Bien sûr, car, sans matériels, les soldats ne pourraient remplir les missions qui leur sont confiées.
Je me rendrai à Satory cet après-midi, afin de me rendre compte concrètement de la manière dont nous avons pu mener cette transformation capacitaire en un temps record.
Vous avez raison, Monsieur le président, d'évoquer les équipements, car on m'a fait part du vieillissement du parc actuel des véhicules de combat – dont certains datent des années 1970 –, qui a été soumis à rude épreuve au cours des vingt-cinq dernières années, compte tenu du taux d'utilisation et de l'engagement de nos forces.
Enfin, dans le domaine opérationnel, les engagements sur les théâtres d'opérations extérieurs et le territoire national ont fait l'objet d'un rééquilibrage. Les 20 000 militaires de l'armée de terre actuellement en posture opérationnelle agissent en effet pour moitié sur notre sol, principalement dans le cadre de l'opération Sentinelle.
La marine nationale, quant à elle, a conservé toutes les composantes permettant d'accomplir l'ensemble des missions d'une marine, depuis l'action de l'État en mer jusqu'au combat de haute intensité en mer, sous la mer, dans les airs ou vers la terre. J'irai demain à Toulon à la rencontre des marins pour me faire présenter leurs missions. Fortement sollicitée, comme toutes nos armées, la marine a un niveau d'engagement très supérieur à celui qui était prévu par le Livre blanc de 2013. Il en résulte une usure des matériels, parfois très anciens, et des tensions sur les équipages.
L'armée de l'air, enfin, continue à mener un plan ambitieux de transformation qui se traduit par une modernisation de ses moyens, notamment la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire, et le renforcement de ses capacités opérationnelles et de renseignement. Cette modernisation est essentielle, car elle permet à nos forces aériennes d'assurer un large spectre de missions au service de la protection des Français et de contribuer à la souveraineté de notre pays. L'armée de l'air concourt ainsi à la protection du territoire national en assurant en permanence la police du ciel et protège les Français contre les menaces aériennes, tout en étant très présente sur les théâtres extérieurs, au Levant et au Sahel.
Je tiens également à mentionner un élément très important pour la cohésion et l'efficacité de nos armées ; je veux parler de la chaîne de santé opérationnelle, qui – et c'est une caractéristique de nos armées – garantit au combattant blessé ou malade ses meilleures chances de survie et, le cas échéant, de moindres séquelles, tant physiques que psychologiques : vous savez que nos soldats qui rentrent d'opération peuvent souffrir de très lourds traumas psychologiques. J'ai pu le constater lors de ma visite de blessés à l'hôpital Percy. Ce système de santé nous est envié par beaucoup d'armées pour son exceptionnelle capacité de projection sur le terrain.
Le service du commissariat des armées est également très important pour le bon fonctionnement de nos armées, en particulier en opération, auxquelles il apporte un soutien réactif et adapté. C'est une mission très exigeante, puisqu'il s'agit d'accompagner nos forces au plus près, quelles que soient leurs conditions d'engagement, sur les théâtres d'opérations extérieurs comme sur le sol national, dans le cadre d'opérations telles que Sentinelle.
Notre ministère est également composé de services à dimension civile, dont je citerai les principaux. Le secrétariat général pour l'administration (SGA) a pour mission de piloter l'action du ministère et toutes les politiques transverses ; il est l'administration compétente pour les prestations de service et un acteur central de la modernisation du ministère.
La direction générale de l'armement (DGA) est responsable de l'équipement de nos forces : elle conçoit, commande et évalue les systèmes qui équipent nos armées. Elle joue donc un rôle opérationnel majeur évident, mais c'est aussi un acteur économique décisif puisqu'il est le premier investisseur de l'État.
Enfin, je n'oublie pas les services de renseignement qui relèvent de mon ministère : la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Ils combattent, dans le silence, les menaces contre notre pays, nos intérêts et nos ressortissants, et je voudrais ici leur rendre hommage.
