Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 9h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Monsieur le rapporteur général, mes commentaires monétaires resteront sobres – la règle voudrait même que je n'évoque pas du tout la question – mais je crois que nous avons vaincu ce risque de déflation dont il était beaucoup question à la fin de l'année 2015 et au début de l'année 2016. L'inflation était alors négative. C'est alors que l'Eurosystème, formé de la Banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales des pays membres de la zone euro, a renforcé sa politique monétaire et mobilisé plus d'instruments d'intervention. Je crois que cela a été efficace. Nous n'avons cependant pas encore atteint la cible d'inflation de moyen terme ; une inflation proche de mais inférieure à 2 %. Cette cible définit, selon toutes les grandes banques centrales – britannique, américaine, japonaise –, la stabilité des prix ; elle me paraît donc avoir de bonnes raisons d'être. La stabilité des prix ne peut être identifiée à une inflation nulle, qui ne nous offrirait pas une sécurité suffisante face au risque de déflation. Nous progressons, mais la cible n'est pas encore atteinte. La politique monétaire accommodante que nous menons reste donc nécessaire, mais nous adaptons son intensité en fonction de la situation économique et de nos progrès sur le chemin de notre cible. Comme vous le savez, nous avons déjà réduit les achats mensuels de titres, dont le montant est passé, au mois d'avril dernier, de 80 milliards d'euros à 60 milliards d'euros.

Vous avez posé une question importante, évoquée par d'autres parlementaires, sur l'équilibre à atteindre entre la stabilité financière et les nécessités du financement de l'économie. Nous devons avoir en permanence cette préoccupation à l'esprit ; j'y reviendrai à propos des banques et de « Bâle ». Globalement, nous sommes parvenus à cet équilibre. La crainte parfois exprimée par les banques – j'ai moi-même rencontré le comité exécutif de la FBF il y a quelques jours – est excessive si elle revient à dire que les règles de stabilité financière, dont l'édiction était indispensable après la crise, freinent aujourd'hui le financement de l'économie. Lorsque les crédits croissent de 4,8 %, ceux aux ménages de plus de 5 %, il n'est pas sérieux de prétendre que ces règles entravent le financement de l'économie. Au regard des autres pays, européens ou non, nous sommes parvenus à un équilibre.

En ce qui concerne le Brexit et l'attractivité de la place de Paris, que devons-nous faire ? Je continue de croire que le Brexit reste une mauvaise nouvelle – mais d'abord pour l'économie britannique. Cela se vérifie chaque jour ; le FMI vient d'ailleurs de réviser à la baisse ses prévisions de croissance pour l'économie britannique. Pour la première fois, elles seraient significativement inférieures à celles de la zone euro. L'effet négatif du Brexit se fait aujourd'hui sentir au Royaume-Uni, pas du tout dans la zone euro.

Cela étant, dès lors que le Royaume-Uni fait le choix, que nous devons respecter, d'un « hard Brexit », il s'agit de relocaliser en zone euro une bonne partie de la transformation du traitement de notre propre épargne. Plusieurs d'entre vous ont souligné l'abondance de l'épargne des Européens. Chaque année, l'épargne excédentaire par rapport à l'investissement est de 350 milliards d'euros. Cet excédent est aujourd'hui largement traité à Londres, il le sera demain en zone euro ; c'est une opportunité.

À l'intérieur de la zone euro, une compétition oppose les différentes places financières, particulièrement Francfort et Paris. La place de Paris conserve des atouts significatifs, encore renforcés après les annonces faites il y a dix jours par le Premier ministre. Qu'elles concernent la taxe sur les transactions financières ou la taxe sur les salaires, elles sont bienvenues, mais valorisons aussi ce qui a déjà été fait. Je n'oublie pas que le précédent gouvernement avait pris des mesures en faveur des impatriés.

J'appelle de mes voeux une mobilisation collective, y compris une mobilisation des financiers eux-mêmes. Il faut faire valoir un certain nombre d'atouts non fiscaux : Paris jouit de la forte attractivité d'une capitale internationale et d'exceptionnelles infrastructures éducatives et de transport. Nous devons aussi être vigilants sur une certaine image d'instabilité des normes. C'est un handicap, notamment par rapport à l'Allemagne. La question n'est évidemment pas de la compétence de la Banque de France, mais il est important de tracer une perspective fiscale dans la durée, de façon à inspirer confiance à tous ceux qui, aujourd'hui, se posent la question du choix entre plusieurs places financières. Ces réserves faites, l'équipe de France est bien mobilisée et nous avançons dans la bonne direction – mon prédécesseur Christian Noyer joue un rôle important.

