Ce sujet est au coeur des préoccupations du monde du travail. Nous touchons là à l'humain. Il est insupportable d'abîmer sa vie à la gagner ! Tout d'abord, qu'est-ce que le travail, sinon un acte de production et de création, un acte de rapport au monde, à l'humanité et à la nature produisant de la valeur ? Quel contresens que la notion de coût du travail ! Les salariés sont trop souvent pressés et pressurés, embarqués dans la grande lessiveuse de la concurrence infernale de tous contre tous, de la guerre économique et du dividende à deux chiffres, ou encore passés au compresseur des logiques d'austérité ! Les nouvelles méthodes de management et les nouveaux modèles de l'ère numérique installent une modernité qui est mal placée pour adresser des reproches au passé.
Tout incite, comme le démontrent Roland Gori, Bernard Lubat et Charles Silvestre dans le Manifeste des oeuvriers, à un « retour à l'oeuvre », à un respect renouvelé des métiers ainsi qu'à un goût du travail bien pensé, bien fait et bien considéré. Car le travail, s'il n'était pas pour l'essentiel emprisonné et mis au service de l'accumulation de richesses par quelques-uns, s'il n'était pas si souvent le lieu d'une domination par le capital, pourrait pleinement constituer un acte d'émancipation !
Libérer véritablement le travail en donnant le pouvoir aux productrices et aux producteurs, dans leur diversité et leur solidarité, demeure donc un mouvement incontournable à engager et la grande tâche de notre temps. Certes, on peut, en dépit de cet état de fait, s'épanouir dans le travail ; on peut s'y accomplir et lui donner un sens, de l'absence duquel on pâtit. Néanmoins, nul ne peut nier qu'il est trop souvent cause de souffrances physiques et psychiques dans un contexte d'intensification des tâches, de mutations économiques et de bouleversement des modes d'organisation des entreprises.
Il incombe donc à la loi d'intervenir, car il résulte de l'exploitation contemporaine l'apparition de maladies professionnelles qui, pour n'être pas entièrement inédites, n'en sont pas moins symptomatiques de notre époque. Le syndrome d'épuisement professionnel, plus connu sous l'appellation burn-out, est l'une des formes que prend la souffrance au travail, qui concerne un nombre croissant de salariés dans notre pays. Ainsi, on estimait en 2014 le nombre de personnes exposées à un risque élevé de burn-out à 3,2 millions de personnes, soit 12 % de la population active.
Depuis plusieurs années, les organisations syndicales de salariés ainsi que les médecins du travail alertent les entreprises et les pouvoirs publics à propos de cette réalité massive et dramatique. Il a fallu que ce scandale soit mis au jour par des vagues de suicides survenus dans de grandes entreprises pour que la cause de sa résorption avance. Le trop-plein de travail et de pression mène des hommes et des femmes à l'effondrement. Toutes les professions sont concernées, les travailleurs indépendants comme les cadres et les employés, les salariés du public comme ceux du privé. Plusieurs études démontrent qu'il est très urgent d'agir.
La mission d'information relative au syndrome d'épuisement professionnel menée par nos anciens collègues Gérard Sebaoun et Yves Censi, dont le rapport a été publié au mois de février 2017, a signalé l'importance du phénomène ainsi que ses causes et les carences de sa prise en charge. Ses causes sont connues et bien identifiées, notamment le management par objectifs, une organisation du travail défaillante, la mise en concurrence des salariés, la surcharge de travail, le manque de reconnaissance professionnelle, la pression et l'isolement. Mentionnons également la crainte de perdre son emploi dans un contexte de chômage endémique.
Loin d'être simplement la conséquence de fragilités personnelles auxquelles il est souvent attribué, l'épuisement professionnel résulte, dans la plupart des cas, de contraintes extérieures inhibant le sentiment du devoir accompli et du travail bien fait. Il peut engendrer des pathologies psychiques lourdes dont la reconnaissance demeure pour le moins lacunaire.
Le psychiatre Christophe Dejours résume ce phénomène mieux que quiconque : « L'évaluation individualisée, lorsqu'elle est couplée à des contrats d'objectifs ou à une gestion par objectifs, lorsqu'elle est rassemblée en centre de résultats ou encore en centre de profits, conduit à la mise en concurrence généralisée entre agents, voire entre services dans une même entreprise, entre filiales, entre succursales, entre ateliers, etc. Cette concurrence, lorsqu'elle est associée à la menace de licenciement, conduit à une transformation en profondeur des rapports du travail ».
Malgré quelques améliorations instaurées au cours de la législature précédente, la situation est loin d'être satisfaisante. Obtenir la reconnaissance des pathologies psychiques ayant une cause professionnelle relève du parcours du combattant. Deux chiffres suffisent à le démontrer : alors qu'on estime que le nombre de cas survenant chaque année est compris entre 200 000 et 400 000, seules 10 600 personnes ont réussi à faire reconnaître l'origine professionnelle de leurs troubles psychiques.
À défaut de prise en charge par la branche accidents du travail-maladies professionnelles, donc par les employeurs par le biais des cotisations patronales, c'est à l'assurance maladie – autrement dit à la collectivité dans son ensemble – qu'il incombe d'assumer l'indemnisation des pathologies professionnelles, ce qui dissout la responsabilité sociale des entreprises.