L'effort du groupe Renault en matière d'égalité hommes-femmes n'est pas récent. De manière générale, nous faisons de la diversité une spécificité de l'alliance. Cette diversité tourne aussi autour des différentes cultures des différentes nationalités et surtout des âges, entre les jeunes et les moins jeunes, puisque c'est un problème auquel nous sommes confrontés en France mais aussi au Japon. Nous sommes le principal groupe automobile qui fasse de la diversité une force et non un handicap. Dans ce cadre-là, nous organisons des campagnes internes pour développer la diversité : nous fixons des objectifs, par exemple en ce qui concerne le nombre de femmes dans le groupe et dans des positions de commandement, de management. Le principal responsable des ressources humaines est une femme. Elle veille jalousement à ce qu'il n'y ait pas du tout de ségrégation de quelque forme que ce soit en matière salariale entre les femmes et les hommes. Nous faisons tout ce que nous savons faire et tout ce que nous voyons les autres faire pour que les femmes se sentent tout à fait à l'aise dans le groupe et qu'elles ne soient absolument soumises à aucun a priori. Et je peux vous dire que tous les salariés de Renault en sont très fiers.
Vous m'avez interrogé sur la gouvernance. L'alliance est une organisation originale puisqu'il n'y a pas d'exemple d'entreprises dans l'industrie qui fonctionne comme nous le faisons entre Renault, Nissan et Mitsubishi. Notre gouvernance est donc forcément particulière. Nous essayons de respecter l'autonomie de chacune des entreprises. La force de l'alliance, c'est que Nissan est Nissan, Renault est Renault et Mitsubishi est Mitsubishi. Il n'y a pas de décisions qui concernent Renault qui sont prises au Japon, ni de décisions qui concernent le Japon qui sont prises à Paris. Mais en même temps, les gens ne font pas n'importe quoi, puisque tout ce qui permet de ne pas dédoubler nos efforts est fait en commun.
Cette alliance suppose des points communs en matière de management et des points séparés. Les comités exécutifs de chaque entreprise sont séparés les uns des autres, les actionnaires et les sièges sont différents. Chaque entreprise est très fière de son appartenance à son pays, à sa région, mais on ne laisse pas les entreprises faire n'importe quoi, c'est-à-dire qu'on ne dédouble pas en matière de technologie ni de plateformes. Nous faisons beaucoup de choses en commun.
La gouvernance est importante parce que c'est ce qui permet en même temps d'avoir l'agilité de la démultiplication des centres de décisions opérationnelles et la convergence des centres de décisions d'investissements pour éviter des ressources déperdues. Cela entraîne donc évidemment une gouvernance particulière. On me demande pourquoi je suis en même temps chez Nissan, Renault et Mitsubishi, et j'ai l'image de quelqu'un qui accumule les postes et qui aime ça. Pourtant personne n'a envie ni de subir les décalages horaires, ni les voyages, ni les tensions ; or, avec trois entreprises il y a toujours une crise quelque part, toujours quelque chose qui ne va pas à un endroit. C'est pourquoi j'ai recommandé moi-même qu'on ne mette plus qui que ce soit dans une telle situation. Nous avons été obligés de le faire à un moment de l'histoire de l'alliance pour la consolider, mais c'est intenable à terme. C'est pourquoi, en matière de gouvernance, des évolutions vont avoir lieu dans le sens des responsabilités de Renault, des responsabilités de Nissan, des responsabilités de Mitsubishi et des responsabilités de l'alliance, de façon que quelqu'un ne fasse pas de l'opérationnel dans une entreprise et de la stratégie dans une autre. Je le répète, nous avons été obligés de le faire pour créer l'alliance, mais je ne pense pas que cela perdure.
Vous me dites : « Monsieur Ghosn, vous avez soixante-trois ans, et vous avez une échéance qui arrivera au mois de juin prochain ». Pour ma part, je vois la situation différemment. Je me demande toujours si je peux contribuer à une feuille de route – elle se discute avec le conseil de Renault, le conseil de Nissan, etc. – avec laquelle je serais d'accord. Si on se met d'accord sur une feuille de route, et que l'on pense que je peux y contribuer de manière privilégiée, on continue. Sans accord sur cette feuille de route, on arrête. L'échéance qui arrive est exactement de la même veine.
