Intervention de Antoine Petit

Réunion du mardi 16 janvier 2018 à 17h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Antoine Petit :

J'ai déjà partiellement répondu au sujet des neurosciences. Sans être un spécialiste de l'éducation, j'estime que l'on a fait d'énormes progrès dans la compréhension du cerveau, et qu'il serait dommage ne pas utiliser ces connaissances pour mieux comprendre l'apprentissage. Cela dit, la pluridisciplinarité s'impose dans ce domaine : nous avons besoin à la fois de gens dont la spécialité est d'enseigner à des enfants, et de spécialistes du fonctionnement du cerveau. Ils doivent travailler ensemble, sans que les uns se mettent à vouloir donner des leçons aux autres.

Pour ce qui est de la question de la diffusion des connaissances, ce qui est compliqué, c'est que nous vivons dans un monde où tout est disponible sur le Web, et où l'on est même noyé par l'information. Le CNRS doit s'adapter à la nouvelle façon qu'ont les gens de récupérer l'information, ce qui implique sans doute pour les chercheurs de simplifier leur propos – même s'ils ont horreur de cela, car c'est extrêmement frustrant pour eux. Ainsi, ils doivent être capables de faire de petites vidéos, visibles sur YouTube, pour expliquer un sujet de recherche en trois ou quatre minutes – à l'instar de ce qui se fait dans le cadre de l'opération « Ma thèse en 180 secondes ». C'est un exercice d'une extrême difficulté, mais essentiel si l'on veut attirer le chaland, si je puis dire : pour attirer plus de jeunes vers la science, ce qui est un enjeu essentiel pour notre pays, il faut savoir utiliser les médias qui sont les leurs et s'exprimer d'une façon qui leur est familière. De nos jours, si vous utilisez les mails, vous êtes considéré comme un has been par une bonne partie des jeunes : il faut donc savoir utiliser autre chose si vous voulez communiquer avec eux !

D'une manière générale, le CNRS doit savoir adapter sa communication aux publics auxquels il s'adresse. Sur les territoires, notamment, on n'a pas assez de jeunes qui vont vers les sciences – pas assez de jeunes filles, en particulier –, alors que c'est absolument essentiel pour l'avenir de notre pays. Je suis convaincu que le CNRS a un rôle majeur à jouer dans l'effort collectif que nous devons accomplir dans ce domaine.

Cela rejoint la question de la place de la recherche dans la sphère publique. Vous le savez, je suis président non exécutif de l'IHEST, un institut qui a précisément vocation à rapprocher science et société, et je crois que notre pays souffre du fait qu'il n'y a pas suffisamment d'élites formées par la recherche. Il ne s'agit pas d'être formé à la recherche, mais bien par la recherche, car cela apprend à douter, à rester humble, et à considérer que la question est souvent aussi importante que la réponse, si ce n'est plus – un état d'esprit nécessaire dans le monde d'aujourd'hui, de plus en plus numérique et qui va de plus en plus vite.

Un monde qui va vite, cela suscite une difficulté supplémentaire, à savoir que la vérité d'aujourd'hui ne sera peut-être pas celle de demain. Cela ne signifie pas que l'on s'est trompé, mais simplement que les choses vont vite : le CNRS et les autres organismes de recherche doivent s'efforcer de le faire comprendre aux gens, afin de les amener à se poser les bonnes questions – ce qui rejoint la notion de science citoyenne évoquée précédemment. Cela vaut aussi pour les décideurs : aujourd'hui, il n'est plus concevable de bâtir un plan censé déterminer comment la société va fonctionner pendant les vingt-cinq ans à venir. Les gens sont obligés de se réadapter régulièrement : c'est là un aspect essentiel, qui implique d'introduire une plus grande part de démarche scientifique et de réflexion dans les méthodes de recherche fondant la décision publique.

Pour ce qui est de la pluridisciplinarité, je ne voudrais pas qu'il ait une ambiguïté sur ce que j'ai dit. Vous le savez, le CNRS est organisé autour d'un millier d'unités mixtes de recherche, et l'UMR reste la cellule de base du CNRS et de ses relations avec les universités et les écoles – ce qui constitue une organisation très satisfaisante. Cependant, quand vous voulez monter une équipe pluridisciplinaire composée de biologistes et de mathématiciens, vous n'allez pas demander aux biologistes d'aller dans l'UMR de mathématiques, ni aux mathématiciens d'aller dans l'UMR de biologie : ma proposition, qui devra faire l'objet de discussions avec les personnes concernées, consiste donc à créer, pour des durées déterminées, des équipes pluridisciplinaires – je crois beaucoup à cette forme de pluridisciplinarité.

La question des recrutements est compliquée, et politiquement délicate. Il me paraît important que le CNRS continue à avoir des chercheurs permanents et à en recruter régulièrement, afin d'éviter le phénomène des montagnes russes. Si on ne recrute pas pendant deux ans dans une discipline, il y aura moins de gens à s'inscrire en thèse dans cette discipline ; de ce fait, quand on voudra, six ou sept ans plus tard, recruter des personnels dans cette discipline, on ne disposera pas pour cela d'un vivier suffisant. Il est donc extrêmement important de veiller à ce que les évolutions dans le recrutement soient progressives et, en tout état de cause, à maintenir le recrutement régulier de chercheurs permanents.

Il est tout aussi important d'ouvrir ces chercheurs à l'université et au monde industriel – ce qui correspond à la nature du métier du chercheur, où l'on se remet constamment en question. L'enseignement est un exercice toujours extrêmement enrichissant, mais que les chercheurs doivent pouvoir moduler en fonction de l'évolution de leur carrière : à certains moments, ils sont à plein régime dans le domaine scientifique, ce qui justifie qu'ils fassent de la recherche à temps plein, tandis qu'à d'autres moments, ils sont un peu moins moins productifs, ce qui leur permet de connaître l'expérience extraordinaire consistant à enseigner. Pour pouvoir pratiquer cette modulation, le CNRS doit entretenir un dialogue permanent avec l'université. En résumé, la clé d'un bon fonctionnement est là : le CNRS doit disposer en permanence d'un volume suffisant de chercheurs permanents – notamment parce que c'est l'un des facteurs qui fait que le centre jouit d'une excellente image, qui nous est enviée dans le monde entier –, mais également savoir introduire un peu d'agilité et de flexibilité, en permettant que les chercheurs permanents se consacrent à l'enseignement lorsqu'ils en ont la possibilité.

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