Comme je le soulignais plus tôt, nos armées sont engagées dans des opérations intérieures. En mer et dans les airs, 2 000 marins et aviateurs sont mobilisés au quotidien dans le cadre de missions permanentes, avec les capacités associées : navires, aéronefs, chaînes de détection… Celles-ci sont complétées par des missions plus ponctuelles, notamment pour assurer la sécurité d'événements majeurs tels que le Salon du Bourget.
À terre, l'opération Sentinelle aura mobilisé, depuis trente mois, plus de 140 000 soldats. Ils sont en ce moment 7 000 à être déployés, plus 3 000 en réserve ; cela représente une consommation de moyens considérable. Ces militaires interviennent en complément de l'action du ministère de l'Intérieur face à la menace terroriste. Ils patrouillent en zone publique dans une cinquantaine de départements métropolitains et outre-mer, dans les gares et aérogares, devant les sites culturels ou touristiques, les écoles et lieux de culte, parcourant ainsi jusqu'à 30 kilomètres par jour. Leur vigilance et leur professionnalisme n'ont jamais été pris en défaut : ils ont permis de détourner des attaques potentiellement très graves – je pense aux événements qui se sont déroulés au Louvre ou plus récemment à Orly. Je tiens, du reste, à remercier les élus et les services déconcentrés de l'État pour la qualité de l'accueil qu'ils réservent à nos soldats.
Pour autant, nous ne devons pas oublier que ces opérations sur notre sol ont généré des tensions importantes dans nos armées, principalement l'armée de terre. Pour soulager ces efforts, le ministère a entrepris une rénovation en profondeur de sa politique des réserves, afin de mobiliser plus facilement les réservistes opérationnels au profit des missions de protection. Ce travail porte ses fruits ; il a été amplifié par la création de la Garde nationale, constituée des réservistes en armes des ministères de l'Intérieur et des armées.
Je conclus ce chapitre en vous indiquant que j'ai demandé aux armées de réfléchir à une évolution de l'opération Sentinelle dans la perspective de la sortie prochaine de l'état d'urgence, et ce en étroite coopération avec le ministère de l'Intérieur.
Quelques mots maintenant sur les opérations que nous menons au Levant et sur la lutte contre Daech, puisque l'autre moitié de nos militaires est mobilisée dans des opérations extérieures.
Le Levant constitue aujourd'hui, et c'est compréhensible, le théâtre d'opérations le plus médiatisé de nos armées. La France est intervenue en septembre 2014 à la demande du gouvernement irakien, afin de l'aider à lutter contre Daech, qui venait de s'emparer de Mossoul, deuxième ville du pays. Nous avons alors rejoint la coalition internationale composée de 63 autres États, de l'Union européenne, de la Ligue arabe et, depuis peu, de l'OTAN. Face aux attaques terroristes menées sur notre sol en 2015 depuis Raqqa, nous avons étendu notre action à la Syrie au titre de la légitime défense de notre pays et intensifié notre action.
Notre objectif sur ce théâtre est extrêmement clair : éradiquer la menace que représente Daech. À cette fin, nous aidons les forces locales à venir à bout des djihadistes. Cela signifie concrètement qu'avec nos partenaires de la coalition, nous les formons et les équipons en amont des combats et nous les appuyons avec du renseignement et des frappes aériennes et d'artillerie durant les combats. En parallèle, nous menons une campagne systématique de destruction des infrastructures de Daech. Pour ce faire, nous avons déployé de très importants moyens qui font de la France l'un des principaux contributeurs de la coalition, notamment grâce à nos avions Rafale.
Mais, pour éradiquer durablement la menace de Daech, l'action militaire n'est pas suffisante. La France travaille donc parallèlement à l'apaisement des conflits confessionnels et tribaux en Irak et soutient la politique de réconciliation menée par le Premier ministre irakien.