L'alliance a annoncé sa stratégie pour les six prochaines années, et Renault a annoncé sa stratégie pour les six prochaines années. Mais la feuille de route concerne les conditions de mise en pratique de cette stratégie pour obtenir des résultats. Cette discussion aura lieu avec le conseil, mais la question n'est pas de faire ou non un nouveau mandat – on ne se pose pas ce genre de question à soixante-trois ans – mais plutôt de savoir si je suis convaincu par la feuille de route qui fait l'objet d'un engagement entre le conseil et moi-même, le conseil étant censé représenter les actionnaires. C'est donc une discussion autour d'une feuille de route pour les quatre prochaines années qui concerne Renault mais aussi l'alliance.
Madame Dalloz, les 5 milliards d'euros d'économies à l'échelle mondiale ont été obtenus grâce à la mise en commun des plateformes et des achats. Mais quand on parle achats, on pense que ces « pauvres fournisseurs » ont dû passer à la caisse. Pas du tout. Nous faisons des économies en alignant les spécifications des pièces entre Renault, Nissan et Mitsubishi, ce qui permet aussi à nos fournisseurs de faire des économies, parce qu'ils n'ont pas besoin de surinvestir. C'est du gagnant-gagnant : nos fournisseurs gagnent plus d'argent, et nous aussi. Par ailleurs, il y a aussi de nombreuses choses que nous ne dédoublons pas. Par exemple, pour développer la voiture autonome, nous avons une technologie, pas trois. Si Mitsubishi devait développer lui-même les voitures autonomes, on sait exactement ce que cela lui coûterait. Mais comme il ne le fait pas, et qu'il vient rejoindre l'alliance dans le développement des voitures autonomes, cela lui coûte logiquement le tiers de ce qu'il aurait dû payer s'il avait développé seul cette technologie. C'est grâce à des réductions et à des évitements de coûts que l'on fait des économies. Autrement dit, j'évite de dépenser de l'argent pour développer une technologie dont j'ai besoin en utilisant celle développée par mon partenaire, et je contribue au coût de cette technologie, ce qui fait que mon partenaire est très content puisqu'il voit le coût de cette technologie baisser. Quant à moi, cela me coûte moins cher puisque je vais plus vite et dans de meilleures conditions.
Les cyberattaques sont un vrai problème puisque, à mesure que la technologie se développe, les hackers deviennent de plus performants. À chaque fois que nous faisons l'objet d'une attaque, nous faisons un diagnostic, seuls et avec les autorités, et nous mettons en place des systèmes de protection en fonction de ce diagnostic. Après la dernière attaque que nous avons subie, nous avons beaucoup appris et nous avons mis en place un plan d'investissement pour nous protéger. Nous sommes constamment en veille contre les attaques, mais c'est une bataille sans fin. Il faut devenir une cible difficile, compliquée, pour que les hackers se détournent vers quelqu'un d'autre. C'est la seule façon d'envisager la situation vis-à-vis des cyberattaques. Il existe heureusement beaucoup d'entreprises spécialisées, et nous nous entourons de beaucoup de conseils, afin de lutter contre ces cyberattaques qui ne vont pas s'arrêter.
L'Europe est le principal centre d'utilisation du diesel – il n'y a pas de diesel au Japon et très peu aux États-Unis. Quant aux pays qui ont du diesel, comme l'Inde ou la Corée, ils commencent à anticiper ce qui se passe en Europe, c'est-à-dire un recul de ce carburant. Je n'ai aucun doute sur le fait que le déclin du diesel en Europe va entraîner une baisse du diesel ailleurs dans le monde.
Les infrastructures de charge sont un point essentiel pour le développement de la voiture électrique. Pour l'essence, les infrastructures de charge ont été nécessaires : sinon, les gens n'auraient pas acheté de voitures. Or, il est beaucoup moins cher d'installer une borne de chargement électrique qu'une station d'essence. Il y a donc très peu d'efforts à faire pour installer des bornes de chargement dans les villages ou dans les campagnes. L'électrique a un réel avantage comparé à l'hydrogène et à l'essence, car l'infrastructure unitaire de charge n'est pas très chère. L'effort doit être partagé entre les constructeurs, les communautés, les villages, les villes, etc. Pour ce qui nous concerne, nous équipons tous nos distributeurs de points de chargement sur le plan mondial. Nous voulons que, chaque fois que vous vous rendez chez un distributeur Renault, Nissan ou Mitsubishi, vous puissiez recharger votre voiture. Nous mettons des points de chargement sur tous nos centres, nos usines, nos sièges, dans tous les bureaux. Nous essayons de développer et de communiquer avec les différentes autorités concernées pour bien leur expliquer qu'il ne s'agit pas d'un investissement massif et qu'en matière d'infrastructure de charge, l'énergie électrique est beaucoup moins coûteuse que n'importe quelle autre énergie. Si l'hydrogène se développe un jour, vous verrez que le coût d'une installation ne sera pas du tout le même que celui de l'électrique.
