Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du mercredi 31 janvier 2018 à 10h35
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Nicolas Dufourcq :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je suis très heureux de vous parler à nouveau de notre action et de ce qui pourrait être notre feuille de route pour les prochaines années – je me suis effectivement exprimé devant vous au mois de septembre dernier et, plus récemment, j'ai rencontré quelques membres de votre commission –, je suis très heureux de solliciter votre accord pour mon renouvellement.

Tout d'abord, quelques rappels en ce qui concerne ces cinq dernières années, très riches. Souvenons-nous de la situation de l'hiver 2012-2013, à la création de la banque. En un mot, nous avons essayé de fusionner les quatre entités qui nous étaient confiées, qui ne se parlaient pas, qui ne s'aimaient guère et dont toutes n'étaient pas forcément très centrées sur le client, pour en faire une entité très homogène. Il s'agissait – j'ai souvent utilisé l'expression – de « transformer un râteau en oeuf », et c'est ce que nous avons finalement réussi à faire.

Une autre entité s'y est ajoutée depuis le 1er janvier 2017 : la Coface (Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur), l'assurance-crédit de l'État, qui porte maintenant le nom de Bpifrance Assurance Export. Ce dernier arrivé dans la famille et, si j'ose dire, dans l'oeuf, contribue à notre approche du client, à la manière dont nous conduisons nos affaires et dont nous mettons en actes les quatre valeurs qui guident chaque jour notre action, la conception de nos produits, la structuration de notre organisation : l'optimisme, la volonté, la proximité et la simplicité. Si vous me faites l'honneur d'approuver le renouvellement de mon mandat, ces valeurs ne risquent pas de changer dans les mois et les années qui viennent.

Notre budget consacré au financement à court ou long terme a doublé. Nous sommes passés de 8 milliards d'euros en 2012 à 16 milliards en 2018 – il s'agit bien de flux annuels. Le financement de l'innovation a connu une évolution du même type, avec un budget passé de 700 millions en 2013 à 1,360 milliard en 2018, composé d'aides, d'avances remboursables et de prêts à taux zéro. À l'époque, nous financions à peu près 3 000 entreprises innovantes par an. Désormais, nous en finançons 6 000.

Le chiffre d'affaires – le produit net bancaire, – a pour sa part été multiplié par 2,5. Le résultat d'exploitation, lui, a été multiplié par 3,7 et le résultat net par près de 7. Ce sont bien entendu les plus-values de cession que nous réalisons lorsque nous faisons tourner notre portefeuille qui constituent la plus grande part de notre résultat net. En haut de cycle, les valorisations sont élevées et les cessions d'actifs sont l'occasion d'engranger de très fortes plus-values. Ainsi annoncerai-je demain, en conférence de presse, un résultat net de 1,1 milliard d'euros pour 2017.

Au cours de ces cinq années, Bpifrance a rendu à ses actionnaires 4,8 milliards d'euros en impôt sur les sociétés et en dividendes. Pendant la même période, Bpifrance a reçu 4 milliards au titre du programme 134 du budget de l'État, pour le financement de la garantie, au titre du programme 192 du budget de l'État, pour le financement des aides à l'innovation, et en enveloppe d'aide à l'innovation du programme des investissements d'avenir (PIA). Le flux net est donc de 800 millions en faveur des actionnaires de Bpifrance – je parle uniquement des flux budgétaires, non des capitaux qui nous sont confiés en gestion, en fonds propres.

Aujourd'hui, Bpifrance est une grande banque française, régulée par la Banque centrale européenne (BCE) absolument comme toutes les autres. Ses ratios sont très bons, un ratio dit « Tier 1 » de 12,2 % pour sa filiale bancaire et de 26 % au total, en raison d'une énorme masse de fonds propres investis dans les entreprises françaises. Notre ratio de liquidité est également très bon. Vous le savez, la Banque centrale européenne remplit un « bulletin de notes » tous les ans ; le nôtre est très bon. La banque est très solide, très structurée, construite pour traverser le cycle, en particulier avec ses clients entrepreneurs.

Notre souci, au cours des cinq dernières années, était la croissance, mais c'était aussi de redonner le moral aux entrepreneurs français, de leur redonner l'envie d'augmenter la taille de leurs rêves et de retourner aux investissements. Cette action psychologique représente pour nous un travail énorme, avec 300 événements physiques par an dans toutes les régions de France, car c'est aussi comme cela que s'amorce la pompe du désir d'investir.

