Intervention de élisabeth Borne

Réunion du mercredi 19 juillet 2017 à 16h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

élisabeth Borne, ministre des transports :

Je suis heureuse de venir vous présenter les grandes lignes de la feuille de route du Gouvernement en matière de mobilités. Nous l'avons souhaitée réaliste, ambitieuse et résolument tournée vers l'avenir. Vous le savez, les transports et la mobilité vont continuer à connaître dans les prochaines années des mutations majeures. Les attentes de la population et les besoins de l'économie ont profondément évolué. Par ailleurs, nous devons engager résolument la transition écologique et énergétique. Enfin, la révolution digitale bouleverse notre secteur et offre de nouvelles et nombreuses opportunités.

L'action publique doit donc changer. Pendant les deux derniers quinquennats, la politique des transports a été dominée par de grands plans d'infrastructures ; il nous incombe aujourd'hui d'inventer de nouvelles réponses à tous ces besoins.

Dans ce contexte, le sens que je veux donner à l'action de l'État tient en trois mots, qui sont orienter, protéger et soutenir : orienter les mutations, réguler et protéger dans chacun des secteurs, soutenir les acteurs pour faire face aux nouveaux défis.

Orienter, c'est préparer les mobilités des prochaines décennies avec un objectif clair, celui de la mobilité pour tous et dans tous les territoires, adaptée aux besoins de la population et de l'économie. Deux défis nous pressent d'agir : apporter de nouvelles réponses à ces nouveaux besoins ; agir dans un contexte financier extrêmement contraint sur lequel la Cour des comptes a alerté avec force le 29 juin dernier.

Il existe des besoins auxquels nous répondons mal. Des pans entiers de la population, souvent situés aux franges des métropoles et dans les territoires ruraux, n'ont pas d'alternative à la possession d'une ou de plusieurs voitures pour se déplacer et accéder à la formation, à l'emploi et aux services – et ce ne sont pas des franges de la population mais 40 % de nos concitoyens !

Par ailleurs, des millions de Français subissent chaque jour la saturation des infrastructures existantes, routes ou transports publics. La mobilité a donc un rôle clé à jouer dans la lutte contre les fractures territoriales, contre l'« assignation à résidence » dont a parlé le Président de la République. Cette situation n'est pas acceptable, nous devons repenser nos politiques de mobilité pour traiter ces maux de la société.

Nous devons également les repenser pour tenir compte des nouvelles mobilités qui ont bouleversé notre vie quotidienne ces dernières années et qui ont pour noms autopartage, covoiturage et mobilités actives. Les « bus Macron » ont donné accès à la mobilité à une large population et amplifié celle des citoyens préférant arbitrer par le prix plutôt que par la vitesse. Les véhicules autonomes commenceront d'ici peu à circuler sur nos réseaux et devraient permettre de repenser à terme nos services de transport, notamment dans les zones peu denses. Les services numériques liés à la mobilité ne cessent de se développer et de s'améliorer, ce qui simplifie la vie quotidienne des usagers.

Nous devons enfin repenser nos politiques pour les mettre en cohérence avec une exigence environnementale accrue, vécue non comme une contrainte mais comme une opportunité au coeur d'enjeux industriels, sociaux et sociétaux. La décarbonation des véhicules est à cet égard un impératif stratégique à tous les niveaux.

Les besoins étant ceux-là, nous devons revoir nos priorités d'investissement. En donnant la priorité aux axes lourds interurbains, l'action publique a trop longtemps fait l'impasse sur le traitement des noeuds routiers et ferroviaires, la modernisation des infrastructures existantes et les services associés. L'entretien et la remise à niveau de nos réseaux ferroviaires, routiers et fluviaux sont désormais des préalables inévitables. Ainsi, les déplacements ferroviaires à longue distance, qui représentent moins de un pour cent des déplacements en France, ont mobilisé 16 % des investissements dans les infrastructures au cours des cinq dernières années. Alors que nous venons d'inaugurer simultanément deux lignes à grande vitesse – une première ! – les trains roulent à vitesse réduite sur plus de 5 300 kilomètres de voies ferrées car nous n'avons pas su entretenir nos réseaux de manière satisfaisante. De même, il faudra attendre 2019 pour achever la mise à deux fois deux voies de la RN10… une promesse faite aux élus et aux citoyens dans les années 1970 ! Autant dire que nous n'avons pas non plus été exemplaires dans la mise à niveau de nos infrastructures routières.

