Intervention de éric Guilyardi

Réunion du jeudi 25 janvier 2018 à 11h00
Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

éric Guilyardi, directeur de recherches CNRS au Laboratoire d'océanographie et du climat : Expérimentation et approches numériques (LOCEAN-IPSL) et à l'Université de Reading (Grande-Bretagne), spécialiste des échanges océan-atmosphère et du rôle de l'océan dans le climat :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, pour ma part, je travaille au sein du Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (LOCEAN-IPSL), basé à Paris, sur le site de Jussieu. C'est un des neuf laboratoires de l'Institut Pierre Simon Laplace. Bien que n'étant pas situé au bord de la mer, le LOCEAN est le plus gros laboratoire d'océanographie de France : il emploie environ 200 personnes, dont la moitié de permanents. Nous avons plusieurs tutelles : le CNRS, mais aussi l'Université Pierre-et-Marie-Curie – appelée Sorbonne Université depuis le 1er janvier 2018 –, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) – ce qui nous conduit à avoir de nombreux chantiers au Sud, en particulier dans les zones tropicales –, et le Muséum d'histoire naturelle.

Nos thématiques de recherche sont assez larges et certaines se recoupent avec celles du LEGOS, notamment lorsqu'il s'agit de comprendre la circulation de l'océan. Une grande partie de notre activité est constituée de campagnes d'observation en mer – essentiellement en milieu hauturier – destinées à comprendre le rôle de l'océan en matière climatique, mais nous effectuons également de la modélisation : le LOCEAN est le fer de lance de la modélisation européenne, avec le modèle NEMO (Nucleus for European Modelling of the Ocean), devenu plate-forme de modélisation numérique de l'océan servant pour de nombreuses applications, que ce soit en matière opérationnelle – avec Mercator Océan à Toulouse – ou en recherche fondamentale ; c'est un des cinq ou six modèles utilisés au niveau mondial pour effectuer les simulations répertoriées par le GIEC.

« L'océan, c'est la mémoire du climat » : cette phrase illustre bien le fait qu'en raison de son inertie extrêmement forte par rapport à celle de l'atmosphère, l'océan est un gardien des équilibres, mais aussi un acteur des variations lentes du climat. En effet, l'océan contient autant d'énergie dans ses deux ou trois premiers mètres de profondeur – sur une profondeur moyenne de 4 000 mètres – que toute la colonne atmosphérique. On sait aujourd'hui que 93 % du réchauffement additionnel lié à l'activité humaine est stocké dans l'océan, grâce à cette inertie.

L'océan contient des masses d'eau tenues éloignées de la surface durant de très longues périodes – on parle ici de centaines, voire de milliers d'années. En matière climatique, l'inertie de l'océan explique, entre autres, que les côtes océaniques bénéficient d'un climat plus doux en hiver : du fait de son inertie, l'océan est plus difficilement refroidi par l'hiver que ne le sont les continents.

L'océan fait partie du cycle naturel du carbone, qui comporte des échanges entre l'atmosphère et les surfaces continentales d'une part, l'atmosphère et l'océan d'autre part. La perturbation humaine, qui représente environ 10 milliards de tonnes de carbone émises chaque année, se répartit de la sorte : 25 % à 30 % sont absorbés par l'océan, 25 % à 30 % le sont par les continents – grâce aux forêts –, et ce sont donc environ 4 milliards de tonnes de carbone qui restent dans l'atmosphère, où ils sont responsables de l'augmentation de l'effet de serre et du réchauffement. Sans ce puits de carbone, cette pompe à carbone que constitue l'océan, le réchauffement serait donc bien supérieur.

La courbe du réchauffement global depuis 1880 – date à partir de laquelle on dispose d'observations qui commencent à être fiables – fait apparaître une augmentation très nette des températures depuis les années 1960, mais aussi des variations autour d'une moyenne glissante. Ces variations annuelles ou décennales s'expliquent par des variations impliquant l'océan – ainsi, une année avec un El Niño fort va correspondre à une augmentation de la température globale de la planète –, à une échelle moindre que celle de l'influence des activités humaines.

Le phénomène El Niño, « l'enfant terrible du Pacifique », se produit une fois tous les trois à sept ans. C'est un réchauffement de la partie est de l'océan Pacifique Sud, au niveau de l'équateur, considéré comme un dérèglement, durant un an, des échanges entre l'océan et l'atmosphère.

