Les télécommunications font partie du décret Montebourg ; on peut donc considérer qu'il s'agit d'un secteur stratégique.
J'attire, cela étant, votre attention sur le fait que la situation, française est un peu particulière puisque nous avons quatre opérateurs nationaux qui se partagent le marché. Est-ce que le fait qu'en Italie ou en Espagne, il y ait un acteur anglais sur le marché fait que les télécommunications sont mal protégées ou mal gérées ? Je ne le crois pas. Dans le cas, hypothétique, où l'un de nos acteurs des télécommunications viendrait à changer de mains au profit de mains étrangères, sans doute faudrait-il regarder la couleur de ces mains, mais il me semble qu'en Europe la question ne se pose guère en ces termes, voire que le problème est inverse, l'un des gros problèmes de l'Europe étant plutôt la multiplication des acteurs et l'incapacité à faire émerger un grand opérateur transnational. Il y a, aux États-Unis, quatre opérateurs télécoms, pour une population globalement équivalente à celle de l'Europe ; il y en a trois en Chine, trois aux Japon… et entre cent trente et cent cinquante en Europe, ce qui nous amène à l'un des autres problèmes de la politique industrielle européenne qui est celui de la concurrence. En effet, le droit de la concurrence joue un rôle essentiel dans la construction de champions européens, ce qui s'avère très difficile dans le domaine des télécoms. Peut-être cela arrivera-t-il dans dix ou quinze ans mais, compte tenu de la politique de la concurrence menée par l'actuelle Commission européenne, je suis sceptique.
Pour en revenir à votre question, il me semble qu'en matière de secteur stratégique la protection des données personnelles est le sujet-clef. J'ignore de quelle manière M. Le Maire entend intégrer cette problématique dans le décret Montebourg ni si la protection du secteur passera par des prises de contrôle capitalistique. Quoi qu'il en soit, l'Europe est très protectrice des données personnelles et elle y travaille d'arrache-pied avec la CNIL, qui a été précurseur dans ce domaine. Doit entrer en application en mai prochain le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD), qui répond largement à la question de la protection de ces données personnelles et que toutes les grandes entreprises du secteur, dont notre groupe, sont en train de se préparer à mettre en oeuvre.
Il s'agit d'une étape absolument capitale car, dans un monde dans lequel la data est véritablement l'« or noir » des acteurs du numérique, il faut avoir conscience que, jusqu'à présent, toutes nos données personnelles filent aux États-Unis. Tout ce que vous laissez comme empreinte sur Facebook, Google ou Twitter est enregistré dans des serveurs outre-Atlantique. Vous abandonnez non seulement l'usus de vos données, pour reprendre des termes du droit civil, mais aussi son fructus, puisque d'autres profitent des fruits de vos data qu'ils recueillent. De plus, cet abandon a quasiment eu lieu à votre insu : on vous a demandé de cliquer quelque part sans vous donner d'autre choix pour accéder à une application ou à un site. Nous avons affaire à un problème de politique publique d'une extrême importance.