En réalité, nous avons inventé ce qui est, pour une banque, un nouveau métier qui nous paraît fondamental : le métier de l'accompagnement. Notre conviction est effectivement que le capital financier – dettes et fonds propres – ne suffit pas. Si on ne travaille pas intimement avec l'entrepreneur, si on ne reconnaît pas sa solitude, les progrès sont relativement limités. En revanche, il suffit d'un peu de conseil, de présence, de capital humain sous forme d'encouragement et de motivation, et les performances s'envolent. C'est ce que nous avons apporté.

En 2017, nous avons mené 7 500 missions d'intervention de conseil en entreprise, et nous sommes en train de créer un réseau partout en France, avec le soutien des conseils régionaux, d'écoles de performance pour des entrepreneurs dans la force de l'âge – quarante à cinquante ans –, opérant dans des secteurs matures. Sont concernées non les start-up mais les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI). Ces écoles visent à construire les plans qui permettent de doubler ou tripler, sinon plus, la taille des entreprises, leur donner beaucoup de puissance, les projeter à l'international. Des entreprises entrent dans ces accélérateurs qui existent depuis deux ans avec un chiffre d'affaires de 20 millions et en ressortent avec un chiffre d'affaires de 150 millions, parce qu'elles ont découvert les possibilités du build-up, des acquisitions, de la croissance, etc. C'est tout à fait nouveau, et cela nous portera au cours des cinq prochaines années.

En cinq ans, le contexte économique a complètement changé, et notre pays connaît désormais une forte croissance du produit intérieur brut (PIB), d'environ 2 % par an. La responsabilité de Bpifrance est de dire qu'il ne faut pas se reposer sur je ne sais quels lauriers, car cette croissance ne sera pas forcément d'une durée exceptionnelle. Les notes macroénomiques – hier encore, une note du Fonds monétaire international (FMI) – qui nous préviennent sont suffisamment nombreuses : ce cycle pourrait être court pour la France, qui y est entrée tardivement, et ne durer que deux ans, trois ans tout au plus.

Nous incitons donc tous nos clients entrepreneurs à faire maintenant ce qui leur permettra de traverser le prochain cycle en vainqueurs. En matière de croissance, de structuration, de capital humain, de propriété intellectuelle, d'acquisitions, de cessions lorsque c'est nécessaire, c'est maintenant qu'il faut procéder à tous les changements difficiles. Il faut, pour résumer notre propos, être « d'une impatience totale ». Il y a six mois, nous avons dit à nos clients que nous avions devant nous trente mois d'âge d'or. Nous en avons donc encore vingt-quatre, deux années extraordinaires qui sont l'occasion de faire tout ce qu'il est difficile à faire. Le rôle de Bpifrance est non seulement de financer le difficile mais aussi d'inciter l'entrepreneur à le faire. Tel est le sens de toute l'énergie que nous déployons en matière d'accompagnement – premier mot-clef de la feuille de route.

Le ministre de l'économie et des finances, M. Bruno Le Maire, nous a demandé de déployer des accélérateurs partout en France, de manière que nous y fassions passer 4 000 entreprises françaises au cours des trois prochaines années. L'idée est vraiment de les « tremper », comme on trempe l'acier. Lorsque le cycle se retournera, ceux qui se seront très bien préparés pourront « ramasser », si j'ose dire, ceux qui se seront moins bien préparés. C'est ainsi que l'on fait de belles ETI : dans les phases de creux de cycle. Par ailleurs, il faut encore considérablement encourager les innovations dans les PME et les ETI, tandis qu'en matière de digitalisation elles continuent malheureusement d'accumuler du retard sur les grands groupes et les start-up. Nous pourrons aussi revenir, mesdames et messieurs les députés, sur la question du capital humain et de l'inadéquation entre l'offre et la demande sur le marché du travail.

L'accompagnement sera donc un axe important de notre action au cours des prochaines années.

En ira-t-il de même de notre croissance ? Non. Nous avons beaucoup crû. Notre budget 2018 ne croît que de 2 % en matière de financements, il est stable en ce qui concerne les fonds propres ou l'innovation, à un niveau très élevé – 1,3 milliard d'euros –, et relativement stable en ce qui concerne les garanties.

Le budget n'est en forte croissance que pour l'export. Nous voulons réellement être considérés comme la banque publique de l'export, et, depuis la création de la banque, nous avons déjà multiplié par dix nos actions de financement en la matière, atteignant désormais 1 milliard, mais nous voulons faire beaucoup plus. Peut-être pourrons-nous parler de l'Iran, qui cristallisera l'image de Bpifrance banque publique de l'export, puisque nous entamerons nos opérations vers le mois de mai.

