Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, merci de me donner l'opportunité de témoigner devant vous aujourd'hui.
La Direction des applications militaires du CEA a la responsabilité des têtes nucléaires et des chaufferies nucléaires ainsi que des matières nucléaires pour ces deux ensembles.
L'organisation étatique mise en place dès l'origine avec le ministère des Armées a été jugée efficace par la Cour des comptes.
Je commencerai par évoquer les missions de la Direction des applications militaires du CEA et les programmes qui sont menés.
Notre mission est très majoritairement consacrée à la dissuasion nucléaire.
La DAM a la charge de la conception, de la garantie, de la réalisation, du maintien en conditions opérationnelles des têtes nucléaires qui équipement les forces nucléaires aéroportée et océanique.
Nous avons également la responsabilité des chaufferies nucléaires embarquées en conception, garantie et réalisation pour les bateaux de la marine nationale.
– 4 sous-marins nucléaires lanceurs d'engins ;
– 6 sous-marins nucléaires d'attaque ;
– et le porte-avions Charles-de-Gaulle (avec 2 chaufferies).
Pour ces deux objectifs, nous approvisionnons les matières nucléaires.
Cela se traduit par une délégation de maîtrise d'ouvrage de l'État au sens d'un texte Œuvre Commune ArméesCEA.
Ce texte signé du Premier ministre décrit, selon quelles modalités, le ministère des Armées et le CEA doivent oeuvrer en commun pour la réalisation des armements nucléaires.
C'est une organisation étatique que la Cour des Comptes a jugée exemplaire dans le fonctionnement de l'État.
« Il est incontestable que ce processus, extrêmement innovant lors de sa création en 1961, qui unit dans une même enceinte et de manière très régalienne et très structurée, le commanditaire – le ministère de la Défense- et le maître d'ouvrage délégué – maître d'oeuvre, à savoir la DAM du CEA – est par essence fort efficace ».
Avec nos compétences, nous apportons une aide aux autorités nationales dans la lutte contre la prolifération nucléaire et contre le terrorisme.
Les travaux en cours pour les têtes nucléaires concernent le maintien en maintien en conditions opérationnelles pour celles en service, la réalisation de la TNO, et le programme Simulation pour leur garantie de sûreté et performances.
Pour les programmes en cours, en ce qui concerne les armes nucléaires :
– nous assurons le maintien en condition opérationnelle et apportons la garantie de fiabilité et sûreté des têtes nucléaires océaniques TN75 qui équipent le missile M51-1 (têtes en service depuis plus de 20 ans) et des têtes nucléaires aéroportées TNA qui équipent le missile ASMP-Amélioré ;
– les travaux concernent la réalisation des TNO qui équipent le M51-2.
Après l'arrêt définitif des essais nucléaires en janvier 1996 et signature puis ratification par la France en 1998 du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (le TICE), la garantie de la fiabilité et de la sûreté des armes nucléaires (les têtes nucléaires) est donnée via un programme décidé en 1996, et appelé programme Simulation.
Ce programme comprend 3 volets :
– modélisation physique approfondie des phénomènes intervenant dans le fonctionnement des armes ;
– simulation numérique avec des codes de calcul des armes prenant en compte la totalité de ces modèles et il y en a beaucoup.
– et en final, la validation des modèles et des codes par des expériences : certaines en laboratoire, d'autres avec de grands instruments que nous avons conçus et réalisés comme l'installation Epure pour la phase pré-nucléaire des armes, et avec le Laser Mégajoule où nous faisons des expériences de physique à l'échelle du millimètre sur la phase nucléaire des armes.
Ces expériences sont compatibles de l'engagement de la France envers le Traité de non-prolifération (TNP) et le TICE.
Le programme Simulation lancé en 1996 a été achevé en 2014 avec la mise en service du LMJ et d'Epure. Il a rempli son rôle de permettre le renouvellement des composantes aéroportée et océanique, avec la TNA et la TNO associées aux missiles ASMPA et M51, et cela sans essai nucléaire nouveau.
