Monsieur le président, monsieur le premier président, messieurs les magistrats de la Cour des comptes, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, je tiens tout d'abord, comme chacun ici, à me féliciter de la qualité des relations étroites existant entre l'Assemblée nationale, et plus particulièrement la commission des finances, et la Cour des comptes, dont nous apprécions l'indépendance et sa recherche permanente de l'intérêt général.
En 2017, la Cour nous a communiqué trente-deux référés et douze rapports particuliers, treize rapports d'observation définitive, sept rapports publics thématiques et cinq rapports au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF. Les rapporteurs spéciaux ici présents peuvent témoigner de la qualité et de l'intérêt des travaux de la Cour.
Cette année, nous avons adressé à la Cour six demandes d'enquêtes, au titre du 2° de l'article 58 de la LOLF, sur des sujets qui nous paraissent particulièrement importants : l'appréciation et l'optimisation des modalités d'allocation des ressources aux juridictions, la dépense fiscale des entreprises relative au mécénat, l'efficacité des PIA et l'évolution de leur gouvernance dans le cadre du Grand plan d'investissement ou encore les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur, de vrais sujets qui permettront d'éclairer la décision publique. C'est grâce à ce travail en commun que nous bénéficions d'un éclairage approfondi tout au long de l'année sur la qualité de la dépense publique et, plus généralement, des finances publiques.
Il convient toutefois d'aller plus loin. Je pense que, sur la plupart de nos bancs, nous sommes favorables à l'idée d'une refonte complète de la procédure budgétaire. Je pense en particulier à la période consacrée à la loi de règlement sur l'exécution budgétaire et au débat d'orientation des finances publiques. Nous devons rehausser le niveau du débat public sur l'évaluation des politiques publiques, celle-ci entrant dans les attributions de la Cour des comptes. Il n'est, du reste, pas difficile de le faire, puisque ce débat n'existe quasiment pas.
Les rapports de la Cour, ceux des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis se succèdent les uns aux autres, mais l'évolution des politiques publiques n'est pas suffisamment rapide – vous l'avez vous-même souligné. S'il est très intéressant de noter les évolutions et les conséquences des rapports qui sont remis ou des recommandations que vous formulez, il faut toutefois aller plus loin en réformant de manière ambitieuse la procédure budgétaire par l'instauration d'un véritable semestre français de la politique budgétaire.
Nous pourrions consacrer le printemps à l'évaluation, en profitant de l'examen du projet de loi de règlement des comptes de l'année précédente, en vue d'éclairer le débat d'orientation budgétaire, avant la préparation du budget lui-même à l'automne. Il conviendrait d'associer très étroitement la Cour à ce processus et de permettre à l'ensemble des rapporteurs spéciaux de travailler sur l'évaluation des politiques publiques relevant de leur domaine d'attribution. Bref, la discussion sur les finances publiques devrait être étalée sur l'année, car les considérations qui s'y rapportent sont très importantes pour fonder un État de droit. En effet, la dépendance financière fissure l'État de droit.
Si nous voulons un État moderne, nous devons procéder à un contrôle performant des politiques publiques, dont le Parlement ne saurait se désintéresser. Or nous sommes aujourd'hui dans l'incapacité de mener à bien cette mission, puisque dans l'incapacité d'utiliser le travail des rapporteurs spéciaux et des rapporteurs pour avis de même que le travail de la Cour des comptes, dans l'incapacité également d'évaluer l'action publique et de mener des expérimentations de bonne qualité.
Je prendrai quelques exemples, comme celui du service civique cité dans le rapport annuel de la Cour. Le nombre de jeunes bénéficiaires a quadruplé en trois ans sans que nous soyons capables d'affirmer aujourd'hui si les 80 000 missions en cours respectent parfaitement les principes du service civique, celui-ci ayant été généralisé avant la fin de l'expérimentation dont il faisait l'objet – je le souligne d'autant plus volontiers que nous avions alors la majorité.
Il en est de même de la réduction à 80 kilomètresheure de la vitesse sur les routes – vous l'évoquerez peut-être un jour en cas d'impact de la mesure sur les finances publiques : la généralisation de la disposition intervient avant le terme de l'expérimentation. Troisième et dernier exemple : la télémédecine, dont la Cour des comptes déplorait, en septembre 2017, la généralisation sans qu'un bilan des expérimentations conduites dans neuf régions pilotes ait pu en être tiré. Il faut faire entrer l'évaluation des politiques publiques dans le débat public. Il n'y aura pas de réforme de l'État sans une telle évaluation.
Monsieur le premier président, vous avez également mis en lumière l'état des finances publiques de notre pays – c'est le deuxième point que je souhaite aborder. Le rapport annuel et le résumé que vous en avez fait aujourd'hui dans un grand quotidien du soir sont riches d'enseignements. En décembre dernier, je soulignais ici même que la croissance peut être à la fois la meilleure et la pire des choses. C'est la meilleure si l'on sait utiliser les marges de manoeuvre qu'elle offre, à savoir les rentrées fiscales supplémentaires. Je rappelle qu'un point de croissance constant sur l'année génère entre 10 milliards et 12 milliards d'euros de rentrées fiscales supplémentaires ; deux points représentent donc une vingtaine de milliards d'euros de recettes supplémentaires.
En revanche, la croissance est la pire des choses lorsque les marges de manoeuvre anesthésient la volonté du Gouvernement de réformer : c'est le risque actuel. Pour résumer, la croissance rend la réforme inutile et l'absence de croissance la rend impossible, si bien que l'action publique n'est pas transformée. Or le Gouvernement fait, à nos yeux, aujourd'hui le minimum. Le déficit public reste scotché autour de 3 %, sa véritable réduction étant renvoyée à un peu plus tard, c'est-à-dire à 2020 ou 2021 – bien trop tard, parce qu'il y a urgence.
D'autres gouvernements ont fait la même chose : les trajectoires de finances publiques sont difficiles au début avant de s'améliorer, comme par magie, à la fin. Il ne faut absolument pas pratiquer la même politique. Aujourd'hui, on est en train de gâcher cette croissance, par atermoiement et par manque de méthode. La réforme de l'État s'en trouve retardée à l'allumage. Le programme « Action publique 2022 » est un objet hybride entre les stratégies ministérielles de réforme de l'année 2004 et la RGPP – révision générale des politiques publiques – des années 2007 et 2008. Il faut évidemment aller plus loin.
Aujourd'hui, comme l'observe la Cour, la dépense publique continue d'augmenter à un rythme qui se situe dans la moyenne des cinq dernières années, soit 1 % en volume et 2 % en valeur. C'est beaucoup trop !
Le Gouvernement doit tenir compte de cette situation, faute de quoi notre pays restera scotché autour de la barre des 3 % de déficit public et décrochera par rapport à ses voisins. Certes, la Cour nous compare à l'Espagne et note qu'il existe un élève plus mauvais que nous, mais il n'y a pas de raison de considérer que nous devons être abonnés à la place de mauvais élève. Au contraire, la croissance doit nous permettre d'accélérer et de multiplier les efforts.
La phase dans laquelle nous sommes entrés doit être celle des réformes approfondies ; or les réformes menées aujourd'hui ne sont pas suffisantes. Si nous devons engager rapidement des réformes approfondies, c'est parce que la croissance ne durera qu'un temps.