Bien évidemment, Renault a pleinement l'intention de respecter les normes européennes d'émissions de polluants. Nous ne voulons pas jouer avec quoi que ce soit. La difficulté pour l'Union européenne, c'est de savoir comment mesurer, quoi mesurer et dans quelles conditions, parce que les conditions réelles de fonctionnement des voitures sont multiples. Il va donc falloir augmenter les domaines de vérification des normes, ce qui est tout à fait normal, mais on ne peut pas les multiplier à l'infini. En fait, la seule solution c'est le zéro émission. C'est le cas de la voiture électrique qui n'émet rien du tout sachant qu'elle n'a pas de tuyau d'échappement. C'est la solution vers laquelle nous allons tous converger. Mais entre-temps, il est évident que nous devons aider l'Union européenne à établir des normes qui soient bonnes pour l'environnement et qui aient économiquement du sens si l'on ne veut pas se retrouver avec des voitures trop chères. L'une des raisons pour lesquelles l'utilisation du diesel est en train de baisser, c'est le renchérissement du diesel, c'est-à-dire en fait que le renforcement des normes implique davantage de technologie, ce qui aboutit à des voitures plus chères. Il est évident que le groupe Renault respecte et continuera de respecter les normes tout en sachant qu'à terme il n'y aura plus de normes puisqu'il n'y aura plus d'émissions.
Vous avez posé la question du panorama du marché mondial. Le marché mondial est bon. L'année 2017 est un record en matière de ventes, et l'année 2018 le sera aussi.
Les marchés porteurs sont la Chine – cela fait maintenant vingt ans que c'est le cas –, l'Inde dont le taux de croissance est aussi très fort, la Russie qui est en train de remonter après avoir baissé de plus de 50 % sur trois ans, le Brésil qui connaît un renouveau économique toutefois moins important que si la situation politique était stable, le Japon qui connaît un petit peu de croissance actuellement, et les États-Unis où l'on constate un regain d'optimiste après les dernières mesures prises par le gouvernement américain, notamment en matière fiscale. On pensait que le marché américain allait baisser de 1 % alors qu'il devrait plutôt augmenter de 1 %. L'année 2018 devrait donc être une bonne année de croissance.
Nous avons pris comme hypothèse une stabilité du marché européen en 2018. Je pense que le marché européen continuera de croître à une allure modérée et que la France sera au diapason de l'évolution européenne.
En résumé, le panorama du marché mondial est donc très rassurant pour 2018. On ne prévoit pas de récession, pas de catastrophe, etc. Le marché devrait atteindre un nouveau record.
Vous dites que nous sommes des assembleurs. Nous sommes plutôt des architectes : nous assemblons des savoir-faire, des pièces, de la connaissance pour faire un produit. Nous sommes responsables du produit, nous devons l'imaginer tout le temps. Nous sommes des architectes et nous avons le choix de fabriquer nous-mêmes ou de sous-traiter. L'idéal, c'est la sous-traitance. Notre métier c'est la voiture elle-même, les services autour de la voiture et l'utilisation des compétences des fournisseurs et des partenaires, voire des start-up, afin de construire cette voiture de manière qu'elle soit la plus efficace. De temps en temps, quand il n'y a pas de compétition, quand les fournisseurs ne nous donnent pas ce dont nous avons besoin, on est obligé de fabriquer en interne, mais dans un monde idéal où tout le monde fait son travail, le constructeur automobile est un assembleur, un architecte. Il ne devrait rien développer par lui-même, mais son travail consiste à faire développer les différentes composantes de la voiture, qu'il s'agisse de l'infrastructure (hardware) ou des logiciels (software) par des entreprises extérieures, à faire un produit original et à s'occuper des services de mobilité. Évidemment, nous sommes aujourd'hui loin de cette situation idéale, puisque nous continuons à fabriquer beaucoup des composants qui sont importants pour nos voitures.