Comme l'a dit le président de la République (François Hollande en 2015), cela a été réalisé dans les délais et dans les coûts :
« Je voudrais donc saluer l'extraordinaire défi scientifique et technique que représente ce programme de simulation. La Direction des applications militaires du CEA respecte toutes les échéances de ce projet, tout en maîtrisant la dépense. »
Évalué en 2000 par l'Observatoire économique de la défense, le passage à la Simulation a permis de réduire le coût de la garantie des armes de 60 % relativement à ce qu'il était du temps des essais nucléaires.
Qu'est-ce qui fait que l'on a besoin de renouveler les têtes nucléaires ?
Le besoin de renouvellement des têtes nucléaires peut être motivé par leur vieillissement, une décision politique, la volonté de leur maintenir leur crédibilité technique et opérationnelle.
– La première chose est le vieillissement :
Les matériaux et composants des têtes nucléaires évoluent lentement. Mais au bout d'un certain temps (plus de 20 ans), leur évolution est telle que nous ne pouvons plus garantir leur sûreté ou leur performance.
Déjà certains composants qui ont des durées de vie plus courte que globalement celles de la tête nucléaire sont changés lors des maintenances mais cela ne concerne pas la partie charge nucléaire (partie qui délivre l'énergie).
– Un renouvellement peut être entraîné par une décision de l'autorité politique.
Par exemple, avec l'arrêt des essais nucléaires, il a fallu concevoir d'autres formules nucléaires (dites robustes) que nous saurions capables de garantir sans essai nucléaire nouveau, en s'appuyant sur le programme Simulation.
Ou une inflexion sur les objectifs des forces nucléaires comme « d'être capable d'infliger des dommages absolument inacceptables pour l'adversaire sur ses centres de pouvoir, c'est-à-dire, sur ses centres névralgiques, politiques, économiques et militaires » [François Hollande, président de la République, Istres, le 19 janvier 2015].
– Le troisième aspect pour le renouvellement est le besoin militaire.
Il peut s'agir de la mise en oeuvre d'un nouveau missile sollicitant davantage une tête nucléaire que le missile pour lequel elle était adaptée. Dans ce cas, nous cherchons à valider que la tête nucléaire peut s'adapter à ce nouveau missile pour ne pas avoir à la modifier.
Cela peut aussi être imposé lorsqu'il s'agit de maintenir la crédibilité technique et opérationnelle de la composante face aux défenses futures. Dans ce cas, c'est globalement le système d'armes qu'il faut adapter et donc, en cohérence, les têtes nucléaires. Il ne s'agit pas d'un nouveau type d'arme, mais d'une arme dont on a cherché à garder sa capacité opérationnelle.
La France a eu une action exemplaire et unilatérale pour la réduction de son arsenal à un niveau de stricte suffisance.
Outre le fait que la France ne recourt plus à des essais nucléaires, nous avons également arrêté de produire des matières fissiles pour les armes. Nous recyclons les matières fissiles des armes passées. C'est un acte unilatéral fait par la France et exemplaire.
La France est le seul pays possédant des armes nucléaires qui n'a plus de champ de tir (celui du Pacifique ayant été démantelé) et qui a démantelé ses capacités de production de plutonium et d'uranium hautement enrichi pour les armes.
La France a également réduit son arsenal à « moins de 300 têtes nucléaires » (président Sarkozy en 2008), en le réduisant de moitié relativement à l'arsenal du temps de la guerre froide. Par ailleurs, nous ne disposons pas d'autres armes, autres que « celles des stocks opérationnels ».
Nous sommes donc, avec ce stock de stricte suffisance, bien en dessous de ceux de la Russie et des USA, et peut-être aujourd'hui en-dessous de celui de la Chine.
