Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du mardi 23 janvier 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission spéciale, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour examiner un texte en procédure accélérée, texte qui, de surcroît, comprend de très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnances.

Le projet de loi a été rédigé sans consultation des organisations syndicales de la fonction publique alors qu'il engage un changement de culture de l'administration et d'organisation de son travail. En outre, la réussite de la réforme dépendra beaucoup de nos agents publics auxquels nous disons ici notre confiance et notre reconnaissance. Enfin, le texte a été écrit sans même attendre le résultat des consultations et des chantiers que vous avez lancés – je pense à CAP 22, le comité d'action publique 2022.

Nous partageons l'objectif d'un renforcement de la confiance des Français dans leurs administrations et dans leurs services publics, mais nous ne souscrivons pas à l'idée selon laquelle ils s'en défieraient. Vous le savez, les services publics sont le patrimoine de ceux de nos compatriotes qui n'en ont pas. Ce sont peut-être les responsables politiques eux-mêmes qui n'accordent pas toute la confiance qu'ils méritent aux administrations et aux agents publics.

Nous légiférons donc à nouveau dans l'urgence sur des préoccupations qui sont pourtant communes à tous les bancs de l'Assemblée : la qualité, l'efficacité et l'accessibilité du service public ; la satisfaction de ses usagers, des entreprises, mais aussi des citoyens et des collectivités locales ; la simplification des procédures et du droit, sa stabilité et sa sécurité. Le droit à l'erreur, le droit au contrôle, le conseil avant le contrôle : pourquoi pas, mais pas n'importe comment, ni dans n'importe quelles circonstances.

C'est parce que nous partageons des objectifs, que nous sommes exigeants sur la méthode et les moyens de telles réformes, qui supposent du temps et des évolutions parfois importantes du travail des agents publics.

Le Conseil d'État soulignait déjà dans son étude de 2013 sur le rescrit comme moyen de sécuriser les initiatives et les projets, que, pour être couronnée de succès, la démarche devait s'accompagner de la dévolution de moyens humains nécessaires et spécifiques.

L'absence de moyens prévus par votre réforme, combinée à la suppression annoncée de 120 000 postes de fonctionnaires, produira des effets en cascade.

Premièrement, elle nuira aux fonctions régaliennes de l'administration, qui assure une application de la loi équitable, et égale pour toutes et pour tous. Développer à moyens constants le rescrit, le droit à l'erreur, le droit au contrôle, les prises de position formelles revient mécaniquement à limiter la capacité de l'administration à mener à bien sa mission, essentielle à notre démocratie, de contrôle du respect des lois par toutes et tous.

Deuxièmement, elle occasionnera des surcharges de travail importantes pour les agents publics. Votre projet de loi décrit de nouvelles procédures en reconnaissant les surcharges de travail qui en découleront, sans jamais envisager de moyens nouveaux.

Enfin, elle placera les agents eux-mêmes dans une situation d'insécurité juridique, et nuira à l'objectif même de la loi. Le Conseil d'État relève dans son avis que le droit au contrôle « dont le champ d'application est extrêmement vaste, pourrait porter atteinte au bon fonctionnement de l'administration au risque d'exposer la responsabilité de l'État et la responsabilité pénale de ses agents ». Nous aurons l'occasion, à travers les amendements que nous défendrons, d'essayer d'améliorer la protection de l'administration et de ses agents.

Au-delà des questions de méthode et de moyens, nous n'imaginions pas que, derrière cette belle philosophie d'une société de confiance, pouvaient se cacher de nouvelles atteintes aux droits ou de nouvelles inégalités.

Quid du droit à l'erreur pour les agriculteurs ? Quid du droit des artisans et autres professionnels vis-à-vis des banques si vous persévérez dans votre volonté de faire disparaître l'obligation de la mention du TEG sur les offres bancaires ? Qu'en est-il de l'article 8, qui, après les ordonnances sur le droit du travail, diminue les sécurités juridiques offertes aux salariés, s'agissant notamment de l'application de la législation en matière de durée maximale du travail, de droit au repos et de détermination du salaire minimal. Nous ne pouvons accepter un tel passe-droit, alors que l'étude d'impact du projet de loi indique que « la possibilité de régulariser une situation est une pratique intégrée au geste professionnel des agents de contrôle de l'inspection du travail ».

Vous avez dit que nombre de nos amendements avaient été adoptés. Certains ne sont que des hochets. Nous nous félicitons toutefois d'avoir obtenu la suppression de l'article 30 par lequel le Gouvernement avait essayé de déréguler totalement le marché du foncier agricole. Mais cela reste très insuffisant à ce stade de nos travaux.

La sécurité juridique et la confiance ne peuvent pas être réservées à quelques-uns. L'État pour une société de confiance ne peut pas être un État qui s'affaiblit. Il doit être un État qui accompagne et conseille chacune et chacun tout en veillant au respect par toutes et tous de nos lois.

La qualité, l'application et le respect des lois ne sont pas dissociables de la confiance que nous voulons toutes et tous restaurer au sein de notre société.

Voilà en quelques mots ce que seront certaines de nos lignes rouges pour l'examen de ce texte, en espérant que nous avancerons dans le bon sens au cours du débat.

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