Mesdames et messieurs, le Président de la République me fait l'honneur d'envisager de me nommer en qualité de président de l'Autorité des marchés financiers.
Cette nomination ne peut intervenir qu'après recueil des avis des commissions de finances des deux assemblées, et je me réjouis de pouvoir nouer avec vous à cette occasion un dialogue fructueux sur les missions de l'AMF et les axes stratégiques qui pourraient être mis en oeuvre. Il est en effet clair dans mon esprit que l'AMF doit travailler en étroite symbiose avec la représentation nationale. Autorité publique indépendante, l'AMF a naturellement, en contrepartie de son indépendance, une responsabilité toute particulière vis-à-vis du Parlement.
Sachant qu'une large partie de cette audition est réservée à l'échange je voudrais concentrer mon exposé liminaire sur quelques axes stratégiques que je souhaite développer si ma nomination était confirmée.
Le code monétaire et financier donne à l'AMF une mission apparemment simple : l'AMF « veille à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers ».
La protection des investisseurs, et in fine des épargnants individuels, est ainsi au coeur des missions mais, pour qu'il y ait des investisseurs, professionnels ou non, il faut des émetteurs d'instruments financiers nombreux et en bonne santé, des intermédiaires performants, des marchés efficaces et des investisseurs bien informés. C'est donc sur toute la chaîne financière qu'il s'agit de veiller.
Or les missions de l'AMF s'exercent dans un environnement en profonde mutation : les modalités de financement de l'économie française évoluent et l'union des marchés de capitaux se met progressivement en place en Europe. Ces mutations interpellent l'AMF, qui se doit de les accompagner de façon résolue.
Les modalités de financement de l'économie française évoluent en profondeur. Je vois deux tendances lourdes ; la première consiste à reporter sur les investisseurs, institutionnels ou particuliers, des risques qui étaient jusqu'à présent portés par les intermédiaires financiers ; la seconde, qui résulte plus d'une volonté de politique économique, consiste à favoriser les financements de long terme, au besoin peu liquides, et si possible en fonds propres, au détriment des investissements liquides et de dette de court terme.
La conjonction des taux très bas, d'exigences réglementaires renforcées sur les intermédiaires financiers traditionnels tels que les banques et les assurances et d'innovations via les FinTechs – qui permettent de rapprocher directement besoins et capacités de financement – conduit à faire supporter par les investisseurs des risques habituellement portés par les intermédiaires professionnels. Les exemples sont nombreux : assurance vie en unités de comptes, fonds de prêts, Euro PP, plateformes de crowdfunding, projet de produit paneuropéen de pension individuelle que la Commission européenne vient de rendre public, tout cela diversifie de façon bienvenue les canaux de financement de l'économie mais génère de nouveaux risques, tant au niveau microéconomique – en particulier la bonne information des investisseurs et la bonne compréhension par eux des risques qu'ils prennent – qu'au niveau macro-prudentiel avec le développement des grands gestionnaires de fonds en parallèle au système bancaire ou assurantiel. Cela renouvelle à l'évidence en profondeur le rôle de l'AMF.
Le seconde tendance lourde est la prise de conscience que le financement de notre économie serait mieux assuré si, au lieu d'investir l'épargne en produits liquides de court terme, on l'orientait directement ou indirectement vers des financements de long terme en fonds propres. En simplifiant sans doute à l'extrême, le financement de projets d'infrastructures appelle des financements longs, le financement de l'innovation appelle des financements en fonds propres.
Or on observe en France une évolution, significativement plus rapide que dans les autres pays européens, de l'endettement des entreprises : crédit bancaire et endettement de marché. Il est donc nécessaire d'inciter au renforcement des fonds propres, et à cette fin, tout doit être fait pour améliorer l'attractivité de notre marché réglementé. L'AMF a là encore un rôle déterminant à jouer.
Par ailleurs, un marché unique des financements se met progressivement en place en Europe : union bancaire d'une part, union des marchés de capitaux d'autre part. C'est une ardente obligation pour assurer, là encore, un meilleur financement de nos économies, et tout particulièrement celui des investissements dont nous avons besoin pour augmenter notre potentiel de croissance. Je n'insiste pas, le gouverneur de la Banque de France a déjà évoqué cela ce matin devant votre vommission.