La deuxième raison qui nous pousse à nous réformer est le contexte financier, plus que préoccupant. Alors que les engagements de l'État relatifs à de nouvelles infrastructures, hors Grand Paris Express, dépassent 18 milliards d'euros sur les cinq prochaines années, les ressources identifiées s'élèvent à 11 milliards d'euros seulement. Manquent aussi trois milliards d'euros pour entretenir et rénover les réseaux routiers et fluviaux ainsi que nos grands ports. En tout, l'impasse est de 10 milliards d'euros pour la durée du quinquennat.

À cela s'ajoute que, dans le secteur ferroviaire, l'accélération de l'indispensable régénération engagée ces dernières années s'est faite au prix de l'augmentation de 16 milliards d'euros en six ans de la dette de SNCF Réseau. Au-delà de la loi qui a créé le groupe public, la question du modèle économique de notre secteur ferroviaire se pose, en particulier pour le TGV, car nous connaissons une situation paradoxale, avec un réseau à grande vitesse qui s'étend mais dont les prix augmentent, avec le risque subséquent de prix peu attractifs pour les voyageurs et, in fine, d'une sous-utilisation de la capacité sur ce réseau. La SNCF nous indiquant qu'aujourd'hui 70 % de ses dessertes TGV ne sont pas rentables, il est impératif de revoir le modèle avant de l'ouvrir à la concurrence.

La politique actuelle doit donc être révisée en profondeur, car la poursuite de la trajectoire est tout simplement inconcevable. Nous devons changer de paradigme, et pour cela passer d'une politique d'équipement à une stratégie de mobilité. Notre rôle sera moins de construire que d'être l'architecte de l'ensemble des mobilités, en appui des autorités organisatrices et de l'ensemble des collectivités.

Nous devons avoir pour priorités de veiller à l'entretien et la modernisation des infrastructures existantes, et de raisonner davantage en termes de services et non plus seulement d'infrastructures. Cela vaut aussi pour la logistique : il faut certes construire les quelques chaînons manquants majeurs, notamment pour l'accès aux grands ports, mais l'essentiel réside dans la modernisation de l'existant et dans l'optimisation des services – je pense par exemple à l'allocation de capacités ferroviaires ou à la logistique du dernier kilomètre.

Mon second pilier d'action sera la protection. Dans un monde de plus en plus ouvert, protéger consiste à définir le cadre dans lequel les opérateurs vont agir et anticiper les risques, et aussi donner les garanties que l'ouverture à la concurrence, étant donné les distorsions qu'elle peut créer, ne se fasse pas au détriment des salariés, des entreprises et des consommateurs.

Certaines mutations sont inévitables ; l'ouverture à la concurrence dans le ferroviaire et l'urbain en Île-de-France en est un exemple emblématique. Dans ce cas précis, il faudra ouvrir le secteur ferroviaire à la concurrence dès 2020 pour les TGV et progressivement, avant 2023, pour les TER – il est de l'intérêt de la SNCF que les régions n'attendent pas le dernier moment pour se prononcer, et lui évitent de devoir tout changer en bloc. Il nous faudra préparer le cadre social de l'ouverture à la concurrence en Île-de-France ; cette réforme nécessaire ne réussira que si elle se fait avec les agents de la SNCF et de la RATP.

Il faudra continuer à préserver la libre circulation des services et des personnes au sein de l'Union européenne mais pour cela encadrer plus strictement le travail détaché et le cabotage, notamment dans le transport routier de marchandises – ce pour quoi le Gouvernement est pleinement mobilisé à Bruxelles – et lutter contre les pratiques sociales déloyales, dans le transport aérien par exemple. C'est, entre autres actions, par notre détermination à tenir notre position à ce propos que nous parviendrons à redonner « l'envie d'Europe » à nos concitoyens.