L'internationalisation sera donc un sujet fondamental au cours des prochaines années. Ce sera notre priorité, avec le crédit acheteur, le crédit fournisseur, tous les prêts sans garantie, l'accompagnement de nos clients à l'export, les missions à l'étranger, les accélérateurs de l'export et nos partenariats avec Business France et Proparco.

Nous allons également nous consacrer à la transition énergétique. En 2017, les crédits qui y étaient consacrés ont augmenté de 35 %, atteignant 1,2 milliard d'euros. Nous sommes donc une grande banque de la transition énergétique, par nos crédits – nous en accordons à très long terme et nous inscrivons parfaitement dans le marché bancaire pour ce faire – mais aussi en fonds propres, puisque nous sommes présents au capital de pratiquement tous les grands développeurs français : Neoen, EREN, Quadran, ou encore Albioma.

Nous allons aussi pousser les feux, comme nous l'avons toujours fait – c'est un peu notre spécificité –, en ce qui concerne le tourisme. J'ai eu l'occasion de le dire récemment au comité interministériel du tourisme : le tourisme est fondamental pour nous. Historiquement, Bpifrance est née du crédit hôtelier, où elle trouve ses origines en 1923. Nous continuerons de cultiver notre spécialisation hôtelière et touristique en tant que banque de place sur le marché, avec un effort en termes de volume. Il y a énormément à faire, et nous venons de relancer nos prêts de rénovation dans l'hôtellerie et dans la restauration. Nous allons aussi doubler notre fonds d'investissement en capital dans les entreprises de l'hôtellerie française.

Le monde du crédit se caractérise donc par une relative stabilité et de petits taux de croissance, même si ces derniers sont élevés dans les secteurs que je viens d'évoquer.

Nous resterons présents auprès des très petites entreprises (TPE), bien que le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) doive disparaître au cours du prochain mandat. C'est en effet un élément important car nous avons massivement préfinancé le CICE et, ce faisant, nous avons été directement en contact, chaque année, avec 50 000 à 60 000 TPE qui venaient chercher de 800 à 2 000 euros. La fin du préfinancement du CICE pourrait donc – mais tel ne sera pas le cas – mettre fin à ce type de contacts directs, que n'avait pas Oséo. Cet organisme n'avait en effet, avec les TPE, qu'un contact indirect, dans le cadre de son activité de garantie des banques françaises, issue historiquement de la Sofaris. De fait, nous ne rencontrons pas les 60 000 entreprises dont nous garantissons les crédits chaque année. En revanche, nous avons, avec celles dont nous préfinançons le CICE, un contact direct dont pourrait nous priver la disparition de ce dispositif. Mais nous considérons que Bpifrance doit rester présente sur le marché du crédit direct aux TPE, car ces 1,5 million d'entreprises recèlent un véritable potentiel de croissance et d'emploi, grâce à une énergie considérable.

Bien entendu, il ne s'agit pas de déployer un réseau capillaire de plusieurs milliers de chargés d'affaires, analogue à celui de nos partenaires banquiers ; nous ne le pouvons pas. Mais la digitalisation nous permet de « pousser » des produits de prêts aux TPE. Nous les avons d'ailleurs lancés : il s'agit de prêts sans garantie de petits montants – 10 000, 20 000, 50 000 euros – que nous avons nommés « prêts TPE croissance ». Ils sont financés dans le cadre des partenariats que nous avons conclus avec les conseils régionaux. Ainsi, les crédits proviennent, non pas de l'État, mais des directions des services économiques des conseils régionaux. Cette activité de prêt direct aux TPE sans garantie est absolument fondamentale et va donc se développer dans les années qui viennent. Elle ne représentera pas des centaines de milliers de crédits, mais les patrons de TPE qui, pour se développer, ont besoin d'un prêt pour financer ce que les banques ne financent pas, c'est-à-dire l'immatériel, doivent s'adresser à Bpifrance, qui consacrera à ces crédits plusieurs centaines de millions d'euros. C'est un point important de la feuille de route des années à venir.

