Ce texte est composé d'un long exposé des motifs – pas moins de sept pages et demi extrêmement fournies et bien documentées – qui viennent à l'appui d'un article unique de quelques lignes proposant d'ajouter un article 2-1 aux dix articles de l'actuelle Charte de l'environnement. De premier abord, cette généreuse présentation des motifs pourrait être convaincante : en effet, comment ne pas vouloir que chacun ait accès à l'eau dans notre pays – si tant est que ce ne soit pas actuellement le cas ? Vous citez maintes organisations internationales, traités, protocoles, conventions, et même les constitutions d'autres pays supposément bien plus éclairés que nous en la matière.
Il est urgent, écrivez-vous, que la France rejoigne ce mouvement. Mais pourquoi une telle déclaration d'urgence sur le droit à l'eau ? Votre texte précise que « le droit à l'eau s'envisage au travers d'un accès sans entrave ». Comme le relève très bien votre excellent rapport, extrêmement didactique, notre droit le prévoit déjà ! L'article L. 210-1 du code de l'environnement dispose ainsi que « l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Certains traités reprennent quasiment la même formulation. La loi du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes – dite « loi Brottes » – interdit par ailleurs de couper l'eau en cas d'impayé. L'interdiction existe donc ! Je ne conteste pas qu'elle n'est peut-être pas respectée par certains prestataires indélicats, mais le droit d'obtenir réparation existe également. De la même façon, le droit de disposer d'un logement décent, c'est-à-dire doté d'un accès à l'eau potable – et aussi à l'énergie, mais visiblement l'énergie vous intéresse moins – est un objectif à valeur constitutionnelle, reconnu par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 19 janvier 1995.
Vous indiquez que le droit à l'eau « peut également signifier, en second lieu, la nécessité de garantir l'accès à une ressource disponible tant quantitativement que qualitativement ». Cela nous rappelle qu'il est convenu d'encadrer les usages – y compris industriels et agricoles – que le droit à l'eau implique. Il est aussi nécessaire de garantir la protection des cycles naturels. Il convient bien sûr d'intégrer l'interdiction ou la réparation de la pollution de l'eau. Ces principes sont éminemment importants, voire vitaux. C'est pourquoi notre droit le prévoit déjà, depuis le vote de la Charte de l'environnement en 2005 !
Enfin, vous estimez que « le droit à l'eau signifie un accès matériel effectif des populations à leurs ressources en eau potable ». Il s'agit ici de prévoir des points d'eau urbains accessibles et gratuits pour toute personne ayant besoin d'eau – passant déshydraté ou sans domicile fixe – et des toilettes publiques, indispensables à l'hygiène élémentaire. Ces prérogatives relèvent très clairement de la responsabilité, et donc de la décision et de l'organisation, des collectivités – et non du constituant.
L'exposé des motifs de votre proposition de loi recense donc toutes les dispositions du droit international et français en matière d'accès à l'eau. Il faut également lire la Charte de l'environnement pour se rendre compte que votre ajout serait en total décalage par rapport au texte de 2005. Celui-ci reconnaît les droits et les devoirs fondamentaux relatifs à la protection de l'environnement, en définissant pour la première fois trois grands principes – on parle bien de principes : principe de prévention, principe de précaution et principe du pollueur-payeur. L'ajout que vous proposez serait donc redondant, tant sur le fond – la protection de l'environnement, limitée au droit à l'eau – que sur la forme, puisque la Charte de l'environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité.
De toute évidence, vous n'utilisez pas le bon véhicule législatif, d'autant que votre raisonnement révèle une vision de la société pétrie d'idéologie étatiste. Votre texte est plus séducteur que convaincant. Mais la séduction n'a jamais fait une politique.
Dernier argument pour rejeter cette proposition : votre texte souhaite que « l'approvisionnement en eau potable et son assainissement [soient] assurés exclusivement par l'État ou les collectivités territoriales, directement et de façon non lucrative ». Ce serait donc le règne unique de la régie directe ou du monopole d'État, imposés à l'ensemble des élus locaux. Nous piétinerions ainsi la libre administration des collectivités territoriales ou obligerions l'État à financer ce nouveau service. Par quel biais ? Un impôt nouveau ? Une répartition différente des contributions ? Demain, l'eau ne paierait-elle plus l'eau, tous les contribuables émargeant, non plus seulement les usagers ? Cela reviendrait encore une fois à contourner l'article 72 de la Constitution qui garantit la libre administration des collectivités territoriales. Il serait pour le moins saugrenu de contrevenir à ce principe de liberté, sous prétexte de garantir un droit par ailleurs déjà défini et défendu... Pour toutes ces raisons – un droit d'ores et déjà suffisamment défendu, un véhicule législatif inapproprié et notre ferme volonté de maintenir la liberté des collectivités d'organiser ce service public essentiel –, nous voterons contre ce texte.