Enfin, s'il faut encourager le développement des nouvelles solutions de mobilité, qui permettent de répondre à des besoins insatisfaits ou nouveaux, il faudra aussi s'assurer que les nouveaux acteurs respectent les règles du jeu – qui sont parfois encore à écrire.

Mon troisième pilier, c'est le soutien. Soutenir, c'est structurer et appuyer les filières économiques, qu'il s'agisse de l'industrie, de la logistique ou de la mer. La France a la chance d'avoir des leaders industriels mondiaux reconnus – Airbus, Safran, Alstom, CMA-CGM,... – mais le constat est unanime : il faut rassembler davantage les acteurs.

Aussi, sans se substituer à l'initiative privée, l'État doit s'impliquer plus fortement et clarifier son rôle, qui tient en trois axes majeurs : structurer les filières pour organiser la discussion ; soutenir l'innovation et l'investissement au profit des nouvelles mobilités par le biais, notamment, des appels à projets ; définir les cadres réglementaires adaptés à ces nouveaux écosystèmes. Le modèle qui s'est développé dans l'aéronautique civile montre que lorsque la puissance publique s'implique, elle parvient à porter nos industriels au meilleur niveau mondial, dans un écosystème associant de très grands groupes à des entreprises de toutes tailles et à des start-up en nombre toujours croissant.

Une attention particulière doit être portée à la logistique, dont l'efficacité conditionne le fonctionnement de l'économie et l'attractivité des territoires. Or, c'est un secteur en crise dont les acteurs sont fragilisés et qui peine à orienter les flux vers les modes de transport les moins polluants. De l'action publique dépendra la capacité du secteur à tenir les engagements d'efficacité environnementale et économique et à écrire son futur.

J'en viens au secteur maritime. On a beaucoup dit que la France est une grande nation maritime ; je le pense aussi, mais cela doit se traduire par des actes. Notre pays doit montrer la voie d'un secteur maritime décarboné, responsable et à la pointe des nouvelles technologies. Il nous faudra aussi réfléchir au modèle économique de nos ports, aujourd'hui fragilisés dans la compétition européenne. J'en donnerai pour illustration que la moitié seulement des conteneurs arrivant en France par la mer passe par les ports français : les autres passent par les ports de nos voisins. Nous devons faire bien mieux.

Dans un contexte de forte demande de mobilité, les entreprises doivent pouvoir recruter rapidement et massivement dans des secteurs qui souffrent d'un manque d'attrait. Par des réformes telles que celle de la formation professionnelle, l'État doit contribuer à préparer une main-d'oeuvre qualifiée pour les métiers traditionnels et les nouveaux services de mobilité.

Telles sont les grandes lignes de la feuille de route que je souhaite mener à bien. Elle est ambitieuse, mais elle répond aux défis de notre temps. Ces défis, aussi contraignants soient-ils, doivent nous aider à opérer un virage vers un nouveau modèle d'action publique, davantage à l'écoute des besoins des Français et des territoires, et capable d'y répondre mieux.

C'est le sens de la démarche que le Gouvernement souhaite engager dès le mois de septembre avec les Assises de la mobilité, cadre d'une consultation nationale visant à identifier les besoins et attentes prioritaires des Français en matière de mobilité à l'horizon 2030 et à faire émerger de nouvelles solutions. De très nombreuses initiatives sont prises dans nos territoires, et il peut être bénéfique de partager les bonnes pratiques.

Citoyens, entreprises, organisations non gouvernementales, associations et élus seront invités à se prononcer. Ces Assises seront pilotées par une instance à laquelle participeront évidemment des parlementaires des deux chambres et singulièrement ceux de votre commission. Si vous souhaitez, madame la présidente, associer davantage de parlementaires à la réflexion, je me tiens à votre disposition pour trouver les formes les mieux adaptées à l'expression de leurs idées. Cette consultation sera menée parallèlement à l'audit technique des réseaux routier, ferroviaire et fluvial, pour que soient connus, au moment de débattre, l'état réel de nos infrastructures et leurs besoins de remise à niveau.

