Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les députés, je suis ravi de pouvoir intervenir devant vous peu de temps après votre élection. Ayant moi-même intégré le Gouvernement il y a seulement quinze jours, je me considère comme faisant également partie des nouveaux.
C'est, bien entendu, un grand honneur pour moi que d'avoir été nommée ministre des Armées par le président de la République. C'est aussi, et surtout, une immense responsabilité. Je mesure l'engagement et le courage des femmes et des hommes du ministère ainsi que les risques auxquels ils sont confrontés. Ces femmes et ces hommes, nous apprendrons à les découvrir ensemble puisque le président de votre commission me disait à l'instant combien il tenait à ce que vous puissiez rendre visite à nos forces et accéder aisément au ministère ainsi qu'aux industries de défense, qui font également partie de notre écosystème.
Pour ma part, je me suis rendue pour la première fois auprès de nos troupes le week-end dernier, lorsque j'ai accompagné le chef de l'État à la réunion du groupe « G5 Sahel », qui se tenait à Bamako, au Mali. J'ai eu l'occasion d'y rencontrer nos soldats qui participent à l'opération Barkhane, et j'ai pu mesurer leur abnégation et leur sens du service. Je veux saluer leur courage, leur esprit de responsabilité, leur dévouement et leur professionnalisme.
Je tiens également à témoigner notre reconnaissance envers toutes celles et à tous ceux qui ont donné leur vie au service de notre pays et de notre sécurité. J'étais, il y a deux semaines, à Pamiers pour rendre hommage au caporal Albéric Riveta tombé le 18 juin dernier au Mali. Il avait vingt-deux ans et venait de Tahiti. Le dialogue que j'ai pu avoir avec sa famille montre la force de son engagement ; ce qui, au fond, lui importait, c'était d'avoir la certitude que ce jeune homme avait réalisé son destin, c'est-à-dire sa passion, qui était de servir son pays. Vous comprendrez que j'en garde une très vive émotion.
Il est de notre responsabilité de nous montrer dignes de l'engagement des femmes et des hommes du ministère des Armées. Votre commission a toujours été un exemple à cet égard, et je suis certaine qu'elle saura se montrer à la hauteur de la gravité et de la force des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Je vous remercie, Monsieur le président, de m'avoir permis de m'adresser à vous si rapidement. J'espère que nous pourrons nouer ces liens de confiance indispensables pour travailler efficacement. J'ai eu l'occasion, dans un lointain passé, de travailler avec la commission des Finances dans un excellent climat ; je ne doute pas qu'il en sera de même avec la commission de la Défense.
Dans cette intervention liminaire, je reviendrai tout d'abord rapidement sur les principaux aspects de notre environnement stratégique actuel, puis j'aborderai le rôle du ministère des Armées et les opérations extérieures auxquelles participent nos soldats. Enfin, je commencerai à tracer avec vous ma feuille de route pour les années qui viennent.
En ce qui concerne notre environnement stratégique, nos armées sont, comme vous le savez, fortement sollicitées, sur le territoire national comme à l'étranger, afin de faire face aux nombreuses menaces qui pèsent sur notre pays. Ces menaces sont de deux natures différentes : d'une part, la menace terroriste, généralement liée à la faiblesse de certains États, et, d'autre part, la résurgence de stratégies de puissance mises en oeuvre par certains pays – j'y reviendrai.
La lutte contre le terrorisme constitue aujourd'hui le principal engagement de nos armées en opération, tant sur le territoire national qu'à l'extérieur. Depuis le début des années 2000, la menace terroriste s'est intensifiée et s'est répandue sous l'effet conjugué de la mondialisation, de l'expansion de l'islam radical et de la faillite de certains États ; c'est ce qui a donné naissance à de véritables franchises planétaires, comme Al-Qaïda.
En Irak et en Syrie, pour la première fois, un groupe terroriste, Daech, a réussi à conquérir un territoire et tenté d'y fonder un État. C'est une évolution du terrorisme à laquelle nos armées ont dû s'adapter, face à un ennemi qui utilise des modes d'action inédits et ne s'interdit aucune pratique, même les plus barbares.