Grâce à notre action et à celle de nos partenaires, Daech recule sur tous les fronts depuis deux ans. Il a perdu la plupart de ses grandes villes en Irak et se retrouve assiégé dans ses deux capitales : Raqqa et Mossoul. Mais la progression des forces de la coalition dans ces deux villes s'accélère, de sorte que nous sommes optimistes sur l'issue de ces opérations, après de longs mois de combats très durs. Certes, les djihadistes se défendent avec acharnement, et la campagne sera encore difficile, mais son issue ne fait désormais plus de doute.
Le Sahel constitue aujourd'hui le principal théâtre d'engagement des armées françaises, qui y fédèrent les contributions de nombreux partenaires et de la coalition internationale.
À la demande des autorités maliennes, nous sommes intervenus au Mali en janvier 2013 dans le cadre de l'opération Serval, afin de repousser l'offensive des groupes djihadistes et de sauvegarder la capitale, Bamako. En dépit du succès de cette opération, les djihadistes n'ont pas pour autant renoncé au combat : ils se sont adaptés, dispersés et ont étendu leurs actions au-delà des frontières. C'est pourquoi, en août 2014, nous avons décidé de régionaliser notre intervention en passant de l'opération Serval, centrée sur le Mali, à l'opération Barkhane, qui couvre les cinq pays de la bande sahélo-saharienne : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad, soit un théâtre d'opérations de la taille de l'Europe ! L'objectif de cette opération est de lutter contre les groupes djihadistes afin d'empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes. Les armées déploient pour cela des moyens conséquents : plus de 4 000 hommes, plusieurs centaines de blindés et une quarantaine d'aéronefs de tous types.
Aujourd'hui, après quatre années d'intervention, la menace est contenue, mais elle n'est pas éradiquée pour autant. Les terroristes profitent de la précarité et de l'absence de l'État dans certaines régions, en particulier dans le nord du Mali, pour se maintenir et entretenir une collusion permanente avec les trafiquants de tout poil.
Les États sahéliens ont accentué leur coopération dans le cadre du « G5 Sahel ». Une force conjointe antiterroriste a notamment vu le jour, à laquelle la France apporte son soutien. Ce fut l'un des messages majeurs que le président de la République, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et moi-même avons délivré à nos partenaires lors du sommet qui s'est tenu dimanche dernier à Bamako. Cependant, nous sommes conscients que, là comme ailleurs, la solution militaire ne réglera pas tout et qu'une solution politique est nécessaire. Il est donc indispensable de relancer le processus de paix signé en 2015 et dont l'application piétine.
Via l'opération Barkhane, la France apporte également un soutien logistique, des conseils et du renseignement à la Force multinationale mixte (FMM) qui réunit le Nigeria, le Tchad, le Niger et le Cameroun et intervient dans la région du lac Tchad contre le tristement célèbre groupe terroriste Boko Haram.
L'opération Daman est, quant à elle, la troisième plus importante OPEX, avec près de 700 hommes déployés. Elle est la composante française de la mission des Nations unies au Liban, la FINUL, dont l'objectif est de stabiliser le sud du pays.
Un mot de la sécurité maritime. La France demeure une puissance maritime de premier plan. Dans l'océan Indien et dans le Golfe de Guinée, par exemple, nous maintenons un bâtiment qui participe à la lutte contre la piraterie et le terrorisme menée par les coalitions dans le cadre des résolutions des Nations unies. En Méditerranée, nous participons également à l'opération européenne Sophia, qui lutte contre les trafics de migrants et d'armes au large de la Libye.
Cependant, les opérations extérieures à proprement parler ne sont pas les seules sollicitations qui pèsent sur nos armées ; elles veillent aussi sur certaines zones de crise où nous n'intervenons pas directement mais où nos intérêts pourraient être menacés. C'est le cas en Libye où, par les opérations Barkhane, au sud, et Sophia, au nord, et par un soutien à l'Égypte et la Tunisie, à l'est et à l'ouest, nous tentons d'endiguer la menace terroriste et de contenir les nombreux trafics qui se développent sur le sol libyen.
Enfin, la Centrafrique faisait encore l'objet d'une opération spécifique jusqu'à l'an dernier : l'opération Sangaris, lancée en 2013 et conclue en 2016, a permis de mettre fin au chaos et d'empêcher un génocide annoncé. Elle a contribué à la transition démocratique et a passé le relais aux forces de l'ONU et de l'Union européenne.
