Intervention de Carlos Ghosn

Réunion du mercredi 17 janvier 2018 à 9h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Carlos Ghosn, président-directeur général du groupe Renault :

Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mesdames et messieurs les députés, tout d'abord, je vous remercie pour votre invitation.

Il y a deux ans, devant vos commissions, j'ai eu l'occasion de dire que Renault allait bien. Depuis lors, le groupe Renault a franchi le seuil symbolique de plus de 3 millions de véhicules vendus chaque année – en fait, nous nous approchons très vite des 4 millions. En 2016, pour la quatrième année consécutive, nous avons affiché une croissance record, la plus forte de l'industrie automobile et une rentabilité record historique pour Renault. En 2017, comme annoncé en début de semaine, nous avons battu un nouveau record des ventes avec plus de 3,7 millions de véhicules vendus. Année après année, ces résultats apportent la preuve concrète et mesurable des changements profonds à l'oeuvre dans le groupe dans le cadre de nos deux plans stratégiques : Drive the change, qui s'est très bien terminé, et désormais, Drive the future, qui engage l'entreprise jusqu'à l'année 2022.

Avec ses 125 000 salariés, dont c'est le succès et la fierté, je suis heureux de vous affirmer que Renault est en très bonne forme et que la prochaine décennie sera, nous y comptons bien, la décennie de notre groupe, un constructeur français et global, membre d'une alliance devenu le premier groupe automobile mondial. Avec une gamme de véhicules, des implantations géographiques et des sources de profit plus diversifiées, nous avons posé les fondations d'une croissance saine, équilibrée, solide et profitable dans la durée. Avec cinq marques – Renault, Dacia, Renault Samsung Motors, Alpine et Lada –, une présence sur cinq continents et dans 134 pays, des ventes en hausse dans toutes nos « régions », nous sommes le premier constructeur automobile français mondial. Le groupe est devenu global, tout en restant profondément français. En 2017, nous avons enregistré notre meilleure performance commerciale en France avec plus de 673 000 véhicules particuliers et utilitaires vendus. La même année, nous avons embauché 3 500 personnes en contrat à durée indéterminée (CDI) sur le territoire français.

Ma présentation s'articulera autour de trois axes : tout d'abord, un rapide état des lieux de la situation du groupe en France et dans le monde ; puis, mesure prise des profondes mutations qui touchent notre secteur, un point sur notre stratégie pour les années à venir ; enfin, notre vision de la mobilité de demain, plus propre, plus efficace, plus responsable, et pour laquelle l'engagement de tous est évidemment nécessaire.

En 2017, Renault est un groupe mondial mais aux racines solidement françaises. À l'aube de 2018, le groupe Renault compte trois principaux atouts : la France, son envergure globale et l'alliance avec ses partenaires Nissan et Mitsubishi Motors.

La France d'abord. Pour Renault, l'expansion à l'international va de pair avec le renforcement du groupe dans l'Hexagone. En 2016 et en 2017, la France reste notre premier marché, nous y réalisons 20 % de nos ventes. Renault est la première marque automobile en volume dans le pays, et Clio est la voiture la plus vendue depuis 2009. Nous sommes aussi leader sur le marché du véhicule électrique, avec Zoé, et sur celui du véhicule utilitaire. En France, en 2017, un véhicule utilitaire vendu sur trois est un véhicule Renault.

La France est au coeur de notre image, c'est un atout de conquête à l'international. Le French Design, la French Touch, la French Tech sont – nous avons pu le mesurer au CES de Las Vegas – des atouts commerciaux partout dans le monde. En Inde, en Chine, au Brésil, chaque client qui achète une Renault sait qu'il achète français.

Au-delà du symbole, Renault montre qu'il est possible d'être compétitif en France et depuis la France. Concrètement, avec un total de quatorze sites industriels, nous produisons plus de 745 000 véhicules par an sur le territoire français, soit un quart de notre production mondiale. Bien plus que le poids de l'histoire, cette présence industrielle est un choix. Fidèles à notre histoire d'entreprise laboratoire social, nous créons en concertation avec nos partenaires sociaux, les conditions de notre compétitivité. Une marque concrète de l'attractivité de Renault en France, c'est le succès de nos ventes à nos partenaires, nos châssis, moteurs, véhicules particuliers ou utilitaires fabriqués à Batilly, Maubeuge, Sandouville, Flins et Douai sont vendus à Nissan, bien sûr, mais aussi à Daimler, Fiat, Opel ou encore General Motors. À Flins où nous avons établi en 2017 la production de la Micra de Nissan, 110 millions d'euros ont été investis pour moderniser le site. Quant à la production de notre plus grand site d'assemblage de fourgons au monde, à Batilly, en Meurthe-et-Moselle, nous en vendons un tiers à nos partenaires.

