Intervention de François Alla

Réunion du mardi 24 mai 2022 à 14h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

François Alla, professeur de santé publique à l'université de Bordeaux :

. – Je m'exprime en tant que chercheur, comme praticien de santé publique et de prévention et comme acteur de la démocratie sanitaire. En ce sens, je fonde mon analyse sur des méthodes et sur des principes, qui sont ceux de la démocratie sanitaire. Ces derniers interrogent à la fois le processus de décision – c'est le volet « démocratie » – et la nature des décisions elles‑mêmes – c'est le volet « sanitaire ».

Je n'ai pas de critique majeure à formuler au titre de la pharmacovigilance et de la pharmacoépidémiologie. Qu'il s'agisse du recueil, de l'analyse ou de la mise à disposition des données, inédite à une telle échelle, en France comme à l'international, je tiens plutôt à féliciter les équipes mobilisées. Je connais d'expérience la lourdeur d'un tel travail.

Pour moi, ce qui pose problème, ce ne sont pas tant les données que la manière dont elles ont été utilisées, ou non, au titre des politiques publiques.

La communication sur les effets indésirables n'a pas été loyale : elle n'a pas permis le consentement « libre et éclairé » qu'exige le code de la santé publique.

En réalité, cette communication ne pouvait qu'être inadaptée, car elle était au service d'une stratégie inadaptée.

La France a explicitement mis en œuvre une stratégie de masse visant une immunité collective que l'on sait pourtant inaccessible par la vaccination, du moins par la vaccination seule. S'ils ralentissent la diffusion de l'infection, les vaccins ne permettent pas de l'arrêter. Ils permettent surtout – c'est leur principale qualité – de réduire la probabilité des formes graves.

La mesure de santé publique la plus évidente était donc de tout mettre en œuvre pour vacciner les personnes les plus à risque de formes graves, du fait de leur âge, de leur état de santé ou de la combinaison des deux. Or on a clairement fait l'inverse en France – les chiffres le confirment jusqu'à aujourd'hui – en vaccinant tous azimuts.

Une mesure universelle est par nature génératrice d'inégalités : qui va s'emparer des modalités de vaccination ? Les plus jeunes et les plus favorisés. Les statistiques françaises le prouvent : les personnes les plus âgées, les plus malades, les plus vulnérables socialement, ainsi que les personnes atteintes d'un handicap sont encore aujourd'hui les moins vaccinées, alors qu'elles en ont le plus besoin.

On s'est targué d'avoir l'une des meilleures couvertures vaccinales d'Europe en population générale ; on se targue un peu moins d'avoir toujours la pire en Europe de l'Ouest pour les plus de 80 ans, qui ont pourtant le plus besoin d'être vaccinés.

C'est un vrai paradoxe, un non‑sens sanitaire et un gâchis médicoéconomique, à l'heure où notre système de santé souffre d'un cruel manque de moyens financiers et humains. En santé publique, il faut aussi se pencher sur l'usage relatif des moyens mis en œuvre.

Cette stratégie d'immunité collective assumée nous a fait oublier des principes éthiques élémentaires, qui font notre contrat social : c'est extrêmement choquant du point de vue de la santé publique.

Je pense en particulier aux enfants et aux adolescents, vaccinés, non pour leur propre bénéfice, mais d'abord pour protéger les adultes.

Je vous renvoie, à ce titre, aux déclarations du début de l'année 2021 : il s'agissait d'abord d'atteindre l'immunité collective faute d'adultes en nombre suffisant.

En juin 2021, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a rappelé à quel point cette instrumentalisation des enfants heurtait les principes fondamentaux de l'éthique en santé. Puis, le discours a changé : faute de pouvoir justifier un bénéfice clinique majeur individuel pour les enfants, on a inventé un bénéfice psycho‑éducatif tout en gardant, en filigrane et sans l'assumer, la communication relative à l'immunité collective.

En annonçant la vaccination des enfants le 6 décembre 2021, le Premier ministre déclarait avoir été contaminé par sa fille de 11 ans. Il expliquait ainsi que les enfants devaient être vaccinés car ils sont des transmetteurs. Il ne s'agissait pas de les protéger, mais de s'en protéger en tant qu'adulte, au mépris des principes fondamentaux de la santé publique.

En matière de vaccination, on ne peut pas mettre en avant le bénéfice collectif sans le fonder sur un bénéfice individuel, qui plus est quand il s'agit de personnes vulnérables comme les enfants.

J'en viens aux questions de communication. Pour vacciner en masse, il fallait vacciner des personnes qui n'en avaient pas un besoin impérieux. Il fallait donc manipuler.

