Intervention de Robert Ophèle

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 11h10
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Robert Ophèle :

Dans mon esprit, cette nouvelle fonction est un mélange de continuité et de changement. C'est une continuité, car j'ai vu comment l'AMF travaillait, et sa singularité par rapport à la banque centrale, ou aux superviseurs des banques et des assurances. Cette singularité tient d'abord au rôle beaucoup plus important de l'AMF dans l'élaboration de la réglementation. Le règlement général de l'AMF n'a pas d'équivalent dans le domaine bancaire ou assurantiel. La commission des sanctions est également une spécificité. Dans mes fonctions précédentes, il s'agissait uniquement de vérifier le fonctionnement d'institutions : leur solidité, et leur fonctionnement conformément aux standards. En plus de ce rôle, l'AMF contrôle les abus de marché – c'est ce que l'on appelle les enquêtes à l'AMF.

J'ai participé, à mon niveau, à la création de l'union monétaire et à celle de l'union bancaire, et je pense que l'un de nos enjeux est maintenant la création d'une union des marchés de capitaux, avec l'émergence d'une supervision unique, pas nécessairement superviseur unique, nous verrons cela. C'est différent, car les marchés ne sont pas identiques à des institutions bancaires ou des assureurs, mais cette union des marchés de capitaux s'inscrit dans le prolongement des deux autres, c'est pour cela qu'il m'a semblé que c'était pour moi une opportunité de servir différemment dans le domaine du service public économique et financier.

Plusieurs questions portent sur le Brexit et ses conséquences, que ce soit pour la réglementation et le marché unique des capitaux, ou pour la place de Paris.

Le Brexit a mis en évidence un certain nombre d'insuffisances, et nous amène à revoir un certain nombre des principes sur lesquels fonctionnent nos marchés. Dans l'Union européenne actuelle, le Royaume-Uni est la place la plus importante. Le départ du Royaume-Uni pose donc un certain nombre de problèmes.

C'est notamment le cas de l'équivalence : quels services financiers des institutions installées en dehors de l'Union européenne peuvent apporter à des acteurs financiers de l'Union ? Le départ du Royaume-Uni met en évidence de façon un peu cruelle que notre conception de l'équivalence vis-à-vis des pays tiers doit être totalement revue, car elle n'a jamais été conçue pour un pays limitrophe de l'Union européenne. La question des infrastructures de marché a été soulevée ; quelles conséquences en tirer ? Les chambres de compensation sont un des exemples les plus emblématiques de ce point de vue ; elles font l'actualité en France comme au Royaume-Uni.

Jusqu'à présent, l'équivalence signifiait que si la réglementation financière était la même dans un pays tiers, et que les institutions y étaient supervisées de la même manière, alors elles pouvaient y faire toutes les opérations puisque nous avions confiance dans la réglementation qui leur était appliquée. Mais peut-on imaginer que 100 % de la compensation d'une classe d'actifs financiers soit réalisée hors de l'Union européenne, avec des règles aujourd'hui complètement équivalentes aux nôtres, mais susceptibles de changer du jour au lendemain ?

Si nous acceptions cela, nous aurions un problème de souveraineté. Il ne s'agit pas de mettre en cause la manière dont la supervision sera faite au Royaume-Uni demain, mais il n'est pas possible de se trouver dans une situation où 100 % des opérations très importantes sont réalisées hors de l'Union européenne, suivant des règles susceptibles de changer du jour au lendemain si ce pays décide de le faire.

Il faut donc trouver une alchimie, et nous discutons actuellement en Europe de la révision du règlement EMIR (European market and infrastructure regulation) pour trouver le bon équilibre en cette matière. Cela nous amène donc à revisiter beaucoup de réglementations.

De plus, beaucoup d'établissements sont prêts à s'installer dans l'Union européenne, et spécialement dans la zone euro, pour poursuivre leurs activités chez nous, mais nous devons éviter qu'il ne s'agisse que de simples « boîtes aux lettres » par le jeu de l'externalisation de fonctions essentielles. Lorsqu'une entreprise s'installe, il faut vérifier la manière dont ses fonctions essentielles sont conduites, car on ne peut pas accepter qu'elles soient externalisées hors de l'Union européenne.

