Intervention de Éric Coquerel

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h40
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, rapporteur :

J'observe que certaines réactions laissent supposer que tout va plutôt bien, ou du moins qu'il n'est pas nécessaire de réagir, dans la mesure où la situation actuelle permettrait de dépasser le problème que j'ai défini tout à l'heure. Mais il faudra alors nous expliquer pourquoi l'ONU, la Cour de cassation qui est tout de même la plus haute juridiction française, toutes les associations de défense des droits de l'homme, le CNRS dont j'ai cité les études, la direction générale de la police nationale dont j'ai évoqué l'enquête, le Défenseur des droits dont vient de parler M. Larrivé, auraient dénoncé le caractère discriminatoire de certains contrôles de police. Pourquoi ourdir un tel complot contre la France et contre la police ? On les aurait pointées du doigt uniquement par plaisir ?

Les personnes qui ont contesté l'existence même d'un problème ne répondent pas à cette question. Et elles ne s'expriment pas non plus sur la situation vécue par des millions de nos concitoyens – même s'il n'y en a aucun dans cette salle – qui, en raison de leur couleur de peau, sont contrôlés au quotidien sans qu'ils soient plus coupables le jour où ils sont contrôlés que la veille où ils l'ont déjà été. De fait, le niveau d'efficacité de ces contrôles est infime, tout comme l'est d'ailleurs leur bien-fondé. Pour information, le contrôle est parfois déclenché par la réaction de celui qui ne comprend pas pourquoi on veut encore le contrôler. J'avoue que devant l'ampleur du problème, la réaction de certains de mes collègues m'étonne.

D'autres ont évoqué le code de déontologie. Je rappelle que ce texte est assez généraliste, qu'il n'a pas de valeur juridique, et qu'il ne règle pas le problème de la charge de la preuve. En outre, il ne tient pas compte de ce que l'on pourrait appeler des « instructions orales », souvent évoquées par les personnes que nous avons auditionnées, et qui font que, de la haute administration policière jusqu'à la base, on défend ce genre de pratiques. C'est d'ailleurs pour cette raison que je parle d'un « système », et pas de la responsabilité de tel ou tel policier.

On a mis en avant les plateformes IGPN. D'abord, chacun sait que la plupart de nos concitoyens ne les connaissent pas. Ensuite, les jeunes qui rencontrent ce type de problèmes – et j'en connais dans ma circonscription – ne savent pas qu'ils peuvent porter plainte pour dénoncer des faits qu'ils subissent tous les jours et qui leur paraissent donc presque normaux. Enfin, il est très compliqué pour eux d'aller dans un commissariat porter plainte et de le faire à côté des policiers qu'ils vont mettre en cause. De telles situations ne sont pas évidentes. Il suffit d'entendre les témoignages pour s'en rendre compte.

On nous a dit – je crois qu'il s'agissait de M. Valls – que le récépissé ne marchait pas. Je ferai remarquer qu'il n'a pas été expérimenté en France. On nous a dit aussi qu'à l'étranger, certaines expériences avaient été concluantes. Alors, pourquoi ne pas l'expérimenter ici ? Je m'adresse bien sûr à ceux qui admettent qu'il y a bien un problème, et qui se demandent comment le résoudre.

Pourquoi ne pourrait-on pas mener une expérimentation localement, sur un an ? En quoi cela constituerait-il une insulte à l'égard de la police ? C'est un argument que je ne comprends pas.

D'après certains, dans tous les endroits où il y a eu des expérimentations en matière de récépissé, le nombre de contrôles a baissé. Mais est-ce que la baisse du nombre des contrôles entraîne davantage d'insécurité ? Figurez-vous qu'à New-York, entre 2011 et 2017, les forces de sécurité new-yorkaises ont volontairement fait baisser le nombre des contrôles. Ceux-ci ont baissé de 98 %, mais l'insécurité a également baissé. Il ne faut donc pas laisser penser qu'il y a une corrélation entre le nombre de contrôles et leur efficacité. Tout montre l'inverse.

On a parlé tout à l'heure des caméras piétons. Je ferai remarquer que la caméra est enclenchée par le policier. Dès lors, est-ce que le dispositif peut être utile à la personne qui se fait contrôler et qui aura éventuellement à contester ce qui s'est passé ? Ensuite, il est très coûteux par rapport à un récépissé sur papier. Enfin, il n'incite pas à faire réfléchir le policier sur le motif du contrôle auquel il a décidé de procéder.