Vous demandez si la voiture autonome va nécessiter une reconfiguration de toutes les routes en France. Bien évidemment, non. Des développements en matière de software devraient permettre à la voiture d'opérer dès lors qu'il y a un minimum d'infrastructures routières. Si la France n'est pas capable d'accueillir des véhicules autonomes, imaginez ce qu'il en sera du Brésil, de l'Inde et de tous ces pays dont les infrastructures sont beaucoup plus dégradées. Or, on ne peut pas dire que cette technologie sera utilisée uniquement dans des conditions parfaites, sinon c'est de la fumisterie. Nous allons nous adapter à la situation qui existe en matière d'infrastructures et nous développerons des technologies qui seront capables d'être efficaces même dans des environnements d'infrastructures dégradées, parce que nous ne développons pas ces technologies seulement pour les États-Unis, le Japon ou la France, mais pour la planète. Il y a sur la planète des pays et des marchés énormes dont les infrastructures ne sont pas du tout fiables. Nous devons tester ces technologies sur ces infrastructures.
Faire circuler une voiture autonome à Palo Alto, en Californie, c'est facile, parce qu'il y a des normes, des lignes, des feux rouges, etc. La faire rouler à Mumbai, là où les gens ne respectent pas les feux, prennent les ronds-points en sens inverse, c'est plus difficile. Or, c'est dans ces conditions qu'il faut tester nos technologies car le jour où vous la mettez sur le marché vous ne pouvez pas dire qu'elle ne fonctionne que dans des situations idéales. Vous devez la tester, car en cas d'accident vous êtes responsable.
Donc, je vous rassure : les technologies que nous préparons sont robustes, et pourront s'adapter à une infrastructure qui ne serait pas parfaite. Évidemment, une infrastructure développée ne peut que faciliter ces technologies.
Vous avez fait des remarques sur la capacité d'innovation de Renault. Or, s'il y a quelque chose qui caractérise l'histoire de Renault, indépendamment de ma présidence, c'est bien l'innovation. Cette entreprise a toujours eu de l'audace – qui parfois a réussi, et qui parfois n'a pas réussi. Le nombre d'innovations dues à Renault au cours des dernières années prouve que c'est un groupe innovant. L'alliance est une innovation mondiale. Nous avons été les premiers à nous lancer dans la voiture électrique. On ne peut pas dire grand-chose de la voiture autonome parce qu'elle n'est pas sur le marché, mais, dans ce domaine, nous sommes très en avance sur nos concurrents.
On ne peut pas nous accuser de jouer « petit bras fond de court ». Nous avons pris beaucoup d'initiatives extrêmement audacieuses, que l'on nous a parfois reprochées. C'est nous qui avons lancé le low cost dans l'industrie automobile et jusqu'à présent, nous n'avons pas de véritable concurrent en la matière. Renault est un groupe qui innove, et parce qu'il a innové, il se retrouve aujourd'hui dans une position de leadership.
Les dividendes ne seront pas les seuls à augmenter : l'intéressement augmentera aussi. Les montants d'intéressement varient en fonction des résultats du groupe, et quand les résultats s'améliorent, l'intéressement connaît une hausse.
Quatre représentants syndicaux assistent au conseil de Renault, votent et prennent connaissance des résultats. Je peux vous dire qu'ils sont parfaitement au courant des décisions concernant l'intéressement et les dividendes. Nous veillons toujours à conserver un équilibre entre ce qui se passe, d'un côté, en matière d'intéressement et, de l'autre, en matière de dividendes.
L'un de vous m'a interrogé sur les CDI et les intérimaires. Compte tenu de la volatilité d'un certain nombre de marchés, l'industrie automobile est obligée de garder un peu de flexibilité, et c'est pourquoi elle emploie des intérimaires. Cela étant, dans le cadre de l'accord que nous avons signé avec tous nos partenaires sociaux, des engagements précis ont été pris. Ainsi, nous sommes en train de diminuer le nombre d'intérimaires sur nos différents sites, et nous le faisons de manière contrôlée, c'est-à-dire de manière transparente, en discutant avec les organisations syndicales.
Il y a une limite au nombre d'intérimaires : la robustesse et la qualité des produits. Les salariés en CDI sont davantage au courant que les intérimaires des pratiques de l'entreprise, et plus à même de porter celles-ci. En même temps, on doit maintenir un certain niveau de flexibilité en raison de la saisonnalité des ventes, et de celle des marchés. Il y a un équilibre à trouver, dont on discute avec les partenaires sociaux. En 2017, la part de l'intérim dans l'emploi a baissé de 15 %, à la suite de l'accord que nous avons passé avec les organisations syndicales. Et elle devrait baisser de 50 % d'ici à 2020, de manière progressive.