Par ailleurs, nous avons vu s'estomper, ces dernières années, la frontière entre notre sécurité intérieure et celle qui est assurée sur des théâtres d'opérations ou de veille stratégique éloignés. Là encore, le phénomène n'est pas nouveau, mais l'accroissement des moyens de communication et de la mobilité lui a donné une ampleur inédite, qui a été bien prise en compte dans les travaux de préparation des deux derniers Livres blancs de 2008 et 2013. C'est dans ce cadre qu'interviennent aujourd'hui les armées françaises au Levant comme au Sahel.
Cependant, l'importance accordée, de façon bien compréhensible, à la lutte contre le terrorisme ne doit pas nous faire oublier la réapparition de stratégies de puissance mises en oeuvre par un certain nombre de pays. Il ne s'agit pas de débattre ici de la légitimité qu'a tel ou tel pays de vouloir peser sur la scène internationale ; ce sont les moyens utilisés et les tensions qui peuvent en découler qui nous préoccupent.
Deux pays attirent plus particulièrement notre attention.
La Russie, tout d'abord, a effectué ces dernières années un retour remarqué sur la scène internationale : l'occupation d'une partie de la Géorgie puis de la Crimée ainsi que le soutien apporté aux séparatistes ukrainiens en sont autant d'exemples. Par ailleurs, la Russie s'est lancée dans un vaste plan de modernisation de ses capacités militaires, dont elle avait du reste bien besoin compte tenu de l'état de ses forces, et dont elle fait régulièrement montre sur le terrain, en Syrie en particulier. En témoignent également la présence régulière de sous-marins au large de nos ports ou les vols de bombardiers à long rayon d'action en lisière de nos espaces aériens. Ces opérations, qui sont bien entendu destinées à être connues et visibles, participent d'une stratégie d'affirmation de puissance.
La Chine, ensuite, mène une véritable politique du fait accompli en cherchant à transformer unilatéralement la mer de Chine méridionale en une sorte de mer intérieure. Cette politique, qui provoque de nombreuses tensions, s'appuie sur un budget de défense en très forte augmentation et se traduit par l'aménagement systématique d'installations militaires sur des îlots revendiqués par d'autres pays. Si nous ne prenons pas part à ces litiges, nous appelons au règlement pacifique des contentieux et nous sommes extrêmement attentifs au respect de la liberté de navigation reconnue par la convention des Nations unies pour le droit de la mer. Ainsi, nous exerçons régulièrement cette liberté en faisant transiter un certain nombre de bâtiments de la marine nationale dans cette zone, sans provocation mais avec la volonté de montrer que nous entendons exercer les droits reconnus par les conventions internationales.
Ces menaces ne nécessitent pas toutes une réponse militaire, mais elles nous imposent de maintenir des capacités d'intervention fortes et crédibles et de fortifier nos relations avec nos alliés.
Je ne serais pas complète si je ne mentionnais pas la menace « cyber », qui désigne les nouveaux moyens numériques de hacking utilisés par des États ou des substituts d'État pour fragiliser nos systèmes de défense ou perturber le fonctionnement de nos entreprises. L'utilisation du « cyber » par tous nos ennemis est un tournant dans nos stratégies de défense. Cette menace prend des formes multiples ; même des actes anodins peuvent emporter de graves conséquences. Le seul vol de données peut avoir des effets très importants pour notre sécurité nationale. Nous avons ainsi en tête les troubles provoqués récemment par plusieurs cyberattaques de dimension mondiale, dont la dernière a infecté deux millions de serveurs dans le monde. De telles attaques peuvent avoir des conséquences extrêmement concrètes pour nos systèmes de défense comme pour le quotidien de nos concitoyens. Nous devons donc adapter notre système de défense à ce nouveau type d'incursions afin de nous protéger et d'être capables de riposter.