Sur une vue en éclaté du Pacifique tropical, on voit que les alizés poussent les eaux chaudes de l'équateur vers le Pacifique ouest, jusqu'à ce qu'une « piscine » d'eau chaude – à un peu plus de 30 °C, contre 25 °C pour le restant de l'océan – se constitue autour de l'Indonésie. Cette masse d'eau déplacée par les alizés est remplacée par des eaux froides venues des profondeurs, chargées en nutriments qui servent de nourriture aux poissons. La présence à l'ouest d'une masse d'eau beaucoup plus chaude que le reste de l'océan va se traduire par une différence de pression, qui va à son tour engendrer des alizés : le système s'auto-entretient. C'est ce qu'illustre le schéma qui correspond aux conditions normales dans le Pacifique tropical.Mais certaines années, ce mécanisme s'arrête, produisant ce que l'on appelle un événement El Niño. Les eaux chaudes qui étaient confinées dans l'ouest reviennent dans le centre, voire à l'est du Pacifique, et les zones de précipitations intenses qui se trouvaient au-dessus des eaux chaudes se déplacent en même temps, ce qui provoque l'apparition et le déplacement de cyclones.

El Niño se traduisant par des changements dans les mouvements de convection atmosphérique, il va avoir différents effets environnementaux, mais aussi sociétaux, sur les zones touchées. Ainsi, il va se traduire par des sécheresses en Indonésie et dans le nord de l'Australie, tandis que les côtes du Pérou seront très arrosées ; dans le sud de l'Afrique de l'Est, le climat sera sec et chaud, mais il pleuvra davantage en Californie – tous ces phénomènes étant liés par des connexions atmosphériques.

Les cyclones sont, vous le savez, des phénomènes d'origine spécifiquement tropicale, ainsi que le montre la carte ci-dessus.

Les deux ingrédients d'un cyclone sont, d'une part, la température de surface de la mer, qui doit être supérieure à 27 °C, d'autre part une atmosphère stable.

Pendant un événement El Niño, on va assister à un déplacement des zones où les cyclones ont lieu. Ainsi, en Atlantique, la stabilité de l'atmosphère devient plus problématique durant El Niño, ce qui a pour effet de rendre les cyclones plus rares dans cette zone. En revanche, dans le Pacifique, la proportion d'eaux dont la température est supérieure à 27 °C augmente durant El Niño, ce qui se traduit par une augmentation du nombre de cyclones. En 2015, la présence d'eaux très chaudes dans le Pacifique a eu pour conséquence un nombre record de cyclones – il y en a eu vingt-trois, alors que le précédent record était de dix-huit –, dont certains étaient extrêmement puissants. Patricia, qui a touché la côte ouest du Mexique en octobre 2015, a été le cyclone le plus puissant jamais mesuré, avec des vents soufflant à 320 kmh ; en octobre dernier, ce record a été battu avec Irma, qui a provoqué dans l'Atlantique des rafales mesurées à 360 kmh.

El Niño a un impact majeur sur la répartition des cyclones et sur les populations potentiellement exposées. Ainsi, la Polynésie française, où il n'y a pas d'ouragan en temps normal, peut être touchée par des épisodes cycloniques durant El Niño. Il peut exister deux liens entre El Niño et le changement climatique. D'une part, les impacts d'El Niño sont modifiés : dans la mesure où une atmosphère plus chaude contenant plus d'humidité, les pluies provoquées par ce phénomène, et les inondations qui peuvent en résulter, sont plus importantes. D'autre part, il est possible qu'El Niño lui-même soit modifié dans sa fréquence – il survient actuellement tous les trois à sept ans – et son intensité, mais les éléments dont nous disposons ne nous ont pas encore permis de l'établir avec certitude, et nous consacrons une part importante de nos recherches à cette question.

J'en viens aux coraux, des animaux marins caractérisés par leur exosquelette calcaire. Ils contribuent au cycle du carbone – comme je l'ai dit précédemment, les océans absorbent une part importante du carbone que nous émettons –, en représentant 20 % à 30 % du puits océanique. Ils peuvent également être considérés comme les « forêts » de l'océan en ce qu'ils constituent des écosystèmes extrêmement importants – environ 30 % de la biodiversité de l'océan est liée à la présence de coraux – qui représentent une ressource pour un quinzième de la population mondiale dans environ cent pays : comme on le voit, les coraux sont importants à la fois pour l'environnement et pour nos sociétés.

