Intervention de Caroline Fiat

Réunion du mercredi 24 janvier 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCaroline Fiat, rapporteure :

Je suis heureuse de vous présenter ce matin la proposition de loi que j'ai déposée au mois de décembre dernier avec les membres du groupe La France insoumise, et qui vise à légaliser, sous conditions, l'euthanasie et le suicide assisté. J'espère que nous allons pouvoir débattre sereinement de l'évolution du cadre législatif concernant la fin de vie dans notre pays, évolution plébiscitée et attendue par nos concitoyens, voire au-delà de nos frontières.

Un sondage de l'IFOP pour le journal La Croix, publié au début du mois, a en effet montré que 89 % des Françaises et des Français étaient favorables à ce que l'on aille plus loin que la législation actuelle sur la fin de vie. C'est dire si, au-delà des convictions politiques, religieuses ou philosophiques, nos concitoyens sont aujourd'hui convaincus, dans leur immense majorité, de la nécessité de faire évoluer la législation.

Je tiens à souligner qu'il ne s'agit pas d'un mouvement d'humeur, car d'un sondage à l'autre, quelle que soit la méthodologie retenue, « la solution majoritaire souhaitée en cas de situation de fin de vie insupportable est d'abord la possibilité de demander à ce que le médecin vous fasse mourir », comme le notait en 2012 le professeur Didier Sicard. Chez les médecins aussi, les mentalités ont évolué puisqu'une enquête, réalisée en 2013 par Ipsos pour le Conseil national de l'ordre des médecins, a fait apparaître que 60 % des médecins étaient favorables à l'euthanasie.

Les esprits sont donc mûrs pour un changement commandé par une exigence d'égalité. Nos concitoyens sont en effet loin d'être égaux face aux conditions dans lesquelles ils meurent. En 2012, la commission de réflexion sur la fin de vie en France pointait déjà les « inégalités socio-économiques du mourir » dans notre pays. Alors que la Belgique et les Pays-Bas offrent à leurs ressortissants un accès universel aux soins palliatifs, l'avis citoyen sur la fin de vie, publié en 2013, a établi qu'en France, seules 20 % des personnes qui devraient bénéficier des soins palliatifs y ont accès avec en outre de lourdes inégalités territoriales entre les structures palliatives comme entre le nombre de lits dédiés en milieu hospitalier. Ces inégalités sont si grandes qu'en 2014 le Comité consultatif national d'éthique a dénoncé le scandale que constitue, depuis quinze ans, la fin de vie insupportable d'une très grande majorité de nos concitoyens.

Notre proposition de loi prend en compte cette inégalité dans l'accès aux soins palliatifs, en faisant de cet accès une exigence préalable à toute procédure d'euthanasie ou d'assistance au suicide.

Nous nous trouvons aujourd'hui, au regard de l'euthanasie et de l'assistance au suicide, dans une situation assez comparable à celle que nos concitoyens ont pu connaître jusqu'en 1975 au regard de l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Soit ils ont les moyens de trouver refuge chez nos voisins européens pour pouvoir y mourir dignement, que ce soit aux Pays-Bas ou au Luxembourg qui ont légalisé l'euthanasie et l'assistance au suicide respectivement depuis 2001 et 2009, en Belgique qui a légalisé l'euthanasie en 2002, ou encore en Suisse où le suicide assisté est toléré dès lors qu'il n'est pas motivé par un mobile égoïste. Soit ils n'ont pas les moyens de traverser nos frontières. Dans ce cas, ils subissent sur notre territoire ce que le professeur Didier Sicard a appelé le « mal-mourir » ou ils trouvent d'autres façons de mettre fin à leurs jours. Je rappelle à cet égard qu'un rapport publié en 2014 par l'Observatoire national du suicide place la France parmi les pays d'Europe enregistrant le taux de suicides le plus élevé, un tiers de ces suicides concernant des personnes âgées de plus de soixante ans et la majorité des suicides étant violents – 53 % par pendaison.

Quand elles ne mettent pas fin à leurs jours, les personnes en fin de vie sont parfois euthanasiées, contre leur gré, en catimini, dans nos hôpitaux. Une étude publiée en 2012 par l'Institut national d'études démographiques (INED) a en effet relevé que les décisions médicales avec intention de mettre fin à la vie des patients représentaient 3,1 % des décès enregistrés en décembre 2009, et qu'un cinquième seulement de ces décisions étaient prises à la demande des patients.

