Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis 1804 – la transition est toute faite – , l'oeuvre de Napoléon et de ses rédacteurs, Bigot de Préameneu, Tronchet, Maleville et Portalis, s'est répandue sur tous les continents. De nos jours encore, le code civil rayonne puissamment à l'étranger parce qu'il allie deux principes : il est porteur de valeurs sociales et morales dans lesquelles des continents entiers se reconnaissent ; les solutions y sont dégagées selon la méthode cartésienne, garante de la prévisibilité de la règle et donc facteur de sécurité juridique.
Nous sommes aujourd'hui en concurrence avec la common law. Or de quelle common law s'agit-il ? Il s'agit de ces contrats pesant des dizaines de pages, qui comportent tant de détails que le travail de fond se borne précisément à coordonner et à régler ces détails. Le code civil ne fonctionne pas de cette manière : il dispense de la rédaction de contrats prévoyant tout ; il énonce des règles accessibles à tous ; il fait de la coutume et de l'usage des sources du droit, de sorte que des populations aussi différentes que celles de la Chine ou de la Colombie pourront recevoir une même règle, qu'elles vont ensuite relativiser et adapter selon leurs coutumes et usages. Le code civil est loué au Proche-Orient, en Asie du Sud-Est – où il inspire la Chine, le Vietnam et le Cambodge – , en Afrique francophone et, enfin, dans toute l'Amérique latine.
Le Président de la République souhaite rendre notre pays plus attractif économiquement. Notre droit romano-germanique peut être un atout quand il faut rédiger des contrats d'affaires ou régler les litiges d'investisseurs. Paris est une place d'arbitrage exceptionnelle. Notre code civil constitue l'instrument le plus puissant du soft power français et, pourtant, il ne coûte rien. Nous devons veiller à ne jamais renoncer à cet héritage, à cet avantage concurrentiel qui fait le prestige de la France.
Toutefois, une réforme du droit des obligations s'imposait pour répondre aux besoins nouveaux de la vie en société. On oublie trop que « code civil » signifie « code des citoyens ». Lesdits citoyens ne vivant plus au XXIe siècle comme en 1804, il leur faut des outils adaptés à leur époque. Les textes de 1804, aussi sublimes soient-ils, ne pouvaient pas envisager toutes les situations contemporaines. Le droit vivant se trouve donc en partie hors le code, dans la jurisprudence. Or ce droit hors le code mobilise les efforts des magistrats au point de les submerger alors qu'ils sont manifestement trop peu nombreux. Ce droit hors le code devient inaccessible pour l'étranger, car il lui faut connaître la règle et accéder à la manière dont les juges la font évoluer. Ce droit hors le code devient un handicap sérieux pour l'attractivité de la France. Tout cela avait été expliqué, il y a trente ans déjà, par les doyens Cornu et Catala dans leur avant-projet de réforme du droit des obligations.
L'ordonnance que le présent projet de loi tend à ratifier contient de nombreuses améliorations, qu'il convient de saluer. Le nouvel article 1143 du code civil dispose que l'abus de l'état de dépendance est un vice du consentement pouvant entraîner la nullité du contrat. Les nouveaux articles 1123, 1158 et 1183 prévoient la création d'une action interrogatoire, qui sera notamment appréciable pour les pactes de préférence ; elle permettra de se renseigner sur l'existence d'un tel pacte et sur l'intention du destinataire de s'en prévaloir ou non.
L'application du principe pacta sunt servanda et la force obligatoire du contrat aboutissent quelquefois, avec le temps, à des situations inextricables dans lesquelles le contrat n'est tout simplement plus exécutable. La consécration de la théorie de l'imprévision est donc bienvenue. Une telle disposition n'oblige en rien : elle donne une porte de sortie possible aux parties dans le souci d'assurer la pérennité des affaires.
Enfin, à un moment où de trop nombreuses entreprises sont confrontées à des problèmes de retards de paiement, qui mettent en péril leur activité, les dispositions relatives à l'inexécution du contrat me paraissent importantes. Les nouveaux articles 1217, 1220 et 1223 donnent des marges de manoeuvre au créancier de l'obligation en lui permettant de solliciter une réduction de sa propre obligation, du prix par exemple, ou encore en consacrant l'exception d'inexécution anticipée.
La présente ordonnance est le premier volet de la réforme du code civil. Dans le temps qu'il me reste, j'appelle de mes voeux le second volet de la réforme, relatif à la responsabilité civile. La jurisprudence en la matière a besoin d'être consacrée ; je pense notamment à la notion de lien de subordination entre le commettant et le préposé, au principe jurisprudentiel de la réparation intégrale ou encore à l'amende civile en cas de faute lucrative.
Le présent projet de loi permettra au code civil de devenir le code des citoyens du XXIe siècle. C'est pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à le voter.