L'impact du changement climatique se produit en raison du réchauffement et de l'acidification des eaux. Le corail a besoin d'une eau comprise entre 25 °C et 30 °C ; si la température de l'eau reste durablement plus élevée, les algues unicellulaires vivant en symbiose avec le corail sont expulsées, ce qui provoque le blanchiment du corail et sa mort. C'est ce qui se produit durant les événements El Niño, mais les coraux ont généralement le temps de se reconstituer entre deux événements. Malheureusement, avec le réchauffement climatique, le temps de récupération dont ils disposent est de plus en plus court : ainsi, il est peu probable que les coraux ayant blanchi à la suite de l'important événement El Niño de 2015 aient le temps de se remettre avant le prochain El Niño, car celui-ci va survenir trop tôt.

L'absorption du carbone par les océans rend les eaux marines plus acides, ce qui gêne le développement de nombreux micro-organismes à coquille, les ptéropodes par exemple, qui ont besoin de carbonates pour former leur exosquelette composé de calcaire. Les zones où vivent ces micro-organismes vont se déplacer, ainsi que les poissons qui s'en nourrissent ; la conséquence pour l'homme, c'est que les zones de pêche vont à leur tour se trouver déplacées.

Les enjeux de recherche sur l'océan sont multiples, qu'il s'agisse de travailler sur les connaissances fondamentales – dans un instant, Anny Cazenave va vous parler du Programme mondial de recherche sur le climat (PMRC) –, un domaine dans lequel il reste beaucoup à faire ; sur les réseaux d'observation – flotte océanique, satellites, bouées –, qu'il est important pour nous de rendre pérennes, car s'il y a des trous dans les séries de relevés, c'est comme si nous devenions myopes ; sur la modélisation et la puissance de calcul et de stockage – dont le caractère insuffisamment développé constitue actuellement un frein à certains progrès ; sur le recrutement de jeunes chercheurs – le signal actuellement adressé aux prochaines générations de chercheurs n'est pas bon, ce qui nous inquiète énormément – en effet, rien ne sert de disposer des meilleurs outils d'observation, si nous n'avons personne qui sache s'en servir.

Le rapport du GIEC intitulé « Océans et Cryosphère » montre que les impacts du changement climatique sur l'océan sont maintenant sur la table des négociations. Les services de prévision océanique, tels ceux que fournit le centre Mercator Océan, basé près de Toulouse, sont en plein développement. Les organismes de recherche ont entamé une concertation autour de l'observation du littoral, un secteur de recherche dans lequel l'Institut national des sciences de l'Univers (INSU) est particulièrement impliqué. Le paysage de la recherche en France présente la particularité d'être constitué de très nombreux instituts, dont la coordination n'est pas toujours simple : l'un des enjeux d'aujourd'hui consisterait à faire en sorte d'intégrer les différents acteurs clés. Enfin, je dirai que la France a une vocation maritime très claire et qu'il convient de faire le maximum pour que l'océanographie française conserve le leadership mondial dans ce domaine.

Mme Anny Cazenave. Je vais vous exposer l'une des conséquences du changement climatique, à savoir la hausse du niveau des mers. Comme vient de vous le dire Éric Guilyardi, la Terre se réchauffe, et la plus grande partie de l'excédent de chaleur est stockée dans l'océan : 93 % de la chaleur d'origine anthropique, c'est-à-dire due aux activités humaines, accumulée dans le système climatique depuis quarante ans, se trouve stockée dans l'océan, tandis que les 7 % restants réchauffent l'atmosphère et les continents, et font fondre les glaces.

À mesure que l'océan se réchauffe, il se dilate. Parallèlement, les glaces continentales – glaciers de montagne et calottes polaires de l'Antarctique et du Groenland – fondent, se transformant en une eau liquide qui constitue une autre cause d'élévation du niveau des mers. Ce sont les observations, réalisées par différents moyens, qui nous permettent de savoir que la mer monte et dans quelles proportions. Au XXe siècle, de 1900 à 1990, on a commencé à estimer la hausse du niveau des mers à partir d'instruments appelés marégraphes, initialement développés pour étudier les marées océaniques dans les ports. Le problème de ces instruments réside dans le fait qu'ils sont localisés le long des côtes continentales et sur les îles, ce qui ne permet pas de voir ce qui se passe en pleine mer. Par ailleurs, plus on remonte loin dans le passé, moins ces instruments sont nombreux, ce qui rend difficile la réalisation d'estimations précises. Cependant, on estime que le niveau des mers s'est élevé de 1,2 à 1,9 mm par an au cours du XXe siècle, autrement dit d'une quinzaine de centimètres.