Nous prenons les mesures nécessaires pour que l'attractivité et la compétitivité de nos sites français se maintiennent. En 2017, nous avons conclu un accord avec les partenaires sociaux, le « Contrat d'activité pour une performance durable » ou CAP 2020, et plus de 500 millions d'euros seront investis au cours des trois prochaines années afin de continuer à moderniser nos sites français.

La France est enfin une terre de recherche, d'innovation et d'expérimentation pour le groupe. Nous y avons implanté le coeur de notre recherche, au technocentre de Guyancourt, dans le département des Yvelines. La France représente aussi 75 % de nos dépenses d'ingénierie.

Au total, Renault emploie plus de 47 000 personnes sur le territoire national, soit le tiers de son effectif global. La France est en effet un vivier de recrutement, de savoir-faire pour le groupe. Nous y avons concentré une expertise unique depuis les usines de mécanique et de fonderie jusqu'aux équipes de recherche et développement. À l'usine de Dieppe, par exemple, où nous avons accueilli le mois dernier le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, nous avons mis au point un processus unique au monde d'assemblage pour la carrosserie 100 % aluminium de la nouvelle Alpine. À Dieppe, avec l'Alpine, nous recréons à nouveau une icône. Nous misons sur l'innovation à la française en nouant des partenariats avec des start-up comme Marcel ou en intégrant des équipes de recherche et développement. En 2016, nous avons ainsi accueilli plus de 400 experts en logiciels d'Intel, répartis entre Toulouse et Sophia Antipolis pour inventer et développer les solutions de mobilité de demain. Nos recrutements se poursuivent dans le cadre du CAP 2020. Nous prévoyons d'embaucher 3 600 personnes en CDI d'ici à la fin de l'année 2019 et de recruter 6 000 contrats jeunes au cours des trois prochaines années. D'ici à 2020, ce sont 220 millions d'euros qui seront investis dans la formation. À ce jour, le groupe est totalement en ligne avec l'ensemble de ses engagements. Renault est dans son histoire comme dans sa réalité industrielle, commerciale et humaine actuelle, profondément français et le restera en s'appuyant sur sa nouvelle assise globale et, bien sûr, sur l'alliance.

Le deuxième atout du groupe est évidemment son envergure résolument mondiale. Si la base du groupe Renault pour la conquête est la France, son terrain de jeu est le monde. De constructeur européen, dont la profitabilité reposait sur un seul produit, la Megane, et un seul pays, la France, nous sommes devenus un acteur global multiproduit faisant des profits sur tous ses segments et dans toutes ses « régions ». En 2017, nos résultats hors Europe pesaient pour la moitié de nos ventes. Pour être toujours au plus près des marchés et de leurs besoins spécifiques, nous avons implanté six centres techniques régionaux et six centres de design qui ont contribué à nos succès locaux comme Kwid en Inde ou Duster Oroch en Amérique du Sud. Dans cette même démarche de localisation, depuis 2011, nous avons construit des usines à Tanger, au Maroc, à Oran en Algérie, à Wuhan en Chine et à Chennai en Inde. Le lancement de treize nouveaux modèles en 2017, dont onze à l'international, reflète notre internationalisation croissante. Forts d'une gamme renouvelée, nous avons enregistré une progression de nos ventes en volume et en parts de marché dans la totalité de nos « régions ».

Troisième atout enfin, avec plus de 10,6 millions de véhicules particuliers et utilitaires légers vendus en 2017, l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi est le premier groupe automobile mondial. Certes, Volkswagen a annoncé ce matin avoir vendu 10 740 000 véhicules mais cela inclut 200 000 poids lourds ; or, en général, les poids lourds n'entrent pas dans nos statistiques. Si vous retranchez les poids lourds des ventes de Volkswagen, vous parvenez au chiffre de 10 540 000. Pour sa part, Toyota a vendu 10,4 millions de véhicules tandis que l'alliance en a vendu 10,6 millions. Ce n'est pas un objectif, mais c'est une satisfaction : personne ne peut l'emporter sur nous en termes d'échelle. Et si nous jouons intelligemment, cette échelle du groupe nous permettra de renforcer encore la compétitivité de l'ensemble des composants d'une alliance qui nous permet d'unir nos forces en matière de recherche et de développement à l'heure des profondes mutations que connaît notre secteur. Force de frappe nécessaire et qui fait la différence, cette taille critique de l'alliance permet, bien utilisée, des effets d'échelle massifs, donc des économies pour chacun des membres. En 2017, ce sont près de 5,5 milliards d'euros d'économies qui auront été faites.