En ce qui concerne les territoires, depuis cinq ans, nous avons augmenté le nombre de nos agences, et il n'est pas exclu que nous continuions de le faire. Là encore, nous n'aurons jamais les milliers d'agences que possèdent nos partenaires bancaires. Nous ne sommes pas construits pour cela : Bpifrance est une banque de place spécialisée dans le crédit aux entrepreneurs. Nous avons cinquante agences, et nous n'en aurons jamais cent. Toutefois, nous sommes une banque nomade. Nous rencontrons en moyenne 100 000 clients par an : chacun de nos chargés d'affaires doit en voir 130. Ils sont donc constamment en déplacement. La présence de Bpifrance dans les territoires reste un objectif majeur des années qui viennent, d'autant plus que notre offre comprend désormais un prêt aux TPE et que, comme le Président de la République l'a dit, nous devons mettre l'accent sur la bancarisation des entrepreneurs des territoires fragiles et des quartiers. Du reste, nous discutons actuellement de ce volet avec notre actionnaire, la Caisse des dépôts et consignations. Les décisions ne sont pas encore prises, mais il n'est pas impossible que Bpifrance se déploie dans cette direction.

Dans le monde de l'innovation, au cours des cinq dernières années, non seulement nous avons doublé le nombre des entreprises aidées et les capitaux déployés, mais nous avons aussi et surtout contribué à déclencher un effet boule de neige sociétal autour de ce que l'on a appelé la French Tech. Ce fut une volonté de notre part : il a été décidé, au début de l'année 2013, de dessiner un logo et de donner un nom à ce qui apparaissait comme les couches nouvelles de la société française, à savoir les jeunes qui voulaient monter leur boîte dans la tech. Nous avons donc consacré pas mal d'argent au soutien des entreprises, un peu à la communication – une dizaine de millions d'euros issus des PIA –, et la French Tech est devenue un marqueur de l'identité française, au point qu'elle est omniprésente dans les salons à l'étranger et que certains de nos partenaires européens, se sentant dépassés, commencent à nous copier, avec quatre ou cinq ans de retard – il existe maintenant la Deutsch Tech, la Danish Tech... Dans les années qui viennent, nous devrons absolument poursuivre cet effort de financement et cette politique d'écosystème en faveur de ce qui est devenu une singularité française.

Cela m'amène à évoquer le Fonds pour l'innovation de rupture. Doté de 10 milliards, il produira un rendement de 260 millions par an. La commission Lewiner-Distinguin-Stéphan doit rendre prochainement ses conclusions sur l'emploi de cette somme, mais une partie de ces 260 millions doit continuer de financer l'écosystème des start-up qui fait la singularité française et qui est une source majeure d'innovation de rupture.

En ce qui concerne l'innovation, les cinq dernières années ont été consacrées en grande partie au monde du digital. Celui-ci n'a pas besoin de transfert de technologies, mais de développeurs ; d'où la grande école du numérique, notamment. La période qui s'ouvre est différente : c'est celle de la Deep Tech, c'est-à-dire la mécanique, la microfluidique, bref : le monde de la physique et de celui de biotechnologie, qui se caractérisent notamment par le transfert de technologies. Dans les années qui viennent, Bpifrance sera donc beaucoup plus présente dans ce domaine qu'auparavant. C'est désormais une priorité absolue. En effet, la nouvelle génération de start-up françaises sera moins issue du monde du digital que de celui d'Elon Musk, c'est-à-dire le monde de la physique, beaucoup plus proche de l'académie, des hôpitaux, des laboratoires, du Centre national de la recherche française (CNRS), de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA). Nous devons donc investir des capitaux afin de développer ce secteur et, surtout – ce sera sans doute l'une des préconisations de la commission –, fluidifier massivement le transfert de technologies qui, dans beaucoup trop de cas, est encore médiéval, voire antique. Il faut actuellement dix-huit mois ou deux ans pour qu'une technologie soit transférée : c'est un immense gâchis !

Deep Tech, transfert de technologies, maintien de l'écosystème identitaire de la French Tech : tels sont les grands axes de notre mandat dans le domaine de l'innovation – et je pourrais ajouter les efforts consacrés à la création de « licornes » et à la croissance des entreprises.

Dans le monde de l'industrie, nous souhaitons développer la French Fab qui, à l'instar de la French Tech, mélange l'identité – « Je suis membre de la communauté de l'industrie française, et j'en suis fier » – et le programme « Industrie du futur », que nous finançons de manière très importante, notamment grâce aux programmes d'investissement d'avenir. Ce que vous avez peut-être perçu ces dernières années avec la French Tech, que ce soit en matière de puissance de communication ou de financement, vous devriez le percevoir avec la French Fab dans les années à venir. Ce sera le moment du coq bleu : on doit voir des grues, des usines qui montent, des financements... Les entrepreneurs doivent enfin penser que cela vaut la peine de tripler ses infrastructures, que la France est un pays industriel et que l'industrie française est une source de fierté et doit être brandie comme un étendard. Cela peut passer pour de la pensée positive, mais cela a des conséquences économiques très importantes.

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