Quelques mots pour me présenter :je suis directeur de recherche à l'Inra (Institut national pour la recherche agronomique), dont j'ai été directeur général délégué aux affaires scientifiques de 2013 à 2016. Auparavant, je m'occupais de la santé des plantes et de l'environnement à l'Inra. Mes recherches portent spécialement sur la biologie végétale et les interactions entre les plantes et les virus.
Monsieur le Président, vous avez dit que nous étions dans une société du doute. C'est aussi le propre de la démarche scientifique de douter, d'avoir du sens critique et d'avoir codifié la manière dont on doute et dont on exerce son sens critique. Le propre de l'intégrité n'est pas de se définir comme une absence de manquement à l'intégrité mais comme une chose positive. De quelle manière exerce-t-on le doute et comment alimenter la connaissance pour répondre aux questions que l'on se pose ? Tel est notre sujet.
La société se transforme plus vite que jamais. Par rapport aux grands défis climatiques et démographiques, le besoin de connaissances est une évidence. La Déclaration de Singapour de 2010 rappelle que la valeur et les bénéfices de la recherche pour la société sont dépendants, de manière vitale, de l'intégrité en recherche. Cela nous rappelle l'importance de la confiance, l'importance de fiabiliser les pratiques, les processus d'élaboration et de partage de la connaissance pour assurer la confiance au sein des communautés scientifiques, entre les communautés scientifiques de différentes obédiences disciplinaires et, plus généralement, entre la science et la société, ce qui est essentiel.
À l'heure des technologies de l'information et de la communication, on observe à la fois une exposition – et parfois un partage dans le cadre des sciences citoyennes – des pratiques scientifiques entre science et société, ainsi que des opportunités pour faire évoluer les outils, les pratiques scientifiques avec, notamment, une évolution des pratiques et des contraintes qui conduisent, le cas échéant, à des manquements à l'intégrité.
Une typologie sommaire des méconduites commence par les falsifications de données, les plagiats. Pour expliciter la distinction, dans le premier cas, je raconte n'importe quoi, le contraire de la réalité, dans le second cas, je raconte des choses que d'autres ont déjà raconté sans les citer de manière propre.
Au-delà de ces manquements à l'intégrité, toute une zone grise existe autour des notions d'honnêteté, de fiabilité, de respect et de traçabilité, autant de valeurs positives associées à l'intégrité et dans lesquelles on trouve des zones d'ombre : référencements biaisés des études, « saucissonnage » des publications pour en augmenter le nombre, conflits d'intérêts, signatures abusives, archivage déficient, méthodes non reproductibles... Certaines études montrent que de trop nombreux articles scientifiques sont réalisés avec des méthodes que d'autres chercheurs ne peuvent pas reproduire, alors que c'est l'un des fondements de la confiance entre chercheurs. Citons encore les mauvaises statistiques utilisées, l'échantillonnage biaisé ou l'embellissement des données. Il y a tout un continuum entre la volonté légitime de montrer les meilleurs résultats et celle de montrer systématiquement l'embellissement.
Au risque de me répéter, l'intégrité ne se réduit pas à une absence de manquement à l'intégrité, sinon le raisonnement devient circulaire. Comme je l'ai dit, nous allons essayer de parler de l'intégrité scientifique de manière positive.
Historiquement, un premier Office a été créé aux États-Unis en 1992 (Office of Research Integrity), le réseau européen des référents à l'intégrité scientifique (ENRiO) a été mis en place en 2007, enfin, la Déclaration de Singapour de 2010 a constitué un acte fondateur au niveau mondial.
Au niveau européen, le code de conduite de 2011 entre la Fondation européenne de la science (Open Science Foundation) et toutes les académies européennes a été mis à jour en 2017 (European Code of Conduct for Research Integrity). Par ailleurs, des consortiums européens, le plus souvent pilotés par l'Europe du Nord, travaillent de manière concrète sur l'intégrité et la manière de la mettre en oeuvre dans les laboratoires. La France doit arriver à s'intégrer dans ces consortiums. C'est un objectif.
En France, le rapport de Jean-Pierre Alix, rendu public en 2010, intitulé « Renforcer l'intégrité de la recherche en France. Proposition de prévention et de traitement de la fraude scientifique », avait deux défauts majeurs : d'une part, il n'a pas été suivi d'énormément d'effets, d'autre part, il parlait peu du monde universitaire. Or les universités ont un rôle d'opérateur de recherche et un rôle dans l'enseignement supérieur. En 2012, un avis du Comité d'éthique du CNRS (Comets) a indiqué au CNRS qu'il devrait se doter d'un référent intégrité. À la suite du rapport Alix, une charte nationale de déontologie des métiers de la recherche a été signée en 2015 par huit établissements. Les principes s'articulent autour du respect des dispositifs législatifs et réglementaires, la fiabilité du travail de recherche, la communication, la responsabilité dans le travail collectif, l'impartialité et l'indépendance dans l'évaluation et l'expertise, les travaux collaboratifs et le cumul d'activités, la formation à l'intégrité intégrée aux cursus.
Un an plus tard, Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, demande à Pierre Corvol de rendre un rapport sur la manière dont cette charte s'est mise en place (« Bilan et propositions de mise en oeuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique », juin 2016). Ce rapport fait le distingo entre éthique et intégrité – deux piliers de l'excellence dans les pratiques de recherche –, dresse une typologie des méconduites, liste bien les responsabilités respectives du chercheur, du collectif de recherche, de l'établissement, le cas échéant des tribunaux et, enfin, présente une analyse par grands domaines pour retomber finalement sur 16 recommandations, dont la dernière est la création d'un Office français de l'intégrité scientifique, une structure légère en charge du suivi de ces affaires. La mise en place de l'OFIS a été engagée entre mars et octobre 2017.
