Mes chers collègues, nous recevons à présent M. Pascal Faure, directeur général chargé de la Direction générale des entreprises (DGE) au ministère de l'économie et des finances.
Monsieur le directeur général, vous avez commencé votre carrière aux États-Unis, aux laboratoires Bell, puis chez Apple. À votre retour en France, vous avez travaillé au sein du Centre national des télécommunications, puis vous avez rejoint différents ministères où vous avez exercé des responsabilités dans la définition des politiques de l'informatique et des communications de l'État. En décembre 2012, vous avez été nommé Directeur général de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), un ensemble toujours placé sous votre responsabilité puisque la DGE a succédé à la DGCIS en septembre 2014. Ces différents éléments de votre biographie ainsi que votre exceptionnelle longévité à la tête de cette direction générale témoigneraient, s'il en était besoin, de l'intérêt et de l'opportunité de votre audition.
J'ajoute que votre nomination à la direction générale remonte à une époque où l'industrie relevait du ministère, dont e titulaire était M. Arnaud Montebourg, que notre commission a déjà auditionné et qu'elle réentendra prochainement. Avant même votre nomination, du reste, M. Montebourg vous avait chargé de lui remettre un rapport sur l'avenir de la sidérurgie, alors que nous étions en pleine crise avec le groupe Mittal, repreneur étranger d'Arcelor, dans l'affaire dite des « hauts-fourneaux de Florange ».
Comme nous l'avons fait hier pour celle des responsables de la direction générale du Trésor, nous avons décidé de scinder cette audition en deux parties. La première, monsieur Faure, sera consacrée à l'exposé d'une dizaine de minutes que vous voudrez bien nous faire sur les compétences de la DGE dans les dossiers d'investissements étrangers dont les entreprises françaises sont les cibles, qu'il s'agisse de grands groupes, comme Alstom ou Alcatel, de PME, d'ETI ou de pépites technologiques.
Par qui et comment êtes-vous saisi de ces dossiers ? Quel est le degré d'implication de la DGE dans les dossiers d'acceptation ou de refus d'une acquisition ou d'une fusion par un actif européen ou non européen ? La cheffe du bureau Multicom 2 de la direction du Trésor, chargé du contrôle des investissements étrangers, nous a expliqué, hier, la pauvreté de ses moyens propres, puisqu'elle n'a que trois collaborateurs pour traiter, chaque année, 1 000 à 2 000 fusions-acquisitions. Leur tâche doit être rude et l'on comprend qu'ils aient besoin de concours extérieurs. Aussi souhaiterions-nous savoir notamment comment se fait l'articulation entre les deux directions générales.
Cet exposé descriptif des procédures en vigueur ne saurait être fait à huis clos car il relève du devoir d'information de l'administration vis-à-vis de la représentation nationale et peut intéresser nos concitoyens. Nous sommes là au coeur du champ de notre commission d'enquête, qui porte, je le rappelle, sur les décisions de l'État en matière de politique industrielle, notamment dans le cas de fusions-acquisitions.
La seconde partie de votre audition se déroulera à huis clos. Nous avons en effet considéré que certains de nos échanges, qui concerneraient plus précisément des entreprises ou des personnes avec lesquelles vos services ont été en contact lors de l'examen de certains dossiers de rachat, devaient se dérouler dans un cadre confidentiel. Les questions de la commission d'enquête portant sur des dossiers déjà traités ou en cours d'examen par la DGE s'inscriront donc dans ce cadre.
Il conviendra que vous nous indiquiez précisément la répartition des rôles entre les différents acteurs de Bercy en matière de contrôle des investissements étrangers et que vous nous éclairiez sur la façon dont se font la veille stratégique et l'intelligence économique, qui ont été rattachées à Bercy au cours de l'année 2016, plus particulièrement à votre direction générale. Elles relèvent désormais d'un Commissariat à l'information stratégique et à la sécurité économique (CISSE), dont le titulaire vient de quitter ses fonctions. Vous nous expliquerez comment vous détectez le plus en amont possible les cibles d'éventuelles prédations, le bureau Multicom 2 ne pouvant qu'instruire les demandes d'autorisation.
Par ailleurs, nous constatons une surreprésentation des entreprises françaises et européennes dans les dossiers relatifs à l'application de certaines lois de portée extraterritoriale aux États-Unis. Nous voudrions donc comprendre comment sont suivies – et qui est chargé de ce suivi – les procédures ouvertes par le Department of justice (DOJ) américain, dont on a vu qu'elles pouvaient avoir une importance considérable. Je pense à l'amende de 9 milliards de dollars infligée à BNP-Paribas et au poids moral de la procédure engagée contre Alstom, qui a été condamné à une amende de 800 millions. Le ministre de l'économie en fonction en 2014 – Emmanuel Macron – a en effet expliqué qu'il avait le sentiment, même s'il a affirmé ne pas en avoir la preuve, que cette procédure avait pesé dans la décision de M. Kron de vendre Alstom Power aux Américains.
Pouvez-vous également revenir sur la façon dont s'applique aujourd'hui la loi de blocage de 1968, qui interdit en théorie le transfert de toute donnée ou de tout document de nature financière à une autorité étrangère quelle qu'elle soit, fût-ce la justice, sans une autorisation expresse ? Jusqu'en 2016 et l'adoption de la loi « Sapin 2 », Matignon était chargé de la mise en oeuvre de ces dispositions. Qu'en était-il avant cette date et comment cela se passe-t-il aujourd'hui ? L'Agence française anticorruption a hérité de cette compétence, mais elle a été placée sous la double tutelle de Bercy et de la justice afin de garantir la qualité des échanges avec votre administration.
Nous sommes là au coeur de sujets qui intéressent la représentation nationale, puisque des pans entiers de notre économie sont menacés. Ce mardi, lors d'une audition devant la commission du Parlement européen chargée du commerce international, Mme Malmström, commissaire européenne chargée du commerce, a déclaré : « Il ne faut pas faire preuve de naïveté. Ces quatre dernières années, il y a eu une augmentation des achats d'actifs stratégiques dans l'Union européenne par des investisseurs de pays tiers. » Elle a précisé, par ailleurs, que le projet de réglementation européenne n'enlèverait aucune compétence aux États membres, chacun d'entre eux étant seul compétent pour déterminer ce qui relève de la sécurité et de l'ordre public, mais encouragerait à développer partout un minimum de screening sur ces opérations.
Le ministre Bruno Le Maire a annoncé vouloir faire évoluer le champ du dispositif issu du décret « Montebourg » et les sanctions prévues. Pouvez-vous nous dire les évolutions qui, de votre point de vue et avec l'expérience qui est la vôtre en tant que directeur général, semblent nécessaires au niveau national ?
Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je dois maintenant vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.