Intervention de Bastien Lachaud

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 16h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud, rapporteur :

Je vous remercie de m'accueillir à la commission des Lois pour rapporter cette proposition de loi constitutionnelle dont je suis l'un des auteurs avec Jean Hugues Ratenon et les députés de La France insoumise.

Cette proposition est issue d'un terrible constat sur l'accès à l'eau, en France et dans le monde. Dans le monde, selon l'Organisation mondiale de la santé, 3,5 milliards de personnes boivent une eau dangereuse pour leur santé. Six millions de personnes, dont deux millions d'enfants, meurent chaque année du fait de la mauvaise qualité de l'eau et du manque d'assainissement. Cela représente un enfant toutes les vingt secondes.

En conséquence, les institutions internationales ont pris des résolutions afin de garantir le droit d'accès à l'eau potable. Depuis 2010, ce droit s'incarne dans une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qui reconnaît l'accès à l'eau potable et à l'assainissement comme un droit fondamental, « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme ». Mais cette résolution, malgré sa portée morale, n'est pas contraignante pour les États ou les entreprises. La France l'a approuvée mais, à l'heure actuelle, le droit français n'est pas suffisamment contraignant pour garantir l'effectivité de ce droit à l'eau. La majorité parlementaire nous invite à être pragmatique, soyons-le : si les textes actuels sont insuffisants pour garantir l'effectivité de ce droit, il faut les renforcer. C'est l'objet de cette proposition de loi : nous voulons mettre le droit français en conformité avec le droit international, de façon que le droit à l'eau soit enfin effectif.

Car les graves défaillances des services publics de distribution d'eau potable et d'assainissement ne concernent pas exclusivement les pays les plus pauvres. En France, les outre-mer sont particulièrement touchés : près de 25 % des logements ne sont pas desservis en eau dans certains secteurs ! Le rendement des réseaux y est de 53 %, contre 79,9 % en métropole. Ces inégalités sont insupportables sur le territoire français et, manifestement, le droit actuel n'est pas suffisamment contraignant pour les empêcher.

Or – est-il encore besoin de le rappeler ? – l'eau est indispensable à la vie humaine. Nul ne peut se passer d'eau – pour sa vie, son alimentation, son hygiène et donc sa dignité. Nous ne parlons pas là de petits sujets, mais du coeur des principes fondamentaux de notre République. Quelle liberté pour celui ou celle qui, assoiffé, cherche un point d'eau des heures durant ? Quelle égalité, quand on sait que le service public ne dessert pas tous les citoyens, que certains n'ont pas du tout accès à l'eau ou que les habitants de Seine-Saint-Denis paient une eau plus chère que celle de Paris, alors qu'ils ont globalement moins de moyens ? Quelle fraternité quand on sait qu'il faut payer pour un bien commun aussi fondamental que l'eau ? Sans compter qu'évidemment, ces difficultés constituent des freins au développement social, économique et sanitaire et à la préservation de l'environnement.

Le fondement juridique du droit à l'eau potable est international. Le droit européen n'est aucunement incompatible avec un service public exclusif de l'eau. En 2016, la Slovénie a d'ailleurs été le premier pays de l'Union européenne à inscrire le droit d'accès à l'eau dans sa Constitution. La France, traditionnel pays des droits de l'homme, serait bien inspirée de l'imiter. La Déclaration de droits de l'homme et du citoyen s'ouvre sur la « reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables ». Or l'accès à l'eau est une condition sine qua non de la dignité humaine. Comment peut-on vouloir le résultat, sans y mettre les moyens ? Notre proposition de loi n'est pas seulement une mise en conformité avec le droit international, mais surtout une mise en cohérence du droit français avec ses principes fondamentaux, inscrits sur les murs de toutes nos mairies.

L'enjeu est capital : il n'est pas question ici de vagues mesures symboliques, mais de l'effectivité des droits humains. C'est pourquoi La France insoumise a prévu cette proposition dans son programme « l'Avenir en commun » et notre groupe parlementaire a décidé d'inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l'ordre du jour de sa première journée réservée de la législature.

Nous avons choisi d'inscrire ce droit dans la Constitution française, et plus précisément dans la Charte de l'environnement qui lui est adossée, car la législation ordinaire – trop faible – ne confère pas un caractère réellement universel à son accès, comme les faits nous le démontrent : l'article L. 210-1 du code de l'environnement prévoit bien que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Mais les modalités de mise en oeuvre effective de ce droit n'ont jamais été réellement définies. En choisissant la norme suprême, nous entendons garantir l'effectivité de ce droit, afin d'en faire un droit subjectif, invocable par tout individu.

Je déduis deux conséquences de ces principes, qui seront, je n'en doute pas, unanimement partagées. La première est que la quantité d'eau indispensable à la vie et à la dignité humaine doit impérativement être gratuite et libre d'accès – à la maison ou par des fontaines publiques. Il n'y a pas à chipoter sur le pourquoi du comment, c'est une question de principe : si l'eau est indispensable à la dignité et si la France reconnaît que préserver la dignité humaine est au sommet de ses principes, il faut que les moyens de la préserver soient réellement accessibles. La dignité humaine est inconditionnelle, donc il ne peut être question d'une condition monétaire pour la garantir. Pour autant, les quantités d'eau non indispensables doivent être payantes – les usages de loisirs par exemple, plus que d'autres. Or le droit actuel interdit cette gratuité des premiers mètres cubes ! Cela entre en grave contradiction avec l'idée que l'accès à l'eau est un droit fondamental.

La deuxième conséquence est que l'eau ne peut être qu'un service public. Le rôle des entreprises n'est pas de veiller à garantir l'accès universel aux droits humains. Cela ressort de la puissance publique. Elle ne peut déléguer cette tâche fondamentale ou risquer que celle-ci soit délaissée au profit d'autres principes, comme la profitabilité d'un investissement. Pourtant, dans les faits, les entreprises délégataires de ce service préfèrent couper l'eau en cas de facture impayée – se mettant ainsi hors la loi – plutôt que d'utiliser un autre recours. La gratuité des litres indispensables à la vie diminuera les factures impayées et le service public introduira une tarification progressive, permettant une gestion écologique et sociale de la ressource.

Enfin, cette proposition de loi n'est pas la fin du droit à l'eau en France. Son adoption n'en sera que le prolongement : pour garantir la disponibilité de l'eau, c'est-à-dire la quantité et la qualité de la ressource pour les usages vitaux, des mesures d'application devront prévenir la pollution ou la captation au profit d'usages privés. Cela devra s'accompagner de mesures précises, financées par l'État, pour développer et entretenir les infrastructures de distribution ou de collecte d'eau, ainsi que les points d'eau gratuits – fontaines, toilettes, bains douches.

Vous l'aurez compris, il s'agit d'inscrire ces engagements dans le droit français, au sommet de la hiérarchie des normes, en adoptant la présente proposition de loi constitutionnelle. Je souhaite, à tout le moins, que nous puissions en débattre utilement en commission, car je sais que la tentation sera grande d'écourter le débat en séance publique.

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