Quant à « Bâle III » et aux inquiétudes des banquiers français, disons un mot, monsieur de Courson, des principes qui nous guident dans la négociation. Le comité de Bâle est une instance technique, qui fait des propositions. Il ne lui appartient pas – c'est normal – de décider ; cela incombe au législateur français et européen. Je suis les négociations du comité de Bâle sans y siéger moi-même – la Banque de France est représentée par des directeurs généraux. Il est normal que le comité de Bâle puisse préparer sur ces sujets techniques un certain nombre de recommandations mais elles n'ont pas force normative et il y a toujours une marge dans leur transposition à l'échelon français ou européen.

J'ai parfois un petit débat, presque arithmétique, avec la profession bancaire : s'agit-il de « Bâle III » ou de « Bâle IV » ? Les banquiers, qui jouent un rôle tout à fait utile dans le financement de l'économie, parlent de « Bâle IV ». J'ai pour ma part eu l'occasion de dire publiquement que nous étions pour un accord de « Bâle III » et que nous refuserions un accord de « Bâle IV ».

Quelle est la différence ? Je crois que c'est le coeur du débat. « Bâle III » existe déjà. En 2011, nous avons adopté de nouvelles normes sur le capital des banques et considéré que 80 % du travail est fait. Cela a conduit à une augmentation sensible des fonds propres des banques, pas seulement françaises mais aussi américaines et européennes. Nous considérons que « Bâle III » permet une approche fine des risques, fondée sur les modèles internes des banques, des modèles que nous supervisons et dont nous validons le sérieux. « Bâle IV » consisterait à écarter ces modèles internes au profit du modèle standard. C'est l'approche suivie aux États-Unis. Cela reviendrait à considérer qu'un crédit immobilier ou un crédit aux PME présente le même risque, que ce soit en Allemagne, en France, aux États-Unis ou au Japon ; ce n'est pourtant pas le cas, a fortiori si l'on distingue les crédits banque par banque, chacune n'ayant pas les mêmes clients que les autres. L'approche par des modèles internes, supervisée, permet une appréhension plus fine du risque et est plus pertinente. Nous sommes disposés à travailler sur « Bâle III » et à améliorer les modèles internes, car certaines différences apparues dans les résultats ne paraissaient pas justifiées. Cela ne doit cependant pas entraîner une exigence d'augmentation globale excessive des obligations qui pèsent sur les banques en termes de fonds propres.

Sous ces réserves, que je souligne car la position de la France est très fortement identifiée dans la négociation – notre voix est de celles qui s'expriment le plus fortement autour de la table de « Bâle III », sinon la plus ferme sur les conditions d'un accord –, je crois un accord souhaitable. Cela fait évidemment l'objet d'un débat avec les ministres successifs. S'il n'y avait pas d'accord, nous courrions le risque de mettre en danger tous les acquis de la coopération financière internationale depuis 2009. Nous y reviendrons à propos, notamment, de la question de M. Coquerel, mais je ne prendrais pas à la légère le risque d'une déréglementation aux États-Unis.

Il existe incontestablement une incertitude sur l'attitude américaine, à propos de laquelle M. Bourlanges m'a interrogé. Les États-Unis participent à ces discussions de Bâle. Parallèlement, un certain nombre de documents internes aux États-Unis, dont un rapport du Trésor américain, publié à la mi-juin, suscitent un certain nombre d'interrogations – c'est un euphémisme. La question se posera très sérieusement : au-delà de ce qui est écrit et des questions soulevées, quelle sera l'action des États-Unis ? À cet égard, une distinction me paraît cardinale. Certaines réglementations sont purement américaines : le traitement appliqué aux petites banques, la règle Volcker sur le portefeuille de négociation pour compte propre ne sont pas couverts par les accords internationaux. Les Américains peuvent donc les adapter s'ils le jugent légitime. En revanche, toute une série de règles sont issues de la coopération internationale, et il n'est, à nos yeux, pas question que les États-Unis reviennent en arrière. Si cela arrivait, les risques de crise financière croîtraient, ce qui serait extrêmement dommageable. Pour être tout à fait précis, il y a, parmi les points d'attention, la question du trading book, le portefeuille de négociation, qui concerne les activités de banque d'investissement et de banque de marché, dont beaucoup sont quand même utiles à l'économie : si les Américains envisageaient de s'éloigner des règles internationales, ce serait une alerte extrêmement forte dont nous devrions tenir compte dans notre position à Bâle et dans notre transposition de ce côté-ci de l'Atlantique. Nous sommes vigilants, mais, sous toutes les conditions que j'ai énoncées, je crois qu'il est de l'intérêt de l'économie française et européenne de parvenir à un accord.

