Intervention de David Azéma

Réunion du jeudi 8 février 2018 à 11h00
Commission d'enquête chargée d'examiner les décisions de l'État en matière de politique industrielle, au regard des fusions d'entreprises intervenues récemment, notamment dans les cas d'alstom, d'alcatel et de stx, ainsi que les moyens susceptibles de protéger nos fleurons industriels nationaux dans un contexte commercial mondialisé

David Azéma, ancien directeur général de l'Agence des participations de l'État :

Ce dont je me souviens, c'est que l'APE a passé commande, se faisant le maître d'oeuvre, si vous voulez, d'une demande dont la maîtrise d'ouvrage était un niveau au-dessus.

Pour continuer de répondre à votre question concernant l'alliance entre égaux, j'aurai une autre lecture de cette transaction et donc, du produit de la négociation.

Une négociation se fait toujours à plusieurs, chacun s'efforçant d'obtenir le maximum de concessions de la partie opposée. Dans le cas qui nous intéresse, celle-ci se trouvait sous la menace du décret. Il arrive un moment où vous vous dites que la partie adverse n'ira pas plus loin. La question était de savoir si l'on utilise la dissuasion nucléaire ou si l'on trouve un accord.

Cette négociation comportait trois grands thèmes. Le premier chantier était assez classique, mais se trouvait davantage mis en avant que d'habitude : il s'agissait des engagements pris par l'acquéreur vis-à-vis des autorités françaises, dans un cadre politique et administratif – nombre d'emplois nets créés dans le pays, présence des sièges. Cette composante de la négociation était pilotée par l'APE et la DGE – ex-direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services, DGCIS – et très suivie par le cabinet.

Le deuxième volet de la négociation consistait à renforcer encore Alstom Transport : puisque cette partie allait prendre le dessus, autant qu'il soit le plus puissant possible. Nous avons regardé l'activité des locomotives de GE, qui est un énorme producteur de locomotives diesel, avant de rapidement refermer le dossier lorsque nous avons constaté que sa valeur était par trop importante. Nous avons alors forcé la revente par GE de son activité « Signalisation » à Alstom.

La troisième partie de la négociation portait sur les joint ventures (JV) avec les implications que cela comporte en matière de protection des intérêts stratégiques français. Le dossier de la turbine Arabelle était suivi par le ministère de l'industrie, car nous n'étions pas les plus compétents sur ces sujets très techniques. Il s'agissait de protéger les intérêts nationaux tout en maintenant des options pour Alstom. Si le marché des renouvelables avait très bien performé et si Alstom avait souhaité revenir, il conservait un call sur cette partie-là.

Il s'agissait aussi de maintenir de la valeur. Si Alstom Transport est entré dans un accord avec Siemens Mobility sur des valeurs presque équivalentes aujourd'hui, c'est parce que ses puts ont une valeur. Si tout avait été vendu, ces valeurs n'auraient pas été conservées en cash dans Alstom Transport mais seraient peut-être remontées aux actionnaires. Une partie de la valeur de la transaction des JV a été rendue illiquide, si je puis dire ; elle ne pouvait pas remonter. Ainsi, Alstom Transport a conservé une cagnotte. Si j'en crois les annonces, elle lui permettra de contrebalancer la valeur plus importante de Siemens Mobility. Mais on aurait pu imaginer qu'Alstom Transport s'en serve pour faire l'acquisition d'un acteur du secteur pour se renforcer et se consolider.

La négociation sur les JV portait donc sur la protection des intérêts nationaux, notamment s'agissant des turbines Arabelle, et toutes les règles de gouvernance qui s'y attachent. Mais il s'agissait aussi de garder des options ouvertes, afin qu'Alstom ne sorte pas définitivement de l'énergie et puisse y revenir si les circonstances s'y prêtaient. Enfin, il fallait conserver à Alstom, après la transaction, plus de valeur que si tout avait été vendu et que cette valeur était remontée aux actionnaires. Mais cela ne fait pas pour autant un mariage « entre égaux »…

Vous m'avez interrogé ensuite sur le prêt d'actions et l'exercice du call.

Il a fallu beaucoup de temps pour négocier. Un protocole, une forme de mémorandum a permis de stabiliser les termes de la négociation. C'est ainsi qu'un accord a pu être signé entre toutes les parties, Alstom, General Electric et le gouvernement français. Mais cet accord n'était pas détaillé et, par définition, les actions n'étaient pas encore prêtées.

S'en est suivi une très longue négociation pour aboutir au prêt d'actions. À ce propos, je voudrais rappeler une chose concernant l'exercice du call. On l'a complètement oublié, mais notre plan initial était de nous ouvrir la possibilité d'acheter, sur le marché, des titres Alstom, dont la valeur était très inférieure à celle du call. Nous espérions ainsi progressivement « ramasser » des actions afin de constituer une position, sans avoir à la payer au prix du call.

Une circonstance juridique a mis fin à cette option que les négociateurs et les décideurs politiques avaient en tête : l'Autorité des marchés financiers (AMF) a estimé que l'accord entre Bouygues et l'État français était constitutif d'une action de concert. Si l'État avait acheté quelques actions, le seuil de l'OPA obligatoire aurait été franchi et l'État et Bouygues se seraient trouvés dans l'obligation de faire une offre publique à l'ensemble des actionnaires de Alstom. Ce qui, vous l'imaginez, nous a quelque peu dissuadés.

Je dois avouer que nous n'avions pas anticipé cette décision de l'AMF et qu'elle nous a surpris, nos avocats nous ayant assuré que nous n'étions pas en situation de concert. Par la suite, l'AMF, sur une situation assez proche concernant Klépierre, a fait évoluer sa jurisprudence. Mais il ne faut pas oublier que nous avions cette stratégie à l'esprit, et qu'elle a été bloquée par la lecture qu'a faite l'AMF de la relation entre Bouygues et l'État français.

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