Cela impose une exigence très forte sur la qualité des armements nucléaires français.
– La méthodologie de garantie par la Simulation et les moyens mis en place permettent d'adapter avec efficacité les têtes nucléaires pour le renouvellement des deux composantes.
– La réalisation de ces systèmes fait très largement appel à l'industrie française qu'il est nécessaire d'avoir et à très haut niveau.
– Des développements économiques importants sont issus du besoin dissuasion dont une industrie de souveraineté dans le domaine des calculateurs de puissance.
Dans le futur, nous continuerons à nous appuyer sur la méthodologie de simulation qui a fait ses preuves sur les 20 dernières années. Nous utiliserons les deux grands instruments qui ont été développés : le Laser Mégajoule, et l'installation Epure, installation que nous partageons avec le Royaume-Uni.
Nous continuerons à accroître la puissance de nos calculateurs.
Cela nous permet d'être capable, si le besoin s'en fait sentir, de faire évoluer la tête nucléaire de la composante océanique, et de concevoir et garantir une tête nucléaire aéroportée pour les différentes options envisagées (missiles hyper véloces ou furtifs, …).
La simulation permet, outre des réductions de coût des programmes, de réduire sensiblement les temps pour les faire aboutir en faisant moins d'essais lourds et plus de calculs. Cela permet donc de bien être capable de répondre à toute évolution stratégique ou technologique.
Je tiens à préciser que pour réaliser ces grands instruments de Simulation, nous avons quasi exclusivement fait appel à des entreprises françaises. C'est le cas pour toute notre activité au service de la dissuasion. Les trois quarts de notre budget passent dans l'industrie et vu les sujets défense, à une très large majorité dans l'industrie française. L'exigence technique est une nécessité pour la dissuasion. Aussi, avoir une industrie française au meilleur niveau est un enjeu fort pour notre mission.
Le Laser Mégajoule est une formidable réussite et vitrine de l'industrie française avec mille entreprises participantes.
Le Laser Mégajoule a aussi été le catalyseur du développement en Nouvelle Aquitaine d'une industrie de l'optique et des lasers, pour d'autres applications que les nôtres (santé, matériaux, …).
Par ailleurs, le besoin dissuasion a permis de faire émerger, à partir de zéro en 2000, une industrie nationale des calculateurs de puissance, avec un industriel français (et européen) ATOS-Bull.
Ces calculateurs servent à notre industrie et à la recherche française. Ils permettent des résultats importants à l'export.
Les calculateurs sont un instrument de souveraineté et de compétitivité. Avoir dans notre pays cette capacité industrielle permet d'avoir, à tout moment, des calculateurs au meilleur niveau mondial pour nos activités défense, mais globalement nationales. Mais également cela permet de bien mieux maîtriser nos calculateurs (cyber-sécurité) et nos bases de données. Par exemple, hors du domaine défense, c'est le cas pour les informations sur la santé de nos concitoyens.
J'en viens à la propulsion nucléaire.
Les programmes de la propulsion nucléaire concernent les changements des coeurs, la réalisation des chaufferies du futur SNA Barracuda et la conception de la chaufferie du SNLE de troisième génération.
Ces programmes imposent d'avoir une industrie nucléaire de très bon niveau dont TechnicAtome et Naval Group.
Le nucléaire donne sa grande autonomie à nos sous-marins. Nous devons changer les coeurs lorsque la puissance disponible devient insuffisante. (Environ au bout de 10 ans).
Cela fait qu'en maintenance sur les 12 réacteurs de la flotte, nous changeons un coeur par an.
Les programmes en cours sont :
– les sous-marins d'attaque Barracuda :
4 sont commandés sur les 6 potentiels. Les chaufferies sont maintenant en production, en phase avec l'avancement des bateaux.
– Nous travaillons sur la conception de la chaufferie du futur sous-marin nucléaire lanceur d'engins de troisième génération.