Monsieur le président, le taux de livret A n'a pas varié depuis le mois d'août 2015. Il reste de 0,75 %. La semaine dernière, j'ai recommandé qu'il demeure inchangé, compte tenu d'une inflation de 0,7 % en glissement annuel au mois de juin dernier et de l'attractivité retrouvée de ce placement. Pendant toute cette période où le taux est resté stable à 0,75 %, ce qui est en soi une bonne chose l'inflation fut de 0,38 %, soit la moitié du taux du livret A : le pouvoir d'achat de l'épargnant du livret A a été bien protégé.

Madame de Montchalin, je constate effectivement avec vous le niveau élevé de l'épargne et de l'endettement, deux bonnes nouvelles, tout en partageant votre préoccupation : une part très importante de cette épargne est de court terme, placée sur des instruments de taux, par exemple des obligations du Trésor français. Certes, ils servent aussi à l'économie, mais l'épargne de long terme, investie dans les fonds propres des entreprises, n'est pas assez importante. Ce n'est pas une spécificité française, ni la faute du livret A – l'épargne réglementée a sa raison d'être. Les épargnants européens préfèrent la sécurité. Nous devons y travailler. Tout en conservant une forme de protection du capital, comment développer des produits de long terme et des produits investis en actions ? C'est d'ailleurs dans l'intérêt des épargnants, puisque, à long terme les placements en actions sont plus rentables. Les fonds propres des entreprises, qui sont la condition de l'innovation et du développement dans la durée, représentent en France 64 % du PIB, contre 128 % aux États-Unis. Ce n'est pas tout à fait un hasard si l'économie américaine innove bien plus que l'économie française – ou européenne, car les chiffres sont les mêmes chez nos voisins. J'ai eu l'occasion de dire que tout ce qui allait, au moins, dans le sens de la neutralité et de la stabilité fiscales était bienvenu, et que, par ailleurs, il serait bon que les professionnels, notamment de l'assurance vie, puissent réfléchir à des produits orientés sur le long terme, peut-être moins liquides – je ne crois pas que la liquidité soit le plus important pour les épargnants – mais qui conservent une forme de protection du capital tout en bénéficiant du rendement accru des actions. Les fonds euro-croissance sont une esquisse de ce que je viens de décrire, mais ils ne rencontrent pas encore un franc succès...

Madame Louwagie, je crois avoir répondu à vos questions sur le Brexit. Quant à Bpifrance, sur laquelle vous avez produit un rapport fort documenté, elle fait du bon travail. Saluons en particulier deux réussites. Premièrement, Bpifrance est présent auprès des PME et a réussi à insuffler une forme d'esprit d'entreprise. Deuxièmement, Bpifrance a réussi à allier financement par crédit et financement par fonds propres. Cela étant, il existe sûrement des marges d'amélioration. Soyons attentifs à l'évolution des risques. Je n'ai pas l'impression que Bpifrance pèche par frilosité – c'est plutôt l'inverse qui a pu lui être reproché.

Plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, ont posé avec Mme Louwagie la question de l'évolution des taux d'intérêt. Je ferai preuve de la prudence naturelle d'un banquier central, renforcée par la réserve que je suis censé observer en ce moment. Tout d'abord, les taux d'intérêt nominaux ont commencé à remonter depuis l'automne dernier, évolution observée partout en Europe depuis que, l'automne dernier, nous avons touché un point bas. Le sens du mouvement ne fait guère de doute, même si je ne me hasarderais à aucun pronostic sur le rythme de celui-ci. Je parle là des taux longs, entre cinq et dix ans, fixés pour partie par les anticipations sur la politique monétaire et pour partie par les marchés et leur évaluation de la situation économique. Cela étant, le niveau absolu des taux reste bas, comme le relevait M. Bourlanges, et les taux réels, nets de l'inflation, restent extrêmement faibles. Les taux à dix ans restent même négatifs : le taux de l'obligation du Trésor à dix ans est de l'ordre de 0,8 %, alors que l'inflation se situe entre 1,3 % et 1,5 %. Les conditions de financement restent donc extrêmement favorables, et c'est justifié sur le plan économique tant que nous n'avons pas rattrapé ce que les économistes appellent l'écart de croissance par rapport à la croissance potentielle, cette vitesse de croisière dont je parlais – les économistes parlent d'« output gap ». Pardonnez cette image simpliste mais tant que nous n'avons pas atteint la vitesse de croisière, appuyer sur l'accélérateur – la politique monétaire – a du sens. Au fur et à mesure que nous approchons de la vitesse de croisière du moteur, c'est le réglage de celui-ci – ces six clés du succès que j'évoquais – qui devient un facteur-clef.

