Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur :

Mon ambition est d'essayer de vous convaincre de la nécessité de cette proposition de loi.

Je voudrais vous parler de Mamadou – c'est son vrai prénom –, que nous avons auditionné. C'est un jeune lycéen d'Épinay-sur-Seine qui, il y a quelques mois, se trouvait à la gare du Nord de retour d'un voyage de classe organisé par son lycée à Bruxelles. C'est un lycéen sans problème, noir de peau. Avec deux de ses camarades, il a été contrôlé par la police sans aucun motif, entraîné à l'écart de sa classe. Mamadou dit qu'il est habitué à ces contrôles mais que cette fois-là, en présence de ses camarades de classe, il a ressenti une humiliation plus importante que d'habitude. Il en est résulté une certaine tension, notamment lorsqu'il a posé la question : « Pourquoi est-ce moi qui suis contrôlé ? », alors que, d'habitude, il se laisse faire d'une façon que je dirais « routinière ». Il a fallu l'intervention de l'enseignante auprès des agents de police, qui commençaient à saisir fortement Mamadou par le bras, à le palper, pour que les choses se calment.

Le lendemain, l'enseignante, qui trouvait que ce contrôle n'était pas normal car il ne reposait sur aucun motif, a proposé à Mamadou et à ses camarades de porter plainte. La réaction de Mamadou a été dans un premier temps : « Pourquoi ? C'est pour moi quelque chose d'habituel, je suis contrôlé parfois plusieurs fois par semaine, parfois par les mêmes policiers. » Il a néanmoins porté plainte.

Cette anecdote illustre ce que vivent, comme Mamadou, des millions de jeunes Français, une situation que, pour la plupart d'entre nous ici, ne connaissons pas ou connaissons très peu, et que je qualifierais de discriminatoire. Tous les chiffres, émanant tant du Défenseur des droits que du CNRS, indiquent qu'il y a en effet de la discrimination dans les contrôles d'identité. Le Défenseur des droits affirme que, quand vous êtes d'une couleur de peau différente de celle de la majorité de nos concitoyens, quand, donc, vous appartenez à une « minorité visible », comme on dit, vous avez vingt fois plus de chances d'être contrôlé. Les chiffres du CNRS sont un peu moins élevés mais rapportent tout de même un rapport de un à douze pour les Maghrébins et de un à huit pour les Noirs.

Cette discrimination est à ce point évidente que la Cour de cassation, le 9 novembre 2016, a jugé que les contrôles discriminatoires constituaient une faute lourde commise par l'État, et que, récemment, le Conseil des droits de l'homme de l'Organisation des Nations unies (ONU), lors de son dernier Examen périodique universel, a ciblé la France pour profilage ethnique et contrôle au faciès.

Or le contrôle d'identité est le seul acte administratif, y compris policier, qui ne nécessite ou n'entraîne aucune certification, aucune traçabilité, aucune exposition des motifs.

C'est un phénomène massif puisque, selon les chiffres d'Open Society ou ceux avancés par des députés ces dernières années, notamment M. Gilles Carrez, cinq à dix millions de contrôles sont effectués chaque année. L'effet collectif est évident. Très souvent, ces contrôles, dont nous sommes témoins dans les transports en commun, les quartiers populaires, etc., entraînent ce réflexe, cette idée insidieuse : « Pourquoi est-ce que ce sont toujours les mêmes populations qui font l'objet de ce type de contrôles ? »

Les études sur l'efficacité des contrôles d'identité sont par ailleurs parcellaires, du fait qu'il n'y a pas de traçabilité, pas de statistiques. Toutefois, des recherches ont été conduites, notamment une étude très sérieuse de la direction générale de la police nationale (DGPN), portant sur deux départements, l'Hérault et le Val-d'Oise, entre le 1er avril et le 30 septembre 2014, ainsi que d'autres études menées par le CNRS et des associations. Toutes concordent peu ou prou : seulement 5 % de ces contrôles déclenchent une interpellation ou même une suite quelconque. Cela signifie qu'ils n'ont aucune efficacité. C'est l'un des actes policiers les moins efficaces qui soient.

Pour des millions de personnes, souvent âgées de dix-huit à vingt-cinq ans, notamment dans les quartiers populaires, cela rend toujours plus complexes les rapports avec la police. Mme Christine Lazerges, présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), parle ainsi d'un « abcès de fixation des relations police-population », qui complique l'ordre républicain et le consentement à cet ordre républicain.