Mais un marché unique passe par l'émergence de règles communes, et d'une supervision homogène, si ce n'est unique. Le tout dans un contexte de Brexit qui doit faire de l'AMF, de facto, le superviseur de référence dans l'Union européenne. Cela nous commande d'être très présents dans toutes les instances européennes, et singulièrement à l'ESMA (European Securities and Markets Authority), tant en y détachant des agents qu'en participant activement à ses instances de gouvernance. Le rôle de l'ESMA doit être renforcé et la place de l'AMF à l'ESMA doit être prépondérante après le départ de la FCA (Financial Conduct Authority) britannique. Mais pour occuper toute sa place en Europe, l'AMF doit être présente en dehors de l'Europe, par des contacts bilatéraux avec ses principaux homologues et par son action dans les organisations internationales, je pense en particulier à l'Organisation internationale des commissions de valeurs et au Conseil de stabilité financière.
Ces mutations conduisent à adapter la manière dont l'AMF exerce ses missions.
L'AMF est souvent perçue comme le « gendarme des marchés », avec sa surveillance permanente, ses contrôles, ses enquêtes et sa commission des sanctions. Ces missions sont naturellement fondamentales car elles assurent le bon fonctionnement des marchés en réprimant sans faiblesse les abus de marché, en faisant respecter les règles déontologiques, en imposant une information financière de qualité et une publicité non trompeuse, tout particulièrement lorsque les produits sont complexes ou atypiques. Ces missions assurent la confiance des participants de marché. Elles permettent également une connaissance fine de ces marchés, de sa microstructure et des risques qu'ils font courir à nos économies.
Mais ces missions ont une forte dimension européenne et internationale. Moins de 50 % des transactions déclarées et analysées par l'AMF sont issues de prestataires de services d'investissement ou d'entreprises de marché françaises, et donc plus de 50 % viennent de régulateurs étrangers, singulièrement de la FCA britannique, parce que les transactions sur ces valeurs ont lieu à l'étranger. Les enquêtes font régulièrement appel à la coopération internationale, particulièrement avec la FCA. La commercialisation de produits en libre prestation de services à l'intérieur de l'Union – et nous en auront de plus en plus – appelle également une remise à plat, sous l'égide de l'ESMA, de la coopération entre régulateurs home et hosts. Tout ceci rend vitale l'harmonisation et la coopération européenne, et essentielle la coopération internationale.
Mais le rôle de l'AMF est aussi de soutenir et d'aider. D'abord, soutenir l'industrie financière française et la place de Paris pour qu'elles se développent et facilitent de ce fait le financement de l'économie française au plus bas coût possible. Cela consiste à soutenir l'industrie de la gestion et les infrastructures de marché localisées à Paris ainsi que les services proposés par des FinTechs, très innovantes mais qu'il convient d'aider dans le parcours complexe de la réglementation.
Il convient également d'aider les investisseurs, et singulièrement les investisseurs non professionnels, à comprendre les risques qu'ils prennent et, en cas de problème, leur proposer un service de médiation.
Le système financier sera, dans cinq ans, profondément différent de celui que nous connaissons aujourd'hui : plus européen, plus orienté vers le financement direct de l'économie réelle. Cette mutation nécessite la mobilisation coordonnée de toutes les autorités publiques – Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), AMF, Autorité des normes comptables, Banque de France, services du ministère de l'économie – et le soutien résolu du Parlement. Comment traiter de la supervision des chambres de compensation ou des prestataires de services d'investissement sans mobiliser les deux superviseurs et la banque centrale ? Comment surveiller efficacement la commercialisation des produits financiers sans un pôle commun ACPR-AMF ? Comment traiter de l'éducation financière du public sans mobiliser tous les services de l'État ? Comment peser dans les débats internationaux sans coordonner étroitement nos positions ?
À la sortie de mes études, j'ai souhaité me consacrer au service public économique et financier. J'ai rejoint la Banque de France en 1981 : j'y ai trouvé une institution particulièrement ouverte et tolérante.