Dès son origine, le modèle « SSA 2020 » a été conçu pour être robuste, résistant et résilient face aux évolutions et à la variation de la pression opérationnelle. Cependant, l'environnement a lui aussi changé et certaines de ses évolutions, souvent imprévisibles au départ, constituent des contraintes qui viennent interférer avec la démarche, ou en tout cas qu'il faut prendre en compte. Quelles sont-elles ?
La première d'entre elles porte sur le caractère durable du haut niveau d'engagement des forces armées sur les théâtres d'opérations constaté ces dernières années. Conjuguée à la déflation en effectifs prévue dans la LPM actuelle et à une dynamique de départs spontanés dans le contexte de transformation, induisant un sous-effectif chronique sur des spécialités critiques (médecins généralistes, médecine aéronautique, chirurgiens orthopédistes, etc.), cette pression opérationnelle a engendré, malgré l'apport précieux des réservistes, une sujétion surélevée pour les équipes médicales et chirurgicales du SSA. Ce haut niveau d'engagement, s'il est soutenable sur de courtes périodes, conduit, lorsqu'il est amené à se prolonger, à une usure prématurée du personnel, avec ses conséquences néfastes sur la fidélisation. Il conduit également à se concentrer sur les activités de court terme, indispensables à la réponse aux attentes des forces armées, en utilisant comme variable d'ajustement des aspects à plus long terme, comme la formation continue ou la préparation opérationnelle de nos personnels. Ceci fait peser un risque important sur le maintien des compétences, parce que cette situation est durable.
Le deuxième facteur que je souhaitais évoquer porte sur ce qu'il est convenu d'appeler les « missions nouvelles ». Celles-ci concernent les missions nouvellement apparues à proprement parler, mais aussi les mesures induisant une augmentation d'activités existantes du SSA, toutes ayant pour point commun d'être survenues postérieurement à la conception du modèle « SSA 2020 ». Je pense ici notamment au plan Réserve 2019 et à l'augmentation des effectifs d'active et de réserve de la gendarmerie, dont l'impact sur le SSA est déjà significatif. Ces mesures ont en effet une incidence sur l'activité du SSA, à chacune des étapes de la prise en charge médicale de la population concernée : les visites d'expertise médicales initiales préalables à l'engagement – qui ont augmenté de 80 % depuis 2015 ! –, le soutien médical courant, le soutien d'activités à risques, etc.
Si le SSA a bénéficié en 2015 d'une atténuation de sa déflation pour tenir compte de la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre, ce n'est pas le cas pour les éléments que je viens de citer. La prise en compte de ces missions nouvelles induit une augmentation d'activité difficilement supportable par le service dans son format actuel, et, a fortiori, dans son format cible si la déflation était menée à son terme. Si bien entendu, nous travaillons continuellement en relation avec les armées et la gendarmerie nationale pour proposer et mettre en oeuvre des solutions innovantes en organisation ou en procédures afin de continuer à répondre à leurs besoins, celles-ci ont leurs limites et ne peuvent constituer l'unique réponse à une augmentation significative du périmètre des activités du service de santé des armées.
Un autre facteur que je souhaitais évoquer est l'évolution du contexte sociétal et les difficultés liées à la démographie médicale. Le contexte de la santé publique a beaucoup évolué ces dernières années. Il se caractérise par une démographie des médecins libéraux généralistes en baisse, une féminisation croissante, une tendance à l'exercice de groupe et le souhait d'une bonne qualité de vie, tant professionnelle que personnelle. Ces évolutions ont pour conséquence d'attiser la concurrence entre le SSA et le secteur civil envers une ressource globalement limitée. Le SSA est ainsi confronté au défi de fidéliser ses personnels, notamment praticiens, y compris des jeunes en formation initiale, fortement marqués par l'évolution sociétale. Le maintien d'une attractivité vis-à-vis de praticiens ou de militaires infirmiers et techniciens (MITHA) contractuels est également un facteur majeur pour permettre la réussite de la transformation en cours.