J'en viens à notre revue stratégique. Conformément à l'engagement pris par le président de la République, j'ai lancé, le 30 juin dernier, les travaux d'une revue stratégique de défense et de sécurité visant à actualiser ceux qui avaient été menés dans le cadre des Livres blancs et à prendre en compte ces nouvelles menaces qu'il nous faut comprendre et anticiper. Cette revue stratégique de défense permettra de préparer l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire, qui nous occupera beaucoup au cours de l'année 2018. Sa caractéristique première est d'être un exercice concentré dans le temps et dans la composition de son comité d'experts. Une quinzaine de personnes a été réunie autour d'une personnalité bien connue, spécialiste des questions de défense : le député européen Arnaud Danjean. Les conclusions de cette revue sont très attendues par les acteurs du monde de la défense et de la sécurité. Le comité procédera à de très larges consultations, auxquelles vous serez naturellement associés. J'ajoute que ses conclusions, une fois validées, vous seront formellement présentées, et je suis certaine que le président Danjean aura à coeur de faciliter ce dialogue en prenant en compte les demandes que vous formulerez, le cas échéant.
Dans un contexte changeant, il convient, par ailleurs, d'évaluer les opportunités qui nous sont offertes dans le cadre du renforcement des relations bilatérales que nous entretenons avec nos partenaires et dans celui du projet d'Europe de la défense.
Un des enjeux des années à venir sera le positionnement de certains de nos alliés clés. Je pense à deux d'entre eux en particulier : les États-Unis et la Grande-Bretagne.
Outre-Atlantique, nos alliés américains adoptent actuellement des positions ambiguës et demandent un effort plus important aux nations de l'OTAN sans en garantir ouvertement la sécurité. Nous avons, par définition, confiance en notre allié – puisque c'est notre allié –, mais cette confiance ne doit entamer en rien notre vigilance. Ces termes, vous l'avez remarqué, ont été pesés au trébuchet.
Quant au Royaume-Uni, ses choix en matière de sécurité et de défense à la veille du Brexit sont encore flous ; c'est un facteur d'incertitude supplémentaire. Nous devons donc bâtir notre propre défense pour nous assurer que nos intérêts et nos priorités seront respectés et créer un lien toujours plus étroit avec nos alliés, en particulier européens.
À cet égard, la relation franco-allemande est un pilier de l'Europe de la défense. La réponse allemande à l'invocation par la France de l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne dès novembre 2015 s'est traduite par des engagements nouveaux, tant au Levant qu'au Sahel, engagements qui vont bien au-delà des réponses traditionnelles de Berlin sur les théâtres extérieurs. Nous travaillons sans relâche au renforcement de notre relation bilatérale de défense. Très concrètement, notre coopération militaire se traduit, par exemple, par la formation commune des pilotes et mécaniciens d'A400M français comme allemands ou par la création, à l'horizon 2021, d'un escadron commun d'avions C-130J.
Dans le domaine opérationnel, nous sommes engagés de manière complémentaire sur les mêmes théâtres d'opérations, au Mali ou en Irak par exemple. Nous cherchons par ailleurs à renforcer les engagements opérationnels de la brigade franco-allemande et nous opérerons, en 2018, un déploiement conjoint en Lituanie dans le cadre de la « présence avancée rehaussée » de l'OTAN.
Concernant l'industrie d'armement, la création de KNDS a permis de faire émerger un leader industriel européen.
Enfin, le conseil des ministres franco-allemand qui se tiendra mercredi prochain et qui sera suivi d'un conseil franco-allemand pour la défense et la sécurité permettra de donner un nouvel élan à ce partenariat, décisif pour la relance de la défense européenne.
Qu'en est-il de nos alliés britanniques ? Malgré les incertitudes liées au Brexit, la relation franco-britannique est centrale pour notre défense. Elle est historique et exprime une solidarité fondamentale, renforcée par le statut nucléaire des deux États. Bien entendu, le Brexit ne sera pas sans conséquences sur l'évolution du budget de la défense britannique ; on peut s'attendre à une révision des priorités et un probable rééquilibrage atlantique des Britanniques. In fine, c'est de la volonté politique de la France et du Royaume-Uni de surmonter ces obstacles que dépendra l'avenir des accords très importants de Lancaster House. La France entend donc poursuivre cette coopération, sur le plan opérationnel comme sur le plan capacitaire. Sur le plan opérationnel, une force expéditionnaire commune interarmées a été validée en avril 2016 ; cet outil permettra de faire face à un large spectre de crises, y compris de haute intensité.
