Tout d'abord, monsieur le président, je ne connais aucun industriel qui ne souhaite une baisse des charges. Tout ce qui allège les charges va dans le bon sens, particulièrement si nous voulons privilégier le travail en France ; la question ne fait pas débat. Évidemment, nous nous soucions de l'emploi en France, parce que c'est très important pour le pays, mais aussi parce que c'est un réflexe naturel pour notre encadrement et nos ingénieurs : la première chose qu'ils souhaitent, c'est produire en France, développer l'entreprise en France. Il me paraît donc tout à fait naturel d'évoquer, systématiquement, dans le dialogue que nous avons avec les pouvoirs publics, les obstacles au développement de l'emploi en France, et nous pensons effectivement qu'un excès de charges pesant sur le travail est nocif. Actuellement, nous sentons une volonté, et des mesures sont prises dans le sens d'une baisse des charges ; nous nous en félicitons, et nous souhaitons que cela continue. Bien sûr, nous ne sommes pas responsables des grands équilibres de la Nation, mais notre responsabilité est de dire de manière très franche, authentique, documents et données à l'appui, ce qui incite les entreprises à tel ou tel comportement.
Quant au diesel et à la convergence tarifaire avec l'essence, l'instrument fiscal est très important. Il n'est pas vrai que des consommateurs préfèrent le diesel, d'autres l'essence et d'autres encore les voitures électriques : les consommateurs s'en moquent éperdument, sauf 5 % ou 10 % d'entre eux qui s'intéressent à la question. Sur 95 millions de voitures vendues dans le monde, je peux vous certifier que 85 millions sont achetées en considération du prix – le coût d'acquisition et le coût de fonctionnement, soit le coût global de possession ou total cost of ownership –, du service rendu et de la disponibilité des pièces.
L'utilisation de la voiture électrique sera massive lorsque son total cost of ownership sera plus faible que celui de la voiture à essence. Ce sont les États qui peuvent y contribuer. Ainsi, non seulement la Chine accorde de nombreux avantages au consommateur qui achète une voiture électrique mais elle crée un certain nombre de handicaps pour les autres voitures, si bien que le consommateur se tourne vers la voiture électrique. Si la volonté du Gouvernement est effectivement de privilégier l'essence par rapport au diesel, cela passe par l'élimination de tous les avantages fiscaux du diesel. C'est un signal pour nous, qui signifie que la société souhaite que les véhicules diesel occupent peu à peu une place bien moins importante que les véhicules à essence.
Nous développons des technologies pour répondre à un certain nombre de demandes et pour les anticiper. Le resserrement de l'écart de prix entre diesel et essence incite le consommateur à privilégier l'achat de véhicules à essence. Nous commençons donc à orienter nos outils de production en ce sens. De même, nous évoluerons en fonction des avantages accordés au véhicule électrique. La convergence entre diesel et essence manifeste, dans tous les pays, la volonté des pouvoirs publics : moins de diesel et plus d'essence. De même, le maintien ou le développement du bonus écologique indiquent la volonté des pouvoirs publics de voir l'industrie automobile développer davantage le véhicule électrique. Nous tenons compte de ces messages dans nos investissements.
La présence de l'État au capital de Renault est un fait historique, même si elle a été réduite progressivement à 15 %, avant de remonter à 19,4 % pour des raisons très spécifiques. Un engagement de ramener cette part à 15 % avait été pris par le ministre de l'économie de l'époque – l'actuel Président de la République. Je n'avais aucune raison de douter qu'il serait tenu, et, effectivement, la participation de l'État a été ramenée à 15 %. Pour notre part, nous ne choisissons pas nos actionnaires, nous traitons avec eux et nous intégrons leurs préoccupations dans le management de l'entreprise. Je peux difficilement vous en dire plus : la présence de l'État au capital de Renault est la décision de l'État. S'il souhaite rester à 15 %, c'est sa décision. À nous de gérer l'entreprise et de parvenir à des résultats qui satisfassent ses actionnaires.
Le dividende distribué par Renault augmentera évidemment. Si l'entreprise croît et améliore ses résultats, nous ne pouvons refuser d'augmenter le montant du dividende versé. Le conseil d'administration en décidera au cours des prochains mois, mais je ne vois pas comment nous pourrions, avec ces résultats record, maintenir le montant des dividendes versés à leur niveau actuel. Il n'en faut pas moins veiller à un équilibre : le montant des dividendes versés doit correspondre à l'évolution des autres charges de l'entreprise, notamment les salaires.
La période qui s'ouvre est une période critique du point de vue des investissements et explique cette course aux économies d'échelle. Compte tenu de la multiplicité des investissements nécessaires, je ne vois pas comment les petits constructeurs s'en sortiront. Et plus nous serons nombreux dans cette alliance, plus nous serons forts. Il faut investir pour le développement des voitures électriques, des voitures autonomes, des voitures connectées, pour l'amélioration de toutes les motorisations actuelles, pour assurer une présence sur l'ensemble des marchés, avec une gamme qui va de la voiture low cost en Inde à la voiture premium. Investir 9 milliards d'euros par an, comme nous le faisons, requiert une surface importante. Un constructeur dont le chiffre d'affaires est de 30 milliards d'euros ne peut en investir 9 ; il fait des impasses et, ainsi, prend des risques compte tenu de toutes les évolutions technologiques. Nous passons notre temps à gérer cela, pour ne pas nous mettre dans une situation financière difficile. Nous choisissons nos investissements et nous voulons une taille qui nous permette de ne pas faire d'impasses.
Si nous investissons dans le hardware – la machine, les équipements –, nous ne pouvons nous désintéresser du contenu. La bataille qui s'annonce n'est pas seulement une bataille de technologies, c'est aussi une bataille de contenus. La voiture, qui était un moyen de transport, devient un espace de mobilité dans lequel vous pourrez travailler, vous détendre, communiquer, etc. ; le contenu devient important. Nous avons donc jugé nécessaire de travailler avec un média. Nissan aurait pu faire l'expérience avec un média japonais, mais établis en France, nous avons décidé de le faire ici, d'autant qu'une très belle possibilité nous était offerte dans le cadre du groupe Challenges, qui, au-delà du magazine du même nom, compte aussi Science et Vie, Historia, etc., magazines dont le contenu est non pas spécifiquement français mais global. Ce travail sur le contenu est le sens de notre investissement, important pour le groupe en question, mais très modeste à notre échelle. Alors que nous allons investir 50 milliards d'euros au cours des six prochaines années, nous aurions tort de ne pas nous intéresser aux contenus.