Je voudrais maintenant vous exposer les axes forts que j'ai identifiés pour les années à venir. Nous ne pouvons pas revenir en arrière, car nombre des actions déjà menées ne sont pas réversibles. Face à l'ensemble des constats, positifs comme porteurs de risques, je m'inscris clairement dans la poursuite de la mise en oeuvre des deux axes stratégiques du modèle « SSA 2020 » (concentration et ouverture), tout en l'adaptant aux évolutions de son environnement évoquées plus haut. Le SSA doit faire preuve de réactivité dans les processus, définir de nouvelles orientations pour amplifier son action, mettre en oeuvre les leviers qui lui permettront de surpasser les difficultés actuelles, donner du sens à la transformation et de la confiance en l'avenir, en réponse aux inquiétudes soulevées au sein du SSA par la transformation en cours et par les vives tensions en ressources humaines. J'insisterai sur trois volets.
Premier volet, les ressources humaines, qui sont une priorité absolue. Il est nécessaire d'agir sur plusieurs leviers comme une politique de recrutement majoré de contractuels, permettant de rendre plus souple l'adaptation des effectifs, une politique proactive pour développer la réserve opérationnelle et citoyenne du SSA, avec un objectif de recrutement de 300 réservistes d'ici 2019, la rénovation de la formation initiale des médecins, en lien avec l'école du Val-de-Grâce et le pôle pédagogique lyonnais, afin de la corréler étroitement avec les besoins du service, tant sur le plan militaire que pour les spécialités médicales. Mais vous le savez, il faut dix ans pour former un médecin généraliste et plus d'une quinzaine d'années pour former un spécialiste. Plus globalement, est prioritaire la mise en place d'une politique de fidélisation et d'attractivité s'appuyant notamment sur la définition de parcours professionnels clairs et attractifs avec la modulation de la sujétion opérationnelle en fonction des particularités personnelles, et des éléments de rémunération en accord avec les objectifs poursuivis. Je n'oublie pas l'attention particulière à porter aux personnels insérés au sein des établissements partenaires civils, pour lesquels les premiers retours sont plutôt bons, en termes de développement des compétences, de projection opérationnelle et de qualité de vie professionnelle.
Le second volet consiste à poursuivre l'optimisation des cinq composantes du service, dans une démarche de performance, de valorisation et de facilitation de l'innovation, tout en veillant à la condition des personnels. J'ai deux points d'attention : d'une part la construction des EHCM, qui avance plutôt bien mais avec des points de vigilance sur le plan humain, juridique, organisationnel, financier, infrastructure, et des systèmes d'information, et d'autre part la transformation de la médecine des forces, avec la disparition des directions régionales du SSA et la forte tension en ressources humaines, mais avec aussi des perspectives positives, en parcours professionnels, rénovation des systèmes d'information et une nette amélioration de l'infrastructure. Il s'agira également de réussir la mise en oeuvre de la nouvelle gouvernance du SSA, qui reposera sur une direction centrale recentrée sur ses fonctions stratégiques et une déconcentration des fonctions opératives au sein de directions spécifiques à chaque chaîne. Véritable enjeu de modernisation et de simplification, cette nouvelle organisation du SSA devrait être mise en place au cours du second semestre 2018, sous réserve de signature de l'arrêté d'organisation, actuellement en cours de circuit de validation.