D'aucuns s'étonnent : comment peut-on demander à des policiers d'apporter des preuves supplémentaires lorsqu'ils effectuent un contrôle ? J'observe qu'un projet de loi pour un État au service d'une société de confiance est en cours de discussion. À cette occasion, certains collègues ont défendu le droit à l'erreur, et on nous a expliqué que tout était fait pour renforcer les droits des citoyens face à l'administration. Notre proposition de loi ne répond-elle pas à cette même logique, s'agissant du contrôle d'identité, fonction régalienne, susceptible de porter atteinte à la liberté de certains citoyens ? Ne demandons-nous pas, de la même façon, que l'administration apporte des preuves et justifie sa façon de procéder ?

Ce que vous demandez pour l'administration vaut, semble-t-il, pour l'administration fiscale. Pourquoi cela ne vaudrait-il pas pour l'administration policière, qui dispose d'un certain pouvoir, y compris celui de tirer ? Personnellement, je suis pour la police républicaine, et j'estime normal de lui donner ce pouvoir. Mais bizarrement, vous ne traitez pas la police comme le reste de l'administration. Je rappelle pourtant que l'article 15 de la Déclaration des droit de l'homme et du citoyen dispose que « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration », ce qui me semble très sain.

Vis-à-vis de nos collègues du groupe Les Républicains, je serai, si j'ose dire, un peu moins policé. Ne nous faites pas le coup de dire que, parce que nous demandons ce récépissé, nous sommes des « anti-flics » ! N'oubliez pas que vous avez supprimé 13 000 postes de policiers et de gendarmes sous Nicolas Sarkozy, ce qui a affecté la sécurité en France et les moyens dont disposent les forces de l'ordre. Le retard n'ayant pas été compensé, les conditions matérielles sont devenues catastrophiques dans de nombreux commissariats. Tout aussi catastrophique a d'ailleurs été la suppression de la police de proximité, qu'avait décidée celui qui est devenu Président de la République, et que vous avez soutenu. Donc, si vous voulez bien, abstenez-vous de nous donner des leçons !

Monsieur Jean-Louis Masson, vous étiez sûrement un bon gendarme, mais je suis étonné de vous entendre expliquer qu'il n'y a pas de politique du chiffre. Je vous renvoie à tous les articles qui ont été publiés sur le sujet, y compris par le syndicat Alliance. Car il existe bien une politique du résultat, qui consiste à accumuler les chiffres, parfois au détriment de l'élucidation de certaines affaires, et qui permet la promotion interne.

En tout état de cause, on ne peut pas tirer, du fait que l'on demande l'expérimentation d'un récépissé de contrôle d'identité, l'idée que nous remettons en cause la police et son travail. Comme si nous n'étions pas les premiers à exprimer notre colère à la mort de tel ou tel policier ! Encore une fois, ce sont des arguments qui ne tiennent pas. Chacun ferait mieux de réfléchir au bilan de sa politique – y compris lorsqu'elle a abouti à l'affaiblissement de l'État et de l'efficacité de la police.

Monsieur Manuel Valls, je vous répondrai d'abord qu'il n'y a pas eu d'expérimentation. Je vous ferai remarquer ensuite que ce récépissé sera un document administratif officiel et constituera un moyen de preuve devant le juge, ce qui n'est pas anodin. Son utilité est donc évidente.

Je rappellerai que toutes les enquêtes montrent qu'il est difficile de voir le numéro matricule qui se scratche sur l'uniforme, et que celui-ci peut s'enlever facilement. De toute façon, il ne me semble pas anormal de noter le numéro matricule sur le récépissé lorsqu'on procède à un contrôle d'identité – encore une fois, c'est un acte administratif qu'on ne doit pas banaliser.

Monsieur Valls, je n'ai pas les mêmes retours que vous sur les expérimentations menées à l'étranger. Par exemple, en Espagne, à Fuenlabrada, avec des policiers qui n'étaient pas différents des policiers français et qui avaient au départ les mêmes interrogations, le nombre de contrôles a diminué de 958 en octobre 2007 à 253 en mars 2008. Et dans le même temps, le taux de succès des contrôles est passé de 6 % en octobre 2007 à 17 % en mars 2008. Ainsi, ce dispositif n'a pas nui à l'efficacité des forces de police. Celles-ci ont même noté que leurs rapports avec la population s'étaient considérablement améliorés. De fait, cette façon de procéder favorise la réflexion des deux côtés. Sans compter que la modification d'un tel acte de police peut être ressentie de façon positive.

Enfin, comme notre collègue socialiste l'a fait remarquer, la question du récépissé ne règlera pas tout. Il n'empêche que cela constituera un premier signal, à mon avis bénéfique, pour la police comme pour la population. C'est bien ce que nous cherchons, en l'occurrence, avec cette proposition de loi.

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