Intervention de Paul-André Colombani

Séance en hémicycle du jeudi 1er février 2018 à 9h30
Reconnaissance comme maladies professionnelles des pathologies psychiques résultant de l'épuisement professionnel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPaul-André Colombani :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, chers collègues, nous débattons de la reconnaissance en tant que maladie professionnelle des pathologies psychiques résultant de l'épuisement professionnel, regroupées dans l'anglicisme plus concis de « burn-out ».

Je salue cette démarche avant-gardiste de mes collègues Quatennens et Ruffin appelant l'attention des représentants du peuple sur la nécessité d'affronter ce fléau multiforme et difficile à appréhender. Cette proposition de loi a le mérite de susciter un débat et de nous amener à nous interroger sur le burn-out comme phénomène.

Bien qu'étant médecin, je ne souhaite pas entrer dans les considérations scientifiques tenant à la caractérisation du burn-out comme pathologie de l'individu, car le burn-out est avant tout la pathologie d'une société : c'est le phénomène social qui doit nous alerter quant à la façon de considérer et de dompter notre rapport au travail.

Le travail est un des lieux primordiaux du développement humain, qui régule les relations entre un individu et la société. Mais le travail qui humanise, le travail qui permet de socialiser et de se construire est aussi, hélas, le travail qui annihile, le travail qui asservit et détruit nos semblables.

Comme l'a relevé le rapport Pénicaud, Lachmann et Larose de 2010, le travail a remplacé peu à peu le vide laissé par l'atrophie des corps intermédiaires de la société, censés créer les liens sociaux qui protègent l'individu, préviennent sa précarisation et lui offrent les conditions indispensables à son émancipation.

Le travail industriel, avec sa cadence infernale que dénonce Chaplin dans Les temps modernes, était une pathologie physique qui rendait difformes les corps des ouvriers. Le burn-out se manifeste comme une nouvelle forme post-moderne de cet asservissement. Elle n'est plus physique : elle est psychique. Le burn-out marque l'intériorisation perverse de l'exploitation, qui atteint même la santé mentale des cadres. Le burn-out révèle l'absurdité de notre système, qui se retourne contre les privilégiés mêmes au profit desquels ce système fonctionne.

De quelle maladie est-il le symptôme ? D'un système fondé sur la religion matérialiste du gain rapide, incapable de se satisfaire des ressources de la planète. D'un culte féroce de la rentabilité, qui voue au bûcher de la productivité horaire le moindre temps libre, avec la complicité passive de la technologie. Le manque de reconnaissance, les lacunes de la formation en matière de management, la difficulté à prendre le temps d'écouter le salarié induisent une souffrance quotidienne au travail qui est l'une des causes du burn-out.

Mais il existe d'autres facteurs plus globaux, et le législateur doit instaurer des freins à cette fuite en avant, à cet aveuglement au désastre qui frappe certes le jeune cadre dynamique – on en parle volontiers – mais qui, en silence, détruit les pauvres de l'intérieur.

Le burn-out n'étant que l'intériorisation psychique par l'employé pliant sous l'horloge de l'épuisement physique de l'ouvrier pliant sous la machine, je voudrais vous livrer quelques lignes de la philosophe Simone Weil, qui avait épousé la condition ouvrière au point d'y consumer sa santé, puis sa vie.

« Il est vrai que quand on est pauvre et dépendant, on a toujours comme ressource, si l'on a l'âme forte, le courage et l'indifférence aux souffrances et aux privations. C'était la ressource des esclaves stoïciens. Mais cette ressource est interdite aux esclaves de l'industrie moderne car ils vivent d'un travail pour lequel, étant donné la succession machinale des mouvements et la rapidité de la cadence, il ne peut y avoir d'autre stimulant que la peur et l'appât des sous. Supprimer en soi ces deux sentiments à force de stoïcisme, c'est se mettre hors d'état de travailler à la cadence exigée. Le plus simple alors, pour souffrir le moins possible, est de rabaisser toute son âme au niveau de ces deux sentiments ; mais c'est se dégrader. Si l'on veut conserver sa dignité à ses propres yeux, on doit se condamner à des luttes quotidiennes avec soi-même, à un déchirement perpétuel, à un perpétuel sentiment d'humiliation, à des souffrances morales épuisantes ; car sans cesse on doit s'abaisser pour satisfaire aux exigences de la production industrielle, se relever pour ne pas perdre sa propre estime, et ainsi de suite. Voilà ce qu'il y a d'horrible dans la forme moderne de l'oppression sociale ; et la bonté ou la brutalité d'un chef ne peut pas y changer grand-chose. »

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