Les premiers résultats de cette concertation permettront de tracer des orientations qui seront ensuite soumises pour débat aux autorités organisatrices de transport, conseils régionaux comme agglomérations. L'ensemble des travaux devra se conclure en décembre. J'y insiste : il ne s'agira pas d'une énième consultation sans lendemain. Ces Assises prépareront concrètement la loi d'orientation sur les mobilités qui vous sera soumise au premier semestre 2018. Le texte reflétera une vision à moyen terme de nos infrastructures et la programmation des projets et des financements de l'État, année par année pour cinq ans.

C'est donc une nouveauté : la loi nous contraindra ainsi à équilibrer de façon prévisionnelle, année par année, nos programmes d'investissement. Et c'est bien le Parlement qui portera ces choix structurants, qui peuvent être difficiles.

Le 1er juillet dernier, le président de la République a ouvert la voie à ces grands changements de politique dans son discours de Rennes, prononcé à l'occasion de l'inauguration simultanée de deux lignes à grande vitesse.

Vous l'aurez compris, nous souhaitons enclencher un changement de paradigme. Pour dire les choses brièvement, nous voulons la mobilité pour tous et dans tous les territoires et, à cette fin, ne pas compter uniquement sur de nouvelles infrastructures mais d'abord assurer la pérennité et la modernisation des infrastructures existantes et proposer plus de services de mobilité.

Ces choix, destinés à penser différemment notre politique de mobilité en France, peuvent être difficiles. Il nous faut donc être davantage à l'écoute des citoyens, de leurs besoins prioritaires et de leurs nouveaux usages, en tenant compte de l'impératif de redressement de nos finances publiques. Plus que jamais, nous avons besoin d'acteurs mobilisés en faveur de ces enjeux. C'est le sens des Assises que nous lancerons à la rentrée, et du travail que nous effectuerons ensemble au cours des prochains mois et des prochaines années, ce dont je me réjouis par avance.

J'en viens, madame la présidente, à vos questions.

Nous devrons, dans le cadre des Assises de la mobilité, réfléchir à de nouvelles sources de financement. Il ne s'agit en aucun cas de ralentir les investissements, mais je vous ai dit l'ampleur du manque : 10 milliards d'euros. Je juge indispensable de rénover et d'entretenir le réseau mais il faudra faire des choix et trouver de nouvelles ressources. L'opinion est largement partagée qu'il est illogique que des poids lourds en transit en France, et dont le nombre est tel qu'il conditionne le dimensionnement de nos routes – j'ai parlé de la RN10 mais je pourrais aussi évoquer la RN147, la RN 149 ou la RN2 – ne participent pas aux investissements dans ces infrastructures.

Il ne s'agit pas de répéter l'épisode de l'écotaxe mais de s'y prendre différemment, en tenant compte des spécificités des territoires et en étant à l'écoute de ce que souhaitent les régions – ainsi, l'Alsace souhaitait expérimenter une taxe poids lourds – pour trouver le moyen de faire participer aux investissements les poids lourds, notamment les poids lourds en transit qui, en général, s'approvisionnent en carburant hors nos frontières, s'affranchissant même du paiement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE).

On peut aussi imaginer des solutions locales : ainsi, sur la RN10 dans les Landes, des barrières déployées en pleine voie laissent s'écouler sans péage le trafic local. Le même système est envisagé sur un tronçon de la route Centre-Europe–Atlantique. Alors que nous cherchons des ressources pour financer nos infrastructures, nous ne pouvons nous priver d'une contribution des poids lourds en transit.

Je ne souhaite pas me prononcer pour l'instant sur les deux projets que vous avez mentionnés. Faire la somme des projets un à un nous a conduits dans une impasse. Il nous faut définir une vision d'ensemble ; ce sera l'objet des Assises de la mobilité et de la loi de programmation qui en découlera et que le Parlement assumera avec le Gouvernement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.