Nous recevons ce matin M. Régis Turrini qui a dirigé l'Agence des participations de l'État (APE) à une période qui intéresse spécialement la commission d'enquête, même s'il n'a occupé ces fonctions que pendant une brève période : de septembre 2014 à juillet 2015, date de sa démission.
Bien que fonctionnaire à l'origine, M. Turrini a effectué la plus grande partie de sa carrière au contact des entreprises. Avocat d'affaires, il a également été gérant au sein de la banque Arjil & Associés du groupe Lagardère puis a été chargé chez Vivendi de la stratégie des fusions et des acquisitions. Il est aujourd'hui secrétaire général de l'opérateur SFR et il exerce d'importantes responsabilités au niveau du groupe Altice.
Monsieur Turrini, votre nomination à l'APE a été décidée alors qu'Arnaud Montebourg était encore ministre du redressement productif. À votre arrivée, en septembre 2014, la vente de la branche énergie d'Alstom à General Electric était en cours de finalisation.
Puisque vous êtes le premier des anciens directeurs de l'APE que nous auditionnons, il serait intéressant que vous nous présentiez rapidement cette agence en nous expliquant comme elle interagit avec les autres services de Bercy, notamment avec la direction générale du Trésor pour ce qui est des opérations qui ne relèvent pas du secteur où l'État est actionnaire. Enfin, nous aimerions que vous nous rappeliez très succinctement les règles fixées par l'Europe quant à l'intervention de l'État en prises de participations au capital des entreprises. Cela éclairera utilement notre commission sur les raisons du recours à un prêt d'actions de Bouygues dans le cas d'Alstom.
Pour revenir au dossier d'Alstom, la commission d'enquête souhaiterait connaître votre appréciation sur cette opération ainsi que sur les voies et moyens qu'elle a empruntés.
Quatre questions retiennent plus particulièrement notre attention.
Premièrement, que s'est-il passé entre le 21 juin 2014, date de la signature du protocole d'accord entre l'État, Alstom et General Electric (GE), et le 4 novembre 2014, date de la signature de l'autorisation formelle donnée par l'État au titre des investissements étrangers. Y a-t-il eu un travail d'approfondissement ? Tous les points du protocole d'accord négocié par Arnaud Montebourg ont-ils été repris dans les lettres d'engagement ?
Deuxièmement, quel regard portez-vous rétrospectivement sur la création et le fonctionnement des trois co-entreprises résultant de cette cession ? L'APE siège au conseil d'administration de « GEAST ». Cette présence ainsi que l'action spécifique – golden share – de l'État vous semblent-elles suffisantes pour exercer une véritable influence ?
Troisièmement, la vente de la branche « Énergie » d'Alstom, Alstom Power, a été justifiée à la fois par M. Kron et par le ministre de l'économie qui a autorisé l'opération le 4 novembre 2014 comme devant permettre au groupe de se concentrer exclusivement sur son activité alors désignée comme étant la plus rentable, le ferroviaire. Pourtant, d'ici à juillet prochain, la branche « Transport » d'Alstom va à son tour disparaître, absorbée par Siemens. Certes, vous ne pourrez pas nous expliquer cette récente décision de l'État puisque vous n'êtes plus à l'APE mais j'aimerais savoir si elle vous paraissait prévisible et si vous la jugez cohérente par rapport à ce que l'État vous a demandé de faire en novembre 2014.
Quatrièmement, beaucoup d'observateurs se sont émus du fait que l'État renonce à toute plus-value, en particulier aux dividendes exceptionnels versés aux actionnaires d'Alstom au profit de Bouygues. Pourriez-vous nous indiquer quelles dispositions prévoyait le contrat de prêt ? L'État avait-il, selon vous, les moyens de négocier avec Bouygues le partage éventuel de plus-values et de dividendes ?
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.