Il est donc grand temps d'encadrer les quelque 4 000 euthanasies clandestines qui seraient ainsi pratiquées chaque année. À mes yeux, il est révoltant que celles et ceux qui souhaitent mourir plus vite soient contraints de fuir à l'étranger pour y trouver les conditions d'une mort digne. Mais il est tout aussi scandaleux que celles et ceux qui souhaitent mourir plus tard puissent être euthanasiés contre leur volonté.

Parce qu'il est urgent de sortir de l'hypocrisie et d'apaiser la colère qui monte chez nos concitoyens qui peuvent, à juste titre, se sentir méprisés par une législation insuffisamment respectueuse de leur dignité, le groupe La France insoumise soumet aujourd'hui à la représentation nationale une proposition de loi qui, animée par une exigence de liberté et de respect de toutes les consciences, vise à légaliser, sous conditions, l'euthanasie et l'assistance au suicide.

C'est en effet l'objet de l'article 1er de la proposition de loi. Plutôt que de recourir à la formule d' « assistance médicalisée active à mourir » ou à d'autres circonvolutions, cet article n'hésite pas à employer les termes d'« euthanasie » et d'« assistance au suicide » car, comme l'ont montré les enquêtes d'opinion précédemment citées, ce sont des notions qui sont parfaitement claires pour nos concitoyens et qui ne leur font plus peur.

Assumant la revendication d'un droit de mourir que Chantal Sébire et Vincent Humbert ont jadis réclamé en vain à la justice française et aux Présidents de la République successifs, l'article 1er subordonne la légalité des actes d'euthanasie et d'assistance au suicide à plusieurs conditions inspirées des lois belge et luxembourgeoise. Premièrement, la demande doit émaner d'une personne capable, au sens civil du terme, l'hypothèse où la personne serait hors d'état d'exprimer sa volonté étant envisagée. Deuxièmement, cette personne doit être atteinte d'une affection grave ou incurable, quelle qu'en soit la cause, qui soit lui inflige une souffrance physique ou psychique qu'elle juge insupportable et qui ne peut être apaisée, soit la place dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité. Enfin, l'acte létal ne peut être accompli que par un médecin ou en présence et sous la responsabilité d'un médecin, étant précisé que l'article 4 garantit aux professionnels de santé la possibilité d'invoquer leur clause de conscience pour refuser d'accompagner un patient dans ses démarches, à condition cependant de l'orienter immédiatement vers un praticien susceptible de l'accepter.

Ce n'est qu'aux conditions précédemment énoncées que les personnes prêtant leur concours à un acte d'euthanasie ou d'assistance au suicide pourront bénéficier de l'exonération de poursuites et de sanctions pénales prévue à l'article 5. Cette disposition tend en effet à modifier le code pénal afin que l'acte d'euthanasie ou d'assistance au suicide régulièrement pratiqué ne soit considéré ni comme un meurtre ni comme un empoisonnement. Je vous proposerai par ailleurs un amendement afin de garantir que cet acte ne soit pas non plus assimilé à un assassinat.

Cette absence d'incrimination ne vaut toutefois que pour autant qu'aura également été respectée la procédure collégiale et extrêmement précise détaillée à l'article 3. S'inspirant là encore des droits belge et luxembourgeois, cet article encadre de façon très stricte le traitement des demandes d'euthanasie et d'assistance au suicide. Devant résulter de directives anticipées ou être formulées devant au moins deux témoins, lorsqu'elles le sont par oral, ces demandes devront être examinées par le médecin traitant et au moins un autre médecin indépendant. Ces médecins seront tenus de consulter l'équipe médicale assistant le patient au quotidien, sauf opposition de ce dernier, et d'établir un rapport sur la base duquel sera organisé un entretien avec le patient. Lorsque ce dernier n'est pas conscient et capable ou si l'expression de sa volonté ne revêt pas un caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite, l'entretien a lieu avec sa personne de confiance, étant précisé que l'article 2 de la proposition de loi permet la désignation de plusieurs personnes de confiance appelées à se succéder selon un ordre de préférence en cas de refus, d'empêchement, d'incapacité ou de décès de l'une d'entre elles.