De la hiérarchie policière aux simples policiers, y compris syndiqués, tout le monde est contre la remise en question des contrôles d'identité sans motif et contre l'établissement d'un récépissé. On répète souvent qu'il faut simplifier, ne pas accroître la paperasserie. Mais comment simplifier encore quelque chose d'aussi simple, d'aussi banal – alors qu'il ne devrait pas l'être – qu'un acte de police dépourvu de la moindre traçabilité, du moindre document justificatif ? Imagine-t-on, dans les relations entre les citoyens et l'administration en général, qu'un acte administratif, quel qu'il soit, puisse être pris à la discrétion d'un agent sans qu'aucun motif soit nécessaire ?

Les policiers ne sont pas responsables de cette situation. C'est le résultat d'un système lié à la politique du chiffre. Cette procédure permet aux policiers d'être mieux noté, voire promu, et constitue même, selon les propos de certains d'entre eux, un moyen d'affirmer une autorité face à des populations jugées d'approche difficile.

J'ai déjà dit le peu d'efficacité de ces contrôles quant à la détection de faits délictueux. Très majoritairement, si ce n'est presque toujours, ils ne servent à rien. Ils sont dangereux à la fois pour les populations discriminées et pour les policiers eux-mêmes, qui se retrouvent dans une situation conflictuelle par rapport à ces populations. Enfin, et je m'adresse là à ceux qui considèrent qu'il faut sans cesse réduire le train de vie de l'État, ils sont coûteux parce que, pendant qu'un policier contrôle autant de gens, avec un taux d'efficacité de 5 % seulement, il ne fait pas autre chose.

Selon toutes les enquêtes menées au niveau européen, la France se situe parmi les pays où la part des contrôles visant des minorités est la plus élevée. Je l'ai déjà souligné en évoquant les réactions de l'ONU.

Pour vous convaincre, nous vous proposons, avant de généraliser le dispositif du récepissé, d'en faire l'expérimentation pour vérifier dans les faits si ce que nous affirmons est vrai. Cette expérimentation a été menée dans d'autres pays européens, comme l'Espagne et le Royaume-Uni : à chaque fois, les rapports entre la population et les policiers se sont améliorés en même temps que baissait le nombre de contrôles.

L'article 1er de la proposition de loi tend à modifier l'article 78-2 du code de procédure pénale pour prévoir que les officiers de police judiciaire ne procèdent plus à des contrôles d'identité pour des « raisons plausibles » mais pour des « raisons objectives et individualisées ». En effet, la notion de plausibilité est trop large et empêche le policier de s'interroger sur les motivations de son contrôle.

Reprenons le cas du jeune Mamadou. Ayant porté plainte, il a demandé aux policiers pourquoi ils l'avaient contrôlé. Ils lui ont répondu, alors qu'il revenait de toute évidence d'un voyage de classe, qu'il y avait de fortes menaces terroristes et des risques de trafic de drogue. Les policiers ont donc contrôlé un jeune Noir et deux de ses camarades, en raison non pas d'événements précis qui se seraient passés dans le wagon, mais d'un contexte global de terrorisme et de trafic de drogue. Il est donc nécessaire de modifier l'article 78-2.

L'article 2 dispose que le récépissé spécifie le motif du contrôle et le numéro de matricule du policier. Ce document sera remis à la personne contrôlée mais aussi aux services de police, ce qui leur permettra d'élaborer des statistiques et donc de mesurer l'efficacité réelle de ces contrôles. Il permettra aussi aux policiers de mener une réflexion sur la nécessité de ces contrôles discriminatoires et sans motifs. Il permettra enfin aux personnes contrôlées, non pas de ne plus l'être, mais de vérifier si, dans les quartiers populaires notamment, certains policiers procèdent de manière fréquente et sans motifs à ce type de contrôles.

Nous proposons que cette expérience se déroule dans les communes qui en font la demande auprès du préfet. Certaines communes se sont en effet portées volontaires, dont plusieurs communes du Val-de-Marne, Dijon ou Paris. Il n'est bien évidemment pas question d'accorder à ces communes une autorité sur la police nationale mais de mener cette expérimentation dans un contexte favorable. Le recours à l'expérimentation nous évite aussi de nous heurter aux règles de recevabilité financière prévues par l'article 40 de la Constitution.

Cette proposition de loi répond aux déclarations faites par le candidat Emmanuel Macron pendant sa campagne selon lesquelles les contrôles d'identité sont trop nombreux et discriminatoires. Elle répond aussi aux attentes de nombreux collectifs citoyens et d'associations.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à voter ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.