Le troisième volet a pour objectif de préparer dès à présent 2030, en prenant en compte les orientations du chef d'état-major des armées, la feuille de route de la ministre des Armées et celle de la ministre de la Santé. Il implique de s'adapter de façon dynamique et continue aux évolutions en les anticipant autant que possible afin de créer les conditions favorables à l'atteinte de l'ambition opérationnelle. Cette volonté se décline en trois axes matérialisant l'ambition du SSA en termes d'excellence opérationnelle, de qualité de la prise en charge en santé et d'inscription du SSA dans son réseau de partenaires en France et à l'étranger. Le premier axe vise à adapter le soutien médical aux modalités des engagements opérationnels présents et futurs, tout en garantissant la meilleure qualité de prise en charge tout au long de la chaîne santé. Il implique de mener une réflexion sur l'évolution de ce soutien médical en prenant en compte les évolutions techniques et technologiques de la santé, ainsi que les tensions rencontrées dans le domaine des ressources humaines qui vont nous amener à réfléchir à de nouveaux métiers ou à de nouvelles façons d'opérer. Le deuxième axe vise à offrir le meilleur parcours de santé de proximité pour les blessés et les militaires, ainsi que pour la communauté de défense, selon le principe que « ce que nous ne faisons pas, nous l'organisons ». Il implique d'élaborer le projet médical du SSA, c'est-à-dire la façon dont le service répond aux attentes des forces armées et de ses patients, militaires et civils et reposera sur la stratégie santé de défense. Celle-ci sera élaborée dans l'année à venir, en lien avec la stratégie nationale de santé, à laquelle le SSA a d'ailleurs contribué. Le SSA prendra ainsi en compte les évolutions de l'offre de soins et de l'organisation des parcours de santé, en amplifiant la dynamique des partenariats dans les territoires de santé au profit des activités réalisées en propre ou avec les partenaires. Parce qu'optimiser la performance opérationnelle du SSA impose de maîtriser parfaitement les besoins de santé des militaires, le SSA prévoit de se doter progressivement des moyens nécessaires au suivi de l'état de santé de tous les militaires. Une division Expertise et stratégie santé de défense (ESSD) a été créée en préfiguration au sein de la direction centrale du SSA, en vue de caractériser les besoins de santé des militaires, de les prioriser, d'établir des plans de santé impliquant toutes les composantes du SSA pour y répondre, et d'évaluer l'efficacité et l'efficience de ces plans. À cet effet, en lien avec le projet médical du service, nous travaillons à la création d'un Observatoire de la santé des militaires, afin de suivre et d'analyser le niveau de santé des militaires. Le SSA renforcera en parallèle ses activités de prévention, progressivement mises au coeur de l'activité courante des centres médicaux. Également en lien avec le projet médical, le SSA compte redéfinir sa politique de l'expertise médicale d'aptitude, véritable spécificité du médecin militaire, et optimisera ses règles et son organisation pour continuer à répondre aux besoins des armées. Le troisième axe, enfin, aura pour objectif de consolider la place du SSA en tant qu'acteur de santé reconnu dans son réseau de partenaires civils, interministériels et internationaux. Le SSA veillera en particulier à la déclinaison de l'accord interministériel santé-défense dans les territoires de santé, grâce aux partenariats noués ou à venir avec le service public de santé. L'enjeu est désormais de faire vivre efficacement au quotidien l'ensemble des outils mis en place, au service de réalisations concrètes et pérennes sur le terrain, grâce aux relations étroites et constructives qui se construisent depuis quelques années entre acteurs militaires et civils de santé. Pour sa politique interministérielle, le SSA veillera à porter ses contributions dans ses domaines d'expertise propres, comme par exemple la gestion de crise au sens large, et à ne pas engager ses ressources au-delà du juste nécessaire. À l'international, enfin, l'objectif du SSA est de continuer à contribuer à la diplomatie de défense et de s'employer, dans le cadre des actions de coopération multilatérales – au sein des organisations internationales, OTAN et UE essentiellement –, à promouvoir l'interopérabilité et le développement capacitaire en commun.
J'arrive au terme de mon intervention. Vous le voyez, le SSA se place aujourd'hui dans la continuité des actions déjà engagées, tout en prenant en compte l'impératif d'anticiper et de s'adapter aux évolutions de son environnement, en regardant au-delà du modèle « SSA 2020 » et en préparant dès à présent 2030, horizon de la revue stratégique. Cette ambition devra s'intégrer dans le cadre budgétaire qui sera défini dans les travaux de la future loi de programmation militaire et dans l'ambition opérationnelle 2030. Par ailleurs, en tant qu'acteur à part entière du système de santé public, la vision stratégique du SSA tient également compte des orientations de la feuille de route de la ministre de la santé. L'enjeu majeur pour le SSA est de disposer des moyens nécessaires à la poursuite de sa transformation. Seules des mesures volontaristes permettant de gagner la bataille des effectifs sont gages du succès de la transformation du SSA. Nous bénéficions de la pleine écoute de nos tutelles pour la mise en place de ces mesures. Certains jalons importants vont ponctuer cette possibilité dans les mois à venir, qu'il s'agisse de la ratification prochaine de l'ordonnance SSA-INI, de la future loi de programmation militaire ou des projets de lois de finances. Soyez assurés, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, de toute ma mobilisation pour mener le SSA vers son avenir.