Fort de ces atouts, nous faisons face aux profondes mutations qui touchent notre secteur. Au cours des dix prochaines années, celui-ci connaîtra plus de changements qu'il n'en a connus probablement depuis un siècle. Les mutations sont profondes et multiples : technologique, sociétale et réglementaire. L'intelligence artificielle et les nouvelles technologies bouleversent l'usage de nos véhicules. D'un moyen de transport, ils deviennent et vont devenir de plus en plus des espaces de vie, des espaces mobiles connectés autonomes et électriques qui transformeront un temps de trajet en temps beaucoup plus libre. D'ici à 2035, 25 % des véhicules neufs vendus seront autonomes, selon les projections des experts. À ces mutations technologiques s'ajoutent des changements sociétaux : les consommateurs changent, ils sont plus jeunes et plus urbains. En 2050, les deux tiers de la population mondiale seront des citadins. Les réglementations changent également ; de plus en plus denses, strictes et complexes, elles créent le cadre d'une mobilité plus propre et plus sûre.

Ces mutations ont un impact profond sur notre modèle économique et sur nos usines. Elles bouleversent non pas seulement l'usage de nos véhicules, mais aussi notre façon de les concevoir, voire de les produire. La baisse du marché du diesel et la montée du véhicule électrique ont un impact fort sur la ligne de production et sur toute la filière automobile, fournisseurs compris. Pour nous, il ne s'agit pas simplement de substituer un moteur à un autre, puisque cinq ans et à peu près 1 milliard d'euros d'investissement sont nécessaires pour développer un groupe motopropulseur hybride à partir de moteurs thermique et électrique existants. La visibilité et la prédictibilité sont donc capitales dans nos métiers. Or, depuis 2015, la dé-diésélisation accélérée nous porte à constamment réviser nos prévisions de mix diesel à la baisse. De 50 % en 2015, elles sont passées à 37 % en 2016 puis à 29 % en 2017. Par ailleurs, avec l'arrivée des nouvelles technologies, toute la chaîne de fabrication est revue. De nouvelles formes d'assistance robotique modifient en profondeur le rythme de production et le savoir-faire. Nos usines compteront plus de robots mais aussi de nouveaux métiers. Il s'agit désormais non seulement de produire des voitures, mais aussi d'y intégrer les technologies qui amèneront l'électrification, la connectivité et les systèmes de conduite autonome.

Face à ces changements, quelle est notre stratégie ? Au mois d'octobre dernier, nous avons annoncé notre nouveau plan stratégique Drive the future, qui courra jusqu'en 2022. L'objectif des six prochaines années est clair : assurer la pérennité et la croissance, ainsi que la profitabilité du groupe.

Trois leviers nous y aideront. Tout d'abord, il y a notre expansion à l'international, avec un marché européen mature, où nous comptons nous maintenir. Trouver de nouveaux gisements de croissance n'est plus tellement une option. Nous comptons notamment sur la Chine, premier marché automobile mondial, où se joue le sort de l'automobile du XXIe siècle, avec un taux de croissance qui ne cesse et ne cessera de surprendre. Nous y avons doublé nos ventes en 2017 et nous nous sommes fixé l'objectif de ventes supérieures à 550 000 voitures à la fin du plan. En Chine comme ailleurs, notamment en Inde, où nous sommes la première marque européenne, le groupe Renault va chercher la croissance où elle se trouve. Là où des crises locales avaient sévi, nous avons choisi de maintenir notre présence ; maintenant que la reprise s'annonce, nous sommes évidemment prêts à recevoir le retour sur investissements. En Russie, avec la consolidation d'AvtoVAZ, premier groupe automobile russe, et avec l'ensemble des marques de l'alliance, nous pesons déjà plus d'un tiers du marché. Quand nous avons commencé à investir en Russie, le marché se portait extrêmement mal, et nous avons essuyé de nombreuses critiques pendant plusieurs années. Maintenant que le marché se redresse et alors qu'un certain nombre de constructeurs sont partis de Russie, nous allons enfin engranger les bénéfices d'une politique de long terme, patiente, qui a misé sur le potentiel du marché russe. Il en va de même au Brésil, où nous avons enregistré une croissance à deux chiffres en 2017, ou en Iran, où nous affichons déjà une part de marché de plus de 10 %.

L'Europe n'en sera pas moins un pilier de profitabilité pour le groupe. Renault est et restera la deuxième marque européenne grâce à l'extension de la gamme électrique et au renouvellement de nos modèles-clés.