Au plan capacitaire, la coopération de défense franco-britannique a été confortée par la revue stratégique de défense et de sécurité conduite par Londres en 2015. Celle-ci doit lancer des projets importants, notamment dans le domaine des missiles, du système de combat aérien futur (FCAS) ou de la guerre des mines. Ces engagements programmatiques ne semblent pas, pour l'heure, être remis en question par Londres. Le succès du premier tir du missile franco-britannique anti-navire léger, le 21 juin dernier, est une illustration très concrète de cette coopération capacitaire et industrielle.
Il importera, quoi qu'il arrive, que le Royaume-Uni reste lié à la France et à l'Union européenne, selon des formes à définir, en matière de défense et de sécurité.
Un mot, maintenant, de l'Europe de la défense. Notre défense doit vraiment s'inscrire dans un cadre européen. À cet égard, nous bénéficions d'une fenêtre d'opportunité assez extraordinaire, puisqu'en décembre 2016, le Conseil européen a approuvé les conclusions du Conseil des affaires étrangères et de la défense et décidé l'établissement d'une capacité militaire de planification et de conduite au niveau stratégique pour les missions non exécutives.
Plus récemment, lors du Conseil européen de juin dernier, les chefs d'État et de gouvernement de l'Union ont promis de « renforcer la coopération au sein de l'UE en matière de sécurité extérieure et de défense » et ont appelé à la mise en oeuvre rapide d'un Fonds européen de la défense. La Commission européenne a immédiatement annoncé qu'il serait doté de 90 millions d'euros dans un premier temps, puis de 500 millions par an à partir de 2020. Nous passons ainsi des lettres aux chiffres, des promesses à la traduction très concrète de véritables engagements. Ce faisant, nous allons pouvoir développer et soutenir l'industrie européenne de la défense, notamment les petites et moyennes entreprises. Le président de la République s'est félicité de ces avancées. Mais il nous appartient de poursuivre nos efforts en matière de construction de l'Europe de la défense, au service d'une Europe qui protège nos concitoyens.
Le renforcement de l'Europe de la défense ne doit pas être compris comme un affaiblissement de notre engagement au sein de l'OTAN ; je suis convaincue que nous avons intérêt à développer les complémentarités entre l'une et l'autre. L'OTAN demeure en effet un élément clé de notre système de défense et nous en restons des membres actifs et vigilants. Dernièrement, lors du sommet de l'OTAN du 25 mai, Donald Trump a marqué les esprits en refusant de s'engager explicitement en faveur de la défense collective des alliés, qui est l'un des fondements de cette organisation. Face à la perspective d'un moindre engagement américain, la relance de l'Europe de la défense, dont j'ai rappelé les jalons et les avancées, est d'autant plus justifiée.
J'ajoute que le maintien de notre attachement à la solidarité atlantique s'accompagne d'une vigilance toute particulière sur les principaux sujets abordés lors du dernier sommet, à savoir le « partage du fardeau », qu'il s'agisse des moyens budgétaires ou de l'engagement des forces, et l'extension des prérogatives de l'OTAN en matière de lutte contre le terrorisme et la question du financement qui s'y attache.
Je voudrais maintenant vous dire un mot du ministère des Armées, avant d'évoquer les récentes réformes de son organisation. Tout d'abord, pourquoi un ministère des Armées plutôt qu'un ministère de la Défense ? La question a fait polémique. Ce choix revêt évidemment une dimension historique, puisqu'il renvoie à la fondation de la Ve République. Au-delà, il s'agit surtout de faire référence de manière très explicite aux femmes et aux hommes, civils et militaires, qui composent nos armées, ainsi qu'à la diversité des missions, des métiers et des talents. Il faut y voir un hommage rendu à leur engagement, à leur professionnalisme et à leur sens du service.
Comme vous le savez, les armées se divisent en quatre forces, dont trois sont placées sous l'autorité de mon ministère.
L'armée de terre, tout d'abord, achève cet été un cycle de deux ans de transformations majeures qui ont débuté au printemps 2015, avec la décision du précédent président de la République de porter les effectifs de la force opérationnelle terrestre de 66 000 à 77 000 hommes. Le ministère a relevé avec succès ce véritable défi en matière de formation et de recrutement.