Dans ce cadre, la place de Paris a de nombreux avantages, et un certain nombre de mesures ont été annoncées pour renforcer son attractivité, ou tout du moins réduire son « inattractivité ». Par exemple, si l'on taxe les transactions financières intraday, les entreprises iront ailleurs : c'est un point de non-retour absolu. D'autres mesures ont été annoncées, telles que la création d'écoles internationales, l'installation d'une juridiction auprès de la cour d'appel – qui pourrait traiter en anglais de contentieux internationaux, c'est très important – et d'autres mesures sur le coût du travail. La dynamique est positive, mais beaucoup d'autres places en Europe ont également des atouts. Chaque fois que nous rencontrons des acteurs étrangers qui envisagent de s'installer à Paris, nous organisons une réunion commune avec toutes les instances concernées pour leur expliquer la marche à suivre dans ce domaine.

S'agissant de la réglementation des dérivés sur matières premières agricoles, ce sujet a fait l'objet de débats très durs avec le Royaume-Uni, qui a des positions assez différentes des nôtres. Le Brexit est donc l'occasion de réviser cette politique dans un cadre plus proche des idées que nous défendions, c'est-à-dire que les dérivés sur matières premières agricoles ne constituent pas une exception à la régulation des dérivés de manière générale. On avait tendance à dire que s'agissant de produits agricoles, la réglementation devait être beaucoup plus simple, mais la question est de savoir qui couvre quoi sur ce marché. Les déclarations des positions nous permettent de mieux connaître le poids des différents acteurs. Des limites ont déjà été mises en place, elles devront être revues au bénéfice de l'expérience. Je souhaite que ces dérivés de matières premières agricoles soient localisés en France. Nous avons des marchés de dérivés de blé assez actifs, et une chambre de compensation dédiée. La concurrence sur ces marchés, étrangement, est située aux États-Unis. Il est important de garder la maîtrise en France de ce marché très sensible pour les acteurs économiques français.

S'agissant de l'harmonisation de la coopération européenne, nous considérons qu'il existe trois stades lors de la marche vers une union de marchés de capitaux. Le premier est d'élaborer la règle du jeu commune, le single rulebook, de manière de plus en plus précise. Puis vient le moment où l'on décide que les autorités nationales doivent mettre en oeuvre ce single rulebook. L'ESMA est là pour vérifier cette mise en oeuvre, en organisant des revues par les pairs, ou des résolutions de conflits entre autorités nationales qui n'arrivent pas à se mettre d'accord. La troisième étape survient quand les pays appliquent des règles très proches, et qu'il est décidé de passer à une supervision plus unifiée.

Aujourd'hui, nous sommes entre le premier et le deuxième stade. Les règles communes n'ont pas été complètement élaborées. Il reste à définir les règles de niveau 3 : les modalités pratiques de mise en oeuvre de principes élaborés au niveau réglementaire. Il s'agit d'opinions, de questions et réponses sur des cas concrets de supervision. Tout cela forme un corpus de règles que nous sommes supposés appliquer de façon homogène en Europe, et l'ESMA est là pour le vérifier. Ce cycle n'est pas encore achevé, et nous devons viser une réglementation beaucoup plus intégrée à terme.

J'en viens aux PME et aux ETI, question à la fois simple et compliquée. Tout le monde est d'accord pour dire que les règles, très compliquées, doivent être appliquées de façon proportionnelle. De la théorie à la réalité, il y a toutefois un très large écart. Nous l'avons bien vu avec la « directive prospectus » : le nouveau document n'est pas si simplifié que cela. L'AMF est là pour protéger et aider tous les acteurs, en recherchant les bons vecteurs.

Le cas des ETI est différent de celui des PME. Les ETI se situent à la frontière d'une introduction en bourse et d'émissions obligataires de taille importante. La Banque de France, l'AMF et l'ACPR ont mis en place l'Euro PP, placement privé fondé sur le prêt ou l'obligation, qui répond aux besoins des entreprises dont le chiffre d'affaires est de 10 millions d'euros et plus. Nous avons établi des principes directeurs pour éviter les conflits d'intérêts et la sélection adverse et donc permettre que ce marché se développe de façon cohérente et sûre.

Pour les PME, la solution passe par des fonds qui cherchent à diversifier leurs risques ou par des plateformes. Il faut veiller à ce que ces dernières aient une bonne capacité d'analyse des risques et garantisse une transparence sur les résultats des investissements proposés au cours des années précédentes afin que chacun puisse évaluer le risque pris et soit incité à diversifier ses investissements.

S'agissant du principe ne bis in idem, on sait le coup de tonnerre qu'ont provoqué les Italiens dans le ciel serein des sanctions en Europe. Il a fallu s'adapter. Le régime mis en oeuvre en septembre dernier repose sur un système d'aiguillage avec répartition des dossiers entre l'AMF et le parquet national financier, lequel a toujours la priorité in fine. L'avantage de l'AMF, c'est qu'elle instruit plus rapidement, en l'espace d'une année, délai beaucoup plus court que par la voie pénale.

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