Depuis le début des années 1990, on a également recours à l'observation spatiale, grâce à l'utilisation de satellites altimétriques. D'une part, cette technique rend possibles des mesures beaucoup plus précises, d'autre part, elle permet de couvrir la totalité des océans, au rythme d'une mesure tous les dix jours. On estime que, depuis 1993, la mer a monté de 3 mm par an en moyenne, soit deux fois plus vite que durant les décennies précédentes.

La courbe ci-dessus présente l'évolution du niveau moyen global de la mer depuis 1993. Nous disposons de données plus précises à partir de cette date suite au lancement par la France du satellite TOPEXPOSEIDON en août 1992.

Nous voyons que la mer monte, mais surtout que cette montée des eaux s'accélère. La courbe noire illustre cette accélération, et les petites oscillations correspondent aux phénomènes El Niño ou La Niña : pendant le phénomène El Niño, il y a plus d'eau dans l'océan et le niveau est un peu plus haut, pendant La Niña, c'est l'inverse.

Outre l'altimétrie spatiale, nous disposons d'autres systèmes d'observation – satellites, mesures in situ – qui permettent d'estimer la contribution relative des différents phénomènes à la hausse moyenne du niveau de la mer. Nous sommes ainsi capables de dire que l'accélération constatée est essentiellement due à une accélération de la perte totale de masse des deux calottes polaires, et en particulier du Groenland, que nous pensons liée au réchauffement.

Les satellites nous ont aussi permis de découvrir que la mer ne monte pas de façon uniforme. Dans certaines régions, elle monte plus vite que dans d'autres.

La carte montre, à chaque point de l'océan, la tendance entre 1993 et 2016. Nous voyons bien que dans l'océan austral, et en particulier dans l'Océan Pacifique tropical ouest, le niveau est monté beaucoup plus vite que la moyenne. On peut estimer que lors des vingt-cinq dernières années, pour lesquelles nous disposons de mesures précises, la hausse y a été de vingt-cinq centimètres, ce qui commence à faire beaucoup. Inversement, la mer est montée un peu moins vite en métropole.

Outre-mer, la Polynésie, comme la métropole, connaît une montée des eaux moins rapide que la moyenne. Ce n'est pas vrai en Nouvelle-Calédonie ou à La Réunion, où le niveau monte un peu plus vite que la moyenne. Aux Antilles, la hausse est conforme à la moyenne.

Mais il est important de mentionner que ces observations ne valent que pour les vingt-cinq années passées ; elles ne permettent pas d'extrapoler pour le futur.

À quelle élévation devons-nous nous attendre pour le futur ? Le dernier rapport du GIEC donnait une fourchette comprise entre 40 et 75 centimètres pour les deux scénarios extrêmes. Le scénario de la COP21, qui prévoit une élévation de la température limitée à deux degrés, entraînerait une hausse de 40 centimètres du niveau moyen des mers, tandis que dans le scénario pessimiste, selon lequel nous continuerions à émettre au même rythme qu'aujourd'hui, la hausse serait de 75 centimètres.

Ces deux scénarios correspondent à la zone grisée que vous voyez sur le graphique ci-dessous.

Cette courbe représente l'évolution du niveau moyen de la mer depuis 1800. En bleu, ce sont les données du XXe siècle, en vert les données des satellites des vingt-cinq dernières années. La zone grisée, qui correspond à peu près au dernier rapport du GIEC, est aujourd'hui considérée comme une limite inférieure ; autrement dit, elle est sous-estimée. Des études très récentes suggèrent que l'Antarctique, à lui seul, pourrait contribuer à une hausse de 1 mètre du niveau des mers en 2100. Ces résultats se fondent sur des instabilités dynamiques que nous n'observons pas encore aujourd'hui, mais qui sont possibles au cours des prochaines décennies. Au final, si l'on ajoute des autres facteurs tels que la contribution de la fonte des glaciers de montagne et la dilatation thermique de l'océan, nous arrivons à une fourchette comprise entre 1,5 et 2 mètres.

La carte montre ce que seraient les conséquences d'une hausse de 1 mètre du niveau de la mer, tout à fait plausible d'ici à la fin de ce siècle, sur la Camargue ; dont les zones visibles sur la carte seraient inondées de manière permanente.

