter en tout point du territoire une même qualité de traitement des faits cyber. Notre ambition est de porter ce dispositif à 10 000 cybergendarmes.

Le ComCyberGend s'appuie également sur le centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N), qui lui est directement rattaché. Le C3N est l'unité de police judiciaire à compétence nationale de la gendarmerie en matière de lutte contre la cybercriminalité. Il se décline en onze antennes régionales au sein des sections de recherche pour agir sur la cybercriminalité du haut du spectre, et nous souhaiterions les porter à trente dans le futur.

Enfin, le ComCyberGend repose sur des compétences techniques de haut niveau, partout sur le territoire, grâce à ses enquêteurs Ntech au sein des plateaux départementaux ainsi qu'à ses ingénieurs experts au niveau central en capacité de procéder à des actes d'investigation sur des supports numériques et d'être projetés sur le terrain lors de constatations, de perquisitions ou d'auditions dans des environnements complexes.

Face à l'événement, les principes militaires de subsidiarité des unités et de complémentarité des moyens président à notre action quotidienne. Suivant un impératif de réactivité, gage de notre efficacité opérationnelle, le dispositif intégré du ComCyberGend vient s'agréger aux échelons territoriaux de commandement et se combine naturellement, autant que de besoin, à d'autres compétences d'exception comme les négociateurs du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) ou les spécialistes de certains milieux maritimes ou aéronautiques pour intervenir au plus vite et au plus près de chaque situation.

Que ce soit sur le segment de la prévention comme sur celui de l'investigation numérique, la gendarmerie s'inscrit résolument dans une démarche collaborative, avec l'ensemble des acteurs, parmi lesquels figurent, pour ce qui relève des actions de prévention plus particulièrement, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), cybermalveillance.gouv.fr ainsi que les associations d'élus et, pour ce qui relève de l'investigation, de nos collègues de la police nationale et des services de renseignement. Le ComCyberGend est également en relation permanente avec les partenaires étrangers, qu'il s'agisse des forces de sécurité intérieure étrangères partenaires comme des experts techniques nationaux de l'écosystème, au travers de groupes fermés d'experts permettant une interaction technique entre les acteurs. En outre, sur le segment de l'investigation, le ComCyberGend recherche systématiquement l'appui d'organismes supranationaux comme Europol afin de permettre à la gendarmerie d'agir efficacement en dehors de nos frontières. Par ailleurs, il contribue activement aux travaux préparatoires, législatifs et réglementaires au niveau national et normatifs au niveau supranational pour garantir aux forces de sécurité intérieure la capacité d'agir.

La militarité des gendarmes du dispositif CyberGEND s'exprime également par leur polyvalence. Se mêlent ainsi compétences métier, compétences techniques et compétences juridiques, que chaque acteur doit détenir, certes à des niveaux divers selon ses fonctions, mais suffisantes pour accompagner les victimes en tout point du territoire, quel que soit leur profil, et pour peser sur la délinquance. Une formation enrichie sur le volet numérique est dispensée aujourd'hui dès la formation initiale. Pour ceux qui témoignent d'emblée d'une appétence pour la matière cyber, des e-compagnies d'élèves gendarmes ont été créées afin de permettre à ces jeunes militaires d'acquérir des connaissances et des compétences dans le domaine de l'investigation numérique. Nous mettons également en œuvre une formation cyber pour tous qui s'appuie sur des formateurs relais dans chaque département et qui vise à diffuser largement une culture cyber dans nos rangs.

Pour nos enquêteurs spécialisés, nous avons développé – et continuons à développer – des partenariats avec des universités pour créer des formations mixtes permettant d'acquérir d'une part des compétences métier avec nos centres de formation, et d'autre part des compétences techniques à l'université. Ces formations sont qualifiantes puisqu'il s'agit de licences professionnelles et de masters spécialisés labellisés par l'ANSSI. Enfin, une réflexion sur les compétences autour du cyber est conduite pour anticiper d'ores et déjà les évolutions à trois à cinq ans relatives aux métiers de l'investigation numérique, du traitement de la preuve numérique et aux métiers de la science de la donnée.

Nous réfléchissons également à la création d'un centre de formation cyber. La gendarmerie a fait des propositions en ce sens et des discussions sont en cours au ministère. Nous travaillons de longue date de concert avec la police nationale et le Centre européen de formation cyber (ECTEG) sur ces questions. Les lignes qui se dessinent à ce sujet sont une implantation en province, au sein d'un établissement qui serait à la fois le réceptacle d'un certain nombre de formations et le lieu où elles sont conçues, tout en ayant pour but de démultiplier les effets en décentralisant certaines formations sur le territoire, y compris en outre-mer. Ces formations auront également vocation à accueillir des partenaires, comme nous le faisons déjà parfois en recevant des fonctionnaires des douanes, des militaires du COMCYBER, des magistrats, etc.

Parallèlement, certains développements technologiques doivent être suivis de près : l'IA, le développement de la 5G, le développement des techniques de chiffrement et bien d'autres. L'appréhension de ces technologies de pointe et de leur impact sur la sécurité des citoyens nécessite le développement de compétences de haut niveau. La gendarmerie dispose à cette fin d'officiers docteurs et doctorants dans chacun de ces domaines. Certains militaires quittent la gendarmerie pour poursuivre leur parcours ailleurs, même si des passerelles leur sont proposées pour rejoindre d'autres institutions afin d'optimiser le temps de service au sein de l'État. Mais la majorité d'entre eux sont attachés à la mission de service public, à leur engagement et à la réalisation concrète de leurs investigations, des constatations à l'interpellation des mis en cause, jusqu'à soutenir leurs travaux au procès pénal. Vous ne trouverez nulle part ailleurs cette continuité d'action, particulièrement enrichissante et valorisante selon ma propre expérience.

Pour conclure, notre dispositif de lutte contre les cybermenaces place la victime au cœur de notre manœuvre, fonctionne selon un mode agile, veille à garantir une même qualité de traitement partout sur le territoire, par une approche intégrée et inclusive répondant à un proverbe que le général de division Marc Boget a fait sien : « Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin. » Ensemble, c'est aussi avec nos réservistes cyber. Selon notre dernier recensement, ils sont en nombre légèrement insuffisant et j'invite donc nos concitoyens à se signaler auprès de nos services pour nous rejoindre. La semaine dernière, nous avons réuni nos réservistes afin de leur présenter nos actions et de les associer à nos travaux portant sur la prévention, sur la conduite de projets, sur des missions d'appui opérationnel selon leurs profils et leurs appétences. Ces derniers sont pleinement mobilisés.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.