À cet égard, je vous renvoie aux travaux que j'ai consacrés à l'hésitation vaccinale. On se vaccine si l'on se pense vulnérable face à la maladie ; si l'on pense que le vaccin est efficace ; et si l'on pense qu'il est dénué d'effets indésirables. Il fallait donc forcer le trait sur ces trois points pour pousser des personnes jeunes et en bonne santé à se vacciner.

Premièrement, pour renforcer le sentiment de vulnérabilité, on a employé la fameuse stratégie de la peur dès le début de la crise du Covid. Tous les soirs, on a égrainé le nombre de morts à la télévision ; on a multiplié les reportages télévisés sur les jeunes adultes sportifs et en bonne santé, sans comorbidité, hospitalisés en réanimation ; puis, en janvier dernier, lors de la campagne vaccinale des enfants, on a mis l'accent sur le grand nombre de décès d'enfants.

Cette manipulation des esprits était très clairement assumée. Elle est également passée par la manipulation des chiffres : je vous renvoie au compte rendu de l'audition, au Sénat, d'Alice Desbiolles en janvier dernier.

Cette stratégie a par elle‑même de graves effets indésirables. Elle a notamment contribué à l'explosion des problèmes de santé mentale.

Santé publique France le souligne dans un rapport datant de la semaine dernière : près d'un tiers des Français présentent, aujourd'hui, un état anxieux ou dépressif. La France connaît la pire évolution d'Europe en matière de santé mentale. La stratégie de la peur est d'ailleurs proscrite depuis longtemps par toutes les sociétés savantes internationales en matière de santé publique.

Deuxièmement, pour survendre les bénéfices des vaccins, on a multiplié les slogans, comme « Tous vaccinés, tous protégés », qui relèvent des fake news au sens premier du terme.

Troisièmement, on a mis les risques sous le tapis, alors qu'ils avaient été identifiés, et même très tôt pour certains, en France ou à l'étranger. Je pense par exemple aux myocardites, détectées en Israël, l'un des premiers pays à vacciner les adolescents.

J'ai été choqué du traitement réservé aux victimes des vaccins. Elles souffrent dans leur corps, dans leur vie, et méritent considération dans tous les cas. Or, globalement, elles ont été méprisées.

Ainsi, on a rarement employé le terme de myocardite sans ajouter l'adjectif « bénigne », même si, selon les séries, 4 % à 20 % des jeunes en bonne santé qui font une myocardite post‑vaccinale se retrouvent en réanimation ; même si, pendant six mois, ces jeunes ne peuvent plus pratiquer d'activité physique ou subissent des arrêts de travail.

Le discours public et médiatique a procédé, en permanence, à la minimisation des effets ressentis et le mépris est allé jusqu'à la censure sur les réseaux sociaux : je ne parle pas de fake news propagées par les antivax, mais de témoignages de victimes s'exprimant depuis leur lit d'hôpital.

Ainsi, le bénéfice est survendu, notamment pour ce qui concerne l'immunité collective, et les risques sont mis sous le tapis, non au titre des mesures, mais en matière de communication. Or le rapport bénéfices‑risques est un enjeu essentiel.

Quelle est la démarche éthique classique en matière de santé publique, qui aurait dû être celle de la campagne vaccinale dans son ensemble ? La première règle, c'est d'objectiver préalablement ce rapport bénéfice‑risques. La seconde, c'est de garantir la transparence pour que chacun puisse consentir de manière libre et éclairée, en fonction de ses caractéristiques.

Or, à ma connaissance, aucun des avis de la HAS ou de l'ANSM n'a présenté de telles données à l'appui de leurs préconisations. Je pense en particulier au critère de l'état de santé. J'ajoute qu'il était essentiel de contextualiser les informations à la France, car il est extrêmement difficile d'extrapoler les données d'un contexte ou d'un moment à l'autre.

Ces avis se contentaient d'arguments d'autorité pour déclarer que le rapport bénéfices‑risques était favorable, sans donner de chiffres, de preuves ou simplement d'éléments. Dans le pire des cas, les autorités concernées reconnaissaient elles‑mêmes qu'elles n'en savaient rien. L'avis de l'ANSM du 18 janvier 2022, portant sur la dose de rappel chez les adolescents, commençait ainsi : « L'ANSM et l'EMA ne disposent pas encore des données d'immunogénicité, d'efficacité et de sécurité portant sur une dose de rappel chez les personnes âgées de 12 à 17 ans qui permettent d'établir un rapport bénéfices‑risques. » Dans les heures ou les jours suivants, les services du Premier ministre annonçaient que les adolescents de 12 à 17 ans pouvaient désormais recevoir une dose de rappel. Or, en janvier 2022, chez les adolescents doublement vaccinés, le risque de formes graves de la maladie n'était pas nul, mais extrêmement minime.

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