Dans le domaine de la propulsion nucléaire, deux industriels sont impliqués au premier ordre : TechnicAtome pour la conception de la chaufferie nucléaire et la réalisation des coeurs, et NavalGroup via son Bureau d'Études à Indret. Il est essentiel de conserver leurs compétences dans la longue durée. Mais, au-delà, nous avons aussi besoin du nucléaire civil pour ne pas faire porter tout l'effort financier sur la défense. C'est vrai pour les composants des réacteurs (pompes, …) ou la technologie (fabrication des gros composants du réacteur à Creusot Forges).
Avant de quitter la propulsion nucléaire, j'ajouterai qu'à l'instar de ce qui se fait pour les armes nucléaires, la simulation a pris une grande place dans la conception et la garantie des chaufferies.
La DAM s'appuie au CEA sur la Direction de l'énergie nucléaire pour la modélisation et les codes de calcul (thermo-hydraulique, neutronique, …) et le partage des moyens d'expérimentation. C'est une forte synergie.
Par ailleurs, nous avons conçu un réacteur d'essais, le RES, qui est un réacteur instrumenté pour les études de propulsion nucléaire (études de combustibles, de durée de vie, de sûreté, …). Ce réacteur divergera à l'été 2018.
Le RES est le premier réacteur de type à eau pressurisée à terre réalisé par la France depuis 20 ans.
En synthèse, le grand enjeu est de garder sur le long terme une capacité de dissuasion efficace et à un coût soutenable, et ce dans un cadre de stricte suffisance.
Je peux témoigner que la constance de l'effort de notre pays pour sa dissuasion nucléaire a été un facteur majeur pour la qualité de cet outil de défense et sécurité (a contrario, les effets de montée et descente comme ont eu nos collègues britanniques sont préjudiciables).
Pour la composante océanique, cela passera par le remplacement des SNLE actuels qui arrivent en fin de vie. Le dimensionnement a été fait sous contrainte de coût avec un tonnage équivalent au prédécesseur, compatible des installations à terre et du M51, tout en améliorant la discrétion acoustique, la furtivité, …
C'est un travail sur le long terme puisque le dernier de ces sous-marins quittera le service au plus tôt en 2080.
Pour les missiles, c'est une démarche incrémentale qui a été prise avec le M51 (plutôt que de faire un missile M6 plus gros), cela pour lisser les flux budgétaires et permettre une bonne conservation des compétences industrielles. Les têtes nucléaires suivront une démarche similaire en tant que de besoin.
Pour la composante aéroportée, ce sont les études amont en cours qui permettront d'avoir un dossier de choix au début de la décennie suivante.
Pour ces deux composantes, les orientations seront à prendre lors de la future Loi de Programmation Militaire.
Sur un plan technique, le nucléaire impose l'excellence. Cela induit le besoin d'une industrie nationale de grande qualité, et permet de s'imposer dans d'autres types d'activités civiles en particulier. Bien évidemment, ce besoin d'une industrie forte concerne l'industrie nucléaire de notre pays.
En second lieu, dans le domaine qui me concerne, mais cela vaut pour la totalité des composantes, nous avons acquis notre autonomie stratégique avec la garantie par la Simulation et la technologie de recyclage des matières.
Notre excellence technique ne souffre pas de la comparaison avec les États-Unis qui dépensent des sommes d'argent de beaucoup supérieures pour un résultat similaire. Cela renforce le rang de la France.
Enfin, si je devais faire un peu de politique, je dirai que la dissuasion nucléaire donne (ou confirme) la dimension stratégique de notre pays.
Je conclurai, en reprenant les mots du chef d'état-major des armées fin 2017 disant des personnels civils et militaires de la dissuasion que passion et rigueur les motivent. Je peux vous confirmer que c'est le cas pour ceux de la Direction des applications militaires du CEA, en cette année où nous célébrerons le 60 e anniversaire de la DAM.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt à répondre à vos questions.