Le déroulement de cet entretien est très précisément décrit : le médecin doit notamment informer le patient ou sa personne de confiance de son état de santé, de son espérance de vie, des possibilités thérapeutiques éventuellement encore envisageables, de l'état de la recherche en la matière, des possibilités offertes par les soins palliatifs, de leurs conséquences, des modalités d'accompagnement de fin de vie, ainsi que des conséquences de son choix. Si, à l'issue de cet entretien, la demande d'euthanasie ou de suicide assisté exprimée par le patient ou par sa personne de confiance persiste, elle sera avalisée dans un écrit daté et signé en présence de deux témoins n'ayant aucun intérêt matériel ou moral au décès. Une fois cette demande réitérée par écrit, l'acte létal sera accompli dans un délai maximal de quatre jours à compter de l'établissement de cet écrit, et le médecin qui y aura apporté son concours sera tenu d'adresser un rapport à une commission régionale de contrôle dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès. Ce dispositif de contrôle permettrait notamment d'établir, sur la base de données non confidentielles, des rapports statistiques et d'évaluation permettant de détecter et de neutraliser rapidement toute velléité de pratiquer des euthanasies ou des suicides assistés aux seules fins de libérer des lits.

En effet, qu'on ne brandisse pas cette accusation tout aussi éculée qu'infondée : les études ont montré que, bien que légalisées chez nos voisins européens, l'assistance au suicide et l'euthanasie restent à un niveau stable et marginal par rapport au nombre total de décès – moins de 0,2 % au Luxembourg, 2 % en Belgique et 3,5 % aux Pays-Bas. Qu'on ne nous oppose pas non plus l'argument selon lequel il serait nécessaire, avant de légiférer, d'engager de nouveaux débats ou de nouvelles évaluations, ou d'attendre la conclusion des états généraux de la bioéthique qui se sont ouverts la semaine dernière. Missions parlementaires successives, menées notamment par M. Jean Leonetti, débats organisés par la commission de réflexion sur la fin de vie en France et par le Comité consultatif national d'éthique : rarement un sujet aura été aussi débattu et évalué au cours des vingt dernières années. Rarement le législateur aura été contraint de remettre aussi souvent l'ouvrage sur le métier, preuve que, malgré les évolutions qu'il a connues, notre dispositif encadrant la fin de vie n'est toujours pas adapté aux besoins et aux attentes de nos concitoyens.

Une loi du 9 juin 1999 a prétendu garantir l'accès aux soins palliatifs sur l'ensemble du territoire. Résultat : cet objectif, dont la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté n'a nullement vocation à enrayer la poursuite, est aujourd'hui loin d'être atteint. La loi Kouchner du 4 mars 2002 a permis de désigner une personne de confiance. Résultat : il a fallu deux nouvelles lois pour renforcer son rôle, la loi du 22 avril 2005, dite loi Leonetti, et la loi du 2 février 2016, dite loi Claeys-Leonetti. La loi Leonetti a prohibé l'obstination déraisonnable et permis aux majeurs de rédiger des directives anticipées. Résultat : une étude publiée en 2012 par l'Institut national des études démographiques a montré qu'en moyenne 2,5 % seulement des personnes décédées avaient rédigé au préalable des directives anticipées. Plusieurs rapports ont montré que l'acharnement thérapeutique persiste à la faveur d'une culture médicale curative nourrie par l'insuffisante formation des professionnels de santé aux enjeux liés à la fin de vie et à la prise en charge de la douleur.

Quant à la loi Claeys-Leonetti, qui a consacré la pratique des sédations profondes et continues, l'écrivaine Anne Bert, qui a dû se rendre en Belgique pour être euthanasiée dans un service de soins palliatifs, la qualifiait, il y a quelques mois encore, de « poudre aux yeux » pour les malades en fin de vie, tant la sédation terminale est inadaptée à un certain nombre d'agonies. Aucune étude scientifique ne démontre par ailleurs à ce jour l'absence totale de souffrance chez la personne sédatée qui met parfois plusieurs semaines à succomber d'un défaut d'hydratation.

Si la sédation profonde et continue peut être une solution satisfaisante pour certaines personnes, elle ne l'est donc pas pour toutes. Elle peut faire peur aux malades et à leurs proches, tout comme l'acharnement palliatif qui ne convient pas non plus à tous les patients. De mon point de vue, la logique consistant à évaluer les dispositifs législatifs existants de manière régulière ne doit pas porter atteinte à la responsabilité du législateur qui est celle de combler au plus vite les lacunes les plus manifestement béantes de nos politiques publiques.

J'espère donc que la représentation nationale ne tergiversera pas encore durant des mois, voire des années, et qu'elle adoptera la présente proposition de loi qui, dans le respect de la liberté de toutes les consciences, offre enfin à nos concitoyens la possibilité de choisir en consacrant le « droit de mourir » revendiqué par Vincent Humbert, il y a de cela quinze ans.

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