Enfin, nous capitaliserons sur les ressources et les effets d'échelle de l'alliance. En 2022, Renault, Nissan et Mitsubishi prévoient des ventes annuelles dépassant les 14 millions d'unités et un chiffre d'affaires de 140 milliards de dollars. Au cours de cette période, le montant de nos synergies entre les différents groupes devrait doubler et atteindre 10 milliards d'euros. Au total, plus de 50 milliards d'euros seront investis dans la recherche et le développement par les trois entreprises. Dans cette même démarche, nous lançons – je l'ai annoncé au CES – Alliance Ventures, un fonds de capital-risque qui investira 1 milliard de dollars au cours des cinq prochaines années. Dès 2018, jusqu'à 200 millions de dollars seront investis dans des start-up développant des technologies liées aux véhicules électriques, aux systèmes de conduite autonome, aux services connectés et bien sûr à l'intelligence artificielle. Enfin, nous nous doterons de nouvelles compétences, comme la téléphonie, le big data et la mécatronique, pour préparer la mobilité de demain et répondre aux évolutions que nous anticipons. D'ici à 2019, 35 000 recrutements sont prévus dans le cadre du groupe. D'ici à 2022, près de 25 % de nos salariés auront moins de 30 ans. L'objectif est aussi de préserver leur employabilité. Ce sont donc 13 000 personnes qui bénéficieront, au cours des deux prochaines années, de formations spécifiques pour s'adapter aux nouveaux usages ainsi qu'à la digitalisation. Nous comptons bien mobiliser tous les moyens à notre disposition pour gagner cette course de vitesse entre constructeurs.

Une fois ces leviers définis, quelle mobilité du futur proposons-nous ? Pour Renault, la mobilité de demain, comme celle d'aujourd'hui doit être accessible à tous. Notre groupe n'est pas du tout centré sur le premium, qui représente 8 % du marché mondial. Nous voulons des voitures accessibles à tous, plus responsables, plus efficientes, plus propres, notamment grâce au développement des technologies moins polluantes, dont, je vous le rappelle, nous avons été les promoteurs et les pionniers. Nous avons été les premiers à croire dans le véhicule électrique de masse, annoncé dès 2007. Dans le cadre du plan Drive the future, à l'horizon 2022, notre gamme sera pour moitié composée de véhicules électrifiés avec huit modèles purement électriques et douze modèles hybrides, et nous aurons réduit notre offre de motorisation diesel de plus de 50 %. Nous développons aussi des solutions de gestion intelligente de la recharge (smart charging) et de stockage d'énergie, comme avec la seconde vie des batteries. Nous lancerons quinze véhicules autonomes et deviendrons opérateur de mobilité, avec des services à la demande et, à terme, des robots véhicules. La sécurité routière a toujours été une de nos priorités, le véhicule autonome contribuera largement à renforcer une mobilité plus sûre.

Multiples et complexes, les mutations à l'oeuvre dans notre secteur affectent les constructeurs, les fournisseurs, mais aussi, plus profondément, la mobilité de demain. S'orienter vers une mobilité plus propre, plus sûre et plus responsable, est évidemment, l'affaire de tous. Nous ne pouvons pas faire cela tout seul. Nous, constructeurs, sommes des architectes, nous proposons des solutions technologiques concrètes pour un usage immédiat, adapté aux attentes des consommateurs mondiaux. Ces solutions ne pourront contribuer pleinement aux objectifs environnementaux des pouvoirs publics que si nous agissons ensemble. Par exemple, pour que l'usage du véhicule électrique se généralise, un écosystème complet est nécessaire, qui implique les constructeurs automobiles, les villes, les régions et, bien sûr, les États. Il s'agit de proposer un véhicule fiable et adapté – c'est notre rôle –, mais aussi d'inciter à l'achat, comme avec le bonus écologique, ou d'installer des infrastructures de charge sur l'ensemble du territoire. Nous devons agir ensemble et dans la durée. Le temps industriel est long. Des investissements lourds et constants sont nécessaires pour améliorer les performances techniques des moteurs et flexibiliser les lignes de production diesel vers l'essence ou les lignes essence vers le véhicule électrique. Une réglementation stable et conçue sur le moyen terme est primordiale pour que nous soyons en mesure de répondre aux attentes. De facto, partout dans le monde, les pouvoirs publics, la société civile et les industriels sont partenaires d'une feuille de route ambitieuse. Les rendez-vous comme celui d'aujourd'hui ou comme le One Planet Summit, dans le cadre duquel j'ai eu le privilège d'intervenir, participent de cette concertation et mobilisation collective nécessaires. Nous pensons évidemment que ces nouveaux objectifs sont tout à fait atteignables à partir du moment où le travail est collectif.

Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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