Cette liste d'engagements est une source de fierté : nous avons sauvé le Mali d'Al-Qaïda, nous avons empêché une guerre civile en République centrafricaine et nous avons presque défait Daech. Ne voyez dans mes propos aucun triomphalisme : je sais qu'il reste beaucoup à faire. Mais j'insiste sur le fait que, malgré des moyens restreints, nos troupes sont parvenues à intervenir sur tous les théâtres d'opérations où leur action était nécessaire.
Cet engagement, remarquable, n'est pas sans conséquences. En effet, notre niveau d'engagement actuel est supérieur de 30 % aux contrats opérationnels prévus dans la loi de programmation militaire. Autrement dit, entre les moyens budgétaires associés à la loi de programmation militaire et le niveau d'engagement des forces, le décalage est de 30 %… C'est dire à quel point les hommes, les femmes et les matériels ont été sollicités. Cette utilisation intensive de nos forces fragilise le capital opérationnel et humain de notre modèle d'armée. Des vulnérabilités apparaissent, qui peuvent d'ores et déjà conduire à des pertes d'aptitudes opérationnelles : nos ravitailleurs aériens ont un âge moyen de cinquante et un ans, 60 % des véhicules blindés ne sont pas au niveau de protection nécessaire ; quant à nos pétroliers ravitailleurs, ils ne respectent pas la réglementation en matière de protection de l'environnement, puisqu'ils sont équipés d'une coque simple et non de la double coque obligatoire. Nos armées souffrent également d'un manque de personnels dans de nombreux secteurs, comme le renseignement, la cyber-sécurité ou la maintenance des équipements. D'un point de vue matériel, les ressources consacrées à l'entretien programmé du matériel ont été, certes, augmentées par mes prédécesseurs, mais elles restent insuffisantes.
J'ai donc l'espoir qu'avec vous, nous pourrons, dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire, mettre en cohérence ce modèle d'utilisation intense de nos forces avec les moyens qui leur sont nécessaires. En tout état de cause, ce sera le premier axe de ma feuille de route : donner les moyens de la réussite à nos forces armées.
Il faut savoir – pardon à ceux qui n'ont pas besoin de ce rappel historique – que depuis dix ans, les moyens du ministère des Armées ont été particulièrement réduits, dans un contexte sécuritaire qui s'est pourtant durci depuis 2014. Le ministère a fortement contribué aux économies de dépenses publiques depuis 2006. Ainsi, entre 2000 et 2016, les crédits de la défense ont connu une quasi-stagnation en euros courants puisqu'ils n'ont progressé que de 2 % alors que, sur la même période, les dépenses publiques ont augmenté de 32 % et celles de l'État de 15 %. Et pour ce qui est des effectifs, depuis 2006, le ministère a perdu 65 000 personnels, soit 20 % du total.
Je le précise d'emblée : mon objectif n'est pas de revenir au statu quo ante. Le ministère a su s'adapter et gagner en efficacité et en efficience. Mais, tout en poursuivant cette transformation, j'entends remettre notre outil de défense au niveau de ses engagements et des missions que lui confie la Nation. Faute de ressources suffisantes, plusieurs pays voisins éprouvent la plus grande difficulté à retrouver une armée assez solide pour assurer ses missions : c'est le cas du Royaume-Uni dont les forces peinent à se régénérer depuis leurs interventions en Irak et en Afghanistan. Nous ne pouvons prendre le risque de voir notre armée incapable d'agir par manque de moyens.
Le président de la République a réaffirmé son engagement de porter, à l'horizon 2025, les dépenses militaires à 2 % du PIB. Je précise que cet effort s'entend hors pensions et hors OPEX, soit 50 milliards d'euros à périmètre constant – certains sont tentés de voir les choses différemment et soutiennent, usant de techniques que vous connaissez parfaitement, que nous sommes déjà à 2 %.