En 2017, les événements se sont accélérés. La charte nationale de 2015 compte aujourd'hui 16 signataires et le réseau des référents intégrité s'est beaucoup étendu en raison de l'implication des universités. Les cinq référents au moment de la signature de la charte nationale sont devenus, aujourd'hui, une cinquantaine. Le vade-mecum de Pierre Corvol, rendu en juin 2016, fait d'ailleurs le point sur le métier de référent à l'intégrité scientifique. Suite à ce rapport, Thierry Mandon a envoyé, en mars 2017, une lettre-circulaire relative à la politique d'intégrité à tous les responsables d'établissement d'enseignement supérieur pour qu'ils mettent en place ces recommandations. Les questions d'intégrité ont été inscrites dans tous les référentiels d'évaluation du Hcéres sur les unités de recherche, les établissements. Ces demandes proviennent assez directement du rapport Corvol. L'arrêté de 2016 relatif à la formation doctorale a inscrit la formation à l'intégrité dans les cursus. Aujourd'hui, quelques écoles doctorales commencent à exiger une petite formation incluant des questions d'intégrité pour habiliter un chercheur à diriger des recherches, un diplôme universitaire délivré en milieu de carrière autour de 40-45 ans.
L'OFIS n'est pas complètement finalisé à ce jour. Dans ses principes, il se veut une ressource pour les chercheurs, les équipes, les établissements, les institutions, tout en respectant les prérogatives et les responsabilités de chacun. L'OFIS n'est ni un tribunal, ni même un tribunal d'appel. Il ne va pas faire des enquêtes à la place des responsables d'établissement, notamment pour tout ce qui concerne, si besoin, une partie disciplinaire. En revanche, nous sommes à la disposition des responsables d'établissement pour répondre à des questions particulières susceptibles d'enrichir la jurisprudence et la mutualisation des connaissances.
L'OFIS a trois grandes missions : c'est une plateforme de réflexion et de prospective, c'est également un observatoire de la mise en place de la charte ; enfin, il a un rôle d'animation nationale. Sur la notion d'indépendance, l'OFIS travaille à égale distance des établissements et des collectifs. À ce titre, il a été arbitré par Thierry Mandon en 2017 que l'OFIS serait un département du Hcéres, qui est l'une des 26 autorités administratives indépendantes issues de la loi du 20 janvier 2017. L'intérêt du Hcéres est double : il est indépendant des ministères et des établissements et son positionnement par rapport à l'évaluation de la recherche est assez unique au monde. La pratique du Hcéres consiste à faire de l'évaluation-conseil et non de l'évaluation-sanction. C'est un bon positionnement, privilégiant l'anticipation. Tous les cinq ans, une unité de recherche a rendez-vous avec un comité d'évaluation, qui étudie le bilan et la manière dont l'unité se projette dans l'avenir. Concernant les pratiques de recherche et les pratiques vertueuses, c'est le moment, pour un directeur d'unité ou un collectif de recherche, de se poser toutes ces questions. J'ai piloté, personnellement, des évaluations dans mon département de recherche à l'Inra en 2015. C'est un moment privilégié.
Cette interaction avec les établissements et les collectifs nous permet d'être en lien avec la conférence des 16 signataires de la charte. Nous allons essayer de réunir leurs 16 présidents, ce qui n'est pas simple. Pour autant, le contact est très facile. Pas plus tard qu'hier, lors de la réunion de la commission Recherche de la Conférence des présidents d'université (CPU), nous avons évoqué l'intégrité et la manière de la mettre en oeuvre dans les établissements. Nous sommes également en interaction avec le réseau des référents intégrité scientifique des établissements d'enseignement supérieur et de recherche.
S'agissant de son organisation, l'OFIS est doté d'un Conseil de l'intégrité scientifique (CIS) composé de 12 membres. Actuellement, nous sommes 9. Lors de la première réunion du CIS en décembre 2017, j'avais souhaité que le Conseil réfléchisse aux compétences des trois derniers membres. L'équipe de direction, de petite taille, est en cours de constitution. Le directeur sera recruté dans les prochaines semaines, un premier appel à candidature en novembre n'ayant pu déboucher. La troisième composante est le réseau des référents intégrité scientifique.
Parmi nos pistes de travail, je rappelle que l'intégrité ne se réduit pas à une absence de manquement. Nos missions s'articulent autour de la plateforme de réflexion, de l'observatoire de la charte et de l'animation nationale.
Dans le cadre de sa mission de réflexion, la première réunion du CIS a proposé d'étudier les processus de « mise sous pression » des chercheurs du type « publier ou périr » (publish or perish) dans un contexte d'open science, avec de nouvelles façons de publier, de partager les données, de nouvelles pratiques grâce aux NTIC. Ce sera une réflexion du CIS lui-même qui compte, parmi ses membres, de jeunes chercheurs issus du monde du Big Data ou des sciences citoyennes, ainsi qu'un journaliste.
Pour ce qui concerne l'observatoire de la charte, le CIS a des missions de représentation internationale et d'harmonisation des processus entre les différents établissements. Les unités mixtes de recherche sont une spécificité française. En cas de manquement, cela appelle la responsabilité du gestionnaire de l'unité, lequel n'est pas toujours l'employeur. Ils doivent pouvoir se parler. C'est un premier chantier du réseau des référents intégrité.
Concernant l'animation nationale, l'OFIS entretient des liens privilégiés avec le réseau des référents intégrité. Les futurs colloques et séminaires seront a priori organisés ou parrainés par l'OFIS.
La communication est très importante. J'aimerais qu'on parle des questions d'intégrité dans les laboratoires et je souhaite une présence de l'OFIS sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, et un site web. Le Hcéres héberge actuellement une page web avec un certain nombre de documents, dont la charte.