Je ne crois pas, monsieur Bourlanges, que ces taux trop bas nous fassent courir quelque risque en ce qu'ils fausseraient la vérité des prix. Il est cependant important, tout en menant notre politique monétaire conformément à notre mandat, en visant notre cible d'inflation et compte tenu de la situation économique, de prendre garde au risque de bulle sur telle ou telle catégorie d'actifs et de distorsion des prix. C'est là la responsabilité macro-prudentielle des banques centrales. Globalement, nous avons l'impression qu'il n'y a pas d'écart significatif. Je vous invite d'ailleurs à lire deux documents publics ; au niveau français, le rapport sur l'évaluation des risques du système financier français (ERS) que nous avons publiée à la fin du mois de juin ; au niveau européen, la Financial Stability Review (évaluation de stabilité financière) publiée par la BCE au mois de mai dernier. Nous estimons que les prix sont aujourd'hui globalement en ligne par rapport à une analyse des fondamentaux économiques et à des séries historiques. Cela n'exclut pas des alertes ponctuelles. En France, la question incombe au Haut Conseil de stabilité financière. L'an dernier, nous avons publié un diagnostic argumenté sur l'immobilier commercial à Paris ; nous jugions excessive l'envolée du prix des bureaux. Lors du dernier Haut Conseil, réuni sous la présidence du ministre, à la fin du mois de juin dernier, nous avons marqué notre vigilance sur la dette des grandes entreprises ; nous avons noté une évolution très rapide, peut-être trop, et nous allons travailler sur les raisons du phénomène et les éventuelles dérives associées.

Vous avez également évoqué, monsieur Bourlanges, la transformation de l'ISF en un impôt sur la fortune immobilière. Il n'appartient pas à la Banque de France de se prononcer sur la politique fiscale. Deux remarques cependant : premièrement, tout ce qui pourra favoriser quelque peu l'orientation de l'épargne vers l'investissement productif des entreprises sera plutôt bienvenu ; deuxièmement, quant au risque de ruptures ou de perturbations de marché, j'insiste lourdement sur la question de la prévisibilité et de la stabilité de la norme fiscale. Évidemment, il faut pouvoir changer et améliorer les normes fiscales, mais la changer tout le temps est parfois une maladie française, de nature à compromettre son efficacité.

J'espère avoir répondu à l'essentiel des questions de M. de Courson, exception faite de celle de la date de la prochaine crise financière. La réponse honnête est que nous ne pouvons pas savoir où elle se produira. Des analyses de probabilités sont possibles, et, puisque j'ai cité le risque d'une déréglementation financière américaine, historiquement, beaucoup de crises se sont produites aux États-Unis. L'accroissement de la dette privée dans les pays émergents est un autre risque, qui est l'objet du premier graphique de ma lettre au Président de la République. La dette des grandes entreprises en Chine, au Brésil et dans d'autres pays émergents a énormément augmenté depuis 2007 ; nous devons la surveiller.

Je partage, monsieur Bricout, votre préoccupation. Les offres spécifiques, devenues obligatoires depuis la loi bancaire de 2013, ne sont pas suffisamment développées. Il ne s'agit pas de l'accès même aux services bancaires – cela se passe relativement bien en France, où le taux de bancarisation est l'un des plus élevés des pays avancés, notamment grâce à la procédure de droit au compte gérée par la Banque de France –, il s'agit d'éviter que des clients bancaires en situation fragile, que les banques doivent dorénavant identifier et qui sont au nombre de 2,4 millions en France, ne doivent payer des frais de découvert ou des commissions d'intervention. Celles-ci restent trop élevées parce que les offres spécifiques, reposant sur cartes de paiement à autorisation systématique et nombre limité de chèques, sont insuffisamment développées. Si 250 000 personnes en bénéficient, nous devons cependant faire davantage.

Je ne sais si je peux vous rassurer, monsieur Coquerel, sur l'indépendance de la Banque de France, mais je tenais exactement le même discours sur la dépense publique antérieurement ; vous pourrez le vérifier dans ma lettre au Président de la République de l'année dernière. Je crois profondément au service public et au modèle social européen. Là n'est pas la question. Elle tient à ce que le même modèle social nous coûte dix points de PIB de plus que nos voisins. C'est la question de l'efficacité qu'il faut traiter, nous nous en porterions tous mieux.

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