Commençons par cette dernière question, qui est fondamentale : qu'est-ce qu'une banque de place ? Quelle doit être sa taille ? Je vais vous indiquer des éléments de proportionnalité. Bpifrance, sur le marché du financement bancaire du crédit aux PME et aux ETI, a une part de marché de 3,8 %. Celle-ci est en baisse depuis maintenant deux ans : elle atteignait 4,2 % en 2016. Le marché bancaire, à l'arrêt de 2011 à 2015, est reparti de manière extrêmement forte. Son taux de croissance s'élève à 20 % par an. En 2017, la croissance de Bpifrance a été de 6 % en matière de crédits. Pour 2018, elle sera de 1,8 %. Notre part de marché continuera donc de baisser, ce qui est tout à fait normal en haut de cycle. Nous n'avons aucune raison de pousser les feux, d'autant que les taux étant extrêmement bas, les marges sont pincées. D'un strict point de vue financier, l'activité de crédit n'est pas forcément extrêmement attractive pour une banque. Il n'est pas totalement exclu qu'on se rende compte dans quelques années que des risques importants ont été pris.
Pour les années qui viennent, jusqu'au retournement du cycle, l'activité de Bpifrance en matière de crédits à l'investissement se stabilisera entre 7 et 8 milliards d'euros par an. Précisons que 100 % de ces crédits sont cofinancés par des banques privées, et en général, par deux plutôt qu'une. Si l'effet multiplicateur imposé dans la charte de Bpifrance est fixé à 1, il est en réalité compris entre 2 et 3.
Les relations entre Bpifrance et les banques françaises sont bonnes. Elles se mesurent place par place, dans vos territoires, à Lyon, à Lille, à Strasbourg, à Toulouse. Le directeur régional du Crédit agricole discute avec le directeur régional de Bpifrance qui discute avec le directeur régional de la caisse d'épargne de la manière de fonder un pool. Et vous n'imaginez pas le nombre de fois où les banques françaises viennent nous chercher. Très souvent, les crédits sans garantie que nous accordons permettent de finaliser la constitution de pools. Mais même pour des pools importants, de crédit-bail immobilier notamment, les banques recherchent nos compétences et la qualité de notre travail.
Dans le monde du capital-risque, nous avons deux types d'interventions : l'investissement direct et le fonds de fonds. Nous avons consacré 255 millions en 2017 aux investissements directs. Les start-up françaises ont levé 3 milliards d'euros. 100 % de nos investissements directs sont co-investis par d'autres fonds français, un, deux voire trois, auxquels s'ajoutent des fonds étrangers. Pour ce qui est du fonds de fonds, nous investissons dans un fonds de capital-risque sur deux et nous détenons en moyenne 20 % de ces fonds – ce que nous désignons par le terme de « taux d'emprise ».
La relation que nous avons avec les fonds est excellente tout comme celle que nous avons nouée avec l'Association française des investisseurs pour la croissance (AFIC). J'invite d'ailleurs ceux d'entre vous qui seraient disponibles à se rendre à la Maison de la Mutualité le 7 février prochain pour la fête annuelle du capital développement français à l'occasion de laquelle nous célébrerons collectivement le succès de 400 fonds rassemblés sous la marque Bpifrance.
J'en viens aux failles de marché. Les banques du développement, qu'il s'agisse de celle du Canada, de la Suède, d'Irlande ou bien encore de la British Business Bank, ne s'emploient jamais uniquement à les combler car leur business model ne serait pas viable sinon. Pour tenir et pour financer tout ce qui est nécessaire à une banque moderne, une banque de développement doit se tourner vers d'autres activités. En outre, nous devons aussi répondre aux exigences de la BCE. Chaque année, nous recrutons dix personnes supplémentaires pour s'occuper de la conformité, des audits, de la structuration imposée par l'Union bancaire. Cela nécessite d'atteindre une taille critique, ce qui n'était pas le cas en 2013 – nous ne pouvions pas alors suivre les recommandations de la BCE et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Si nous ne nous consacrions qu'aux failles de marché, ce serait la fin de Bpifrance. Nous ne pourrions même plus attirer de bons banquiers.
Cela étant, les failles de marché nous occupent beaucoup.
Premièrement, à travers les garanties : nous garantissons 8 milliards de crédits bancaires privés chaque année.
Deuxièmement, à travers les prêts sans garantie : il s'agit, pour un montant de près de 3 milliards, de prêts à sept ans avec deux ans de différé d'amortissement du capital, ce qu'aucune banque privée ne ferait. Nos fonds de garantie sont alimentés par le plan Juncker, par le budget de l'État français, par les conseils régionaux et, de plus en plus, par les fonds propres de Bpifrance. Ces prêts, qui constituent le coeur de l'offre de Bpifrance aux entrepreneurs, recouvrent les prêts « Usines du futur », les prêts « Innovation », les prêts à l'amorçage et les prêts aux TPE.
Troisièmement, à travers le financement de l'innovation : 1,3 milliard sont versés chaque année pour le compte de l'État. Il ne s'agit même plus d'activité bancaire mais de politique industrielle. Nous procédons toutefois avec nos propres méthodes : attention extrême aux clients, proximité avec le terrain, rapidité des délais – de quinze jours maximum.
En outre, nous mobilisons nos fonds propres. Nous avons reçu 20 milliards de fonds propres de la part de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations. Il n'a jamais été décidé que ce fonds stratégique serait uniquement destiné aux failles de marché. Sinon, nous ne pourrions jamais rendre ces 20 milliards aux Français.
Nous investissons en fonds propres pour combler des failles de marché, qu'il s'agisse de fonds de fonds de capital-risque et de capital-amorçage – ce qui a permis de créer un phénomène de boule neige – ou d'investissements directs pour le capital-développement des PME. Toutes ces activités sont extrêmement risquées et si nous n'étions pas présents, le marché privé ne suivrait pas.
J'aimerais revenir sur le rapport de la Cour des comptes. Je tiens à donner quelques chiffres car ceux qui ont été cités ne reflètent pas la réalité. L'activité de la banque a doublé par rapport à sa première année d'activité. Sur une base 100 en 2013, les effectifs se situent aujourd'hui à 120, les frais de personnel sont légèrement supérieurs à 120 ; les autres charges d'exploitation s'élèvent à 142 et le produit net bancaire a lui aussi doublé. La vérité est que la productivité de la banque a considérablement augmenté. Partout est pratiqué un lean management. Les équipes, qui supportent une charge de travail extrêmement lourde, ont des ratios d'activité par individu hors norme par rapport au marché bancaire. Le coefficient d'exploitation de la banque elle-même – la partie consacrée aux crédits aux entreprises – est de 45 %, niveau que n'atteint aucune banque française en ce domaine. Des augmentations de salaire ont eu lieu et il y en aura encore – je ne peux absolument pas m'engager pour une stabilisation des rémunérations dans les années qui viennent. Elles ont atteint 1,9 % en enveloppe totale, ce qui constitue une progression comparable à celle observée dans les autres banques françaises et à la Caisse des dépôts. Il n'y a pas de dérapage.
Pour rétablir la balance commerciale française, il faudra bien trente ans, si tant est que nous trouvions une solution. Le déficit actuel est la conséquence de difficultés que connaît depuis de longues années notre industrie. Le projet « Industrie du futur », la French Fab, les investissements des grands groupes français contribueront à son rétablissement mais cela prendra des dizaines d'années.
Un autre levier important est la mondialisation des PME françaises. Cela conduira-t-il à une augmentation des exportations ? Sans doute mais pas dans des proportions suffisantes pour compenser le déficit abyssal de 60 milliards d'euros.