Jusqu'à présent, nous avons parlé de la moyenne globale du niveau de la mer. Une variabilité régionale vient s'y superposer. À l'horizon 2100, cette variabilité ne sera pas déterminée par les mêmes phénomènes qu'aujourd'hui. Aujourd'hui, elle est principalement liée à la variabilité naturelle interne du système climatique. Ce facteur continuera bien sûr de produire des effets dans le futur, mais s'y superposera une variabilité régionale due à d'autres phénomènes, négligeables aujourd'hui. En particulier, l'eau issue de la fonte des glaces va se répartir dans l'océan, et comme la Terre est solide, mais pas rigide, les bassins océaniques vont se déformer. Aujourd'hui, ce phénomène est minime, nous ne sommes pas capables de l'observer, nous ne pouvons que le prédire par la théorie ; mais comme davantage de glace va fondre dans le futur, nous nous attendons à ce qu'il devienne important.

La variabilité régionale va ainsi entraîner une amplification de la hausse de la mer dans les tropiques. Si la mer monte en moyenne de 1 mètre, cette hausse atteindra à peu près 1,30 mètre dans toute la zone tropicale. D'autres régions connaîtront une amplification identique, tandis que certaines connaîtront une hausse légèrement moindre.

Ce qui importe, ce n'est pas la moyenne globale ou la variabilité régionale, mais ce qui va se passer au niveau des zones côtières. D'autres phénomènes, dont je n'ai pas encore parlé, vont devenir déterminants. À la côte, ce qui compte est la variation totale du niveau de la mer, qui résulte de la hausse moyenne globale, de la variabilité régionale, des effets océanographiques locaux – liés aux courants côtiers, à l'effet des vagues – et des mouvements verticaux de la croûte terrestre. Or, dans beaucoup de zones côtières, le sol s'enfonce à cause des activités humaines, notamment du fait de l'extraction de l'eau des nappes phréatiques ou de l'extraction d'hydrocarbures offshore. Aujourd'hui, dans de nombreuses mégalopoles, notamment en Asie du sud-est, ce phénomène est bien plus important que la hausse du niveau des mers lié au réchauffement climatique. Tokyo, Bangkok ou Djakarta se sont enfoncées de plusieurs mètres au cours des dernières décennies à cause du pompage de l'eau dans les nappes aquifères. Le sol s'enfonce aussi dans les deltas des grands fleuves.

Les effets océanographiques locaux peuvent être dus à des processus naturels tels que les courants côtiers, l'effet des vagues, l'apport d'eau douce par les fleuves. Ils peuvent aussi être la conséquence d'activités humaines : la construction de barrages sur les fleuves diminue les apports sédimentaires à la côte, le dragage ou le rechargement en sable va modifier la bathymétrie, et ces modifications auront une incidence sur la hausse du niveau de la mer.

Tous ces phénomènes sont encore mal compris à grande échelle. Dans certaines zones, on commence à bien les observer, mais à l'échelle de la métropole ou de l'outre-mer, on ne comprend pas tous ces processus qui interagissent de façon non linéaire. Il y a un grand besoin d'observation et de modélisation, car in fine, l'élément essentiel de l'impact de la hausse du niveau des mers, c'est ce qui se passe à la côte.

Je terminerai en appuyant les propos de M. Éric Guilyardi : il est nécessaire d'observer les zones littorales avec différents systèmes d'observation, en utilisant le spatial et les mesures in situ, et surtout d'intégrer toutes les mesures. Actuellement, il n'existe pas de base de données intégrant les différentes observations utilisables pour vraiment comprendre l'évolution des littoraux, en particulier le rôle de la hausse de la mer à la côte.

Aujourd'hui, nous ne savons pas dire si la hausse de la mer dans les zones côtières est la même qu'au large. L'outil altimétrique est très bien adapté pour étudier l'océan hauturier, mais pour la bande de 10 ou 20 kilométriques le long de la côte, ces mesures sont inutilisables : les échos radar émis par le satellite, qui se réfléchissent à la surface de la mer, sont perturbés par les terres émergées. Tout un programme de recherches doit être mené pour exploiter ces mesures avec des méthodes de traitement radicalement différentes de celles utilisées pour le large. C'est une thématique émergente, de premiers efforts sont menés, mais ils ne nous permettent pas encore d'avoir des observations permettant de dire si la mer monte à la même vitesse à la côte qu'au large.

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