Oui, cela a été très long. Je crois me souvenir que, dans ces accords, l'entrée au conseil était conditionnée à la clôture de l'opération avec General Electric. Cela signifie que l'État n'avait pas souhaité entrer au conseil en amont.
Vous m'avez ensuite demandé pourquoi l'État n'a pas exercé ses options. Je ne suis pas nécessairement très bien placé pour faire des commentaires sur ce sujet, car cela fait un certain temps que je n'exerce plus mes fonctions à l'APE, mais je vais tout de même vous donner ma lecture des faits.
La transaction annoncée en septembre dernier entre Siemens Mobility et Alstom a obtenu le soutien du Gouvernement français. À la différence de la situation que l'on avait connue précédemment, le Gouvernement était informé des discussions entre les trois parties, car il siégeait au conseil d'administration. L'État avait aussi la possibilité de bloquer la transaction s'il n'en avait pas voulu. L'opération aurait été tuée si le call avait été exercé : un actionnaire à 20 % peut faire capoter une opération de ce type.
Il faut également se souvenir que Siemens a exploré en parallèle une autre piste, qui était un rapprochement avec Bombardier, le grand concurrent d'Alstom, notamment en France, où il n'existe que deux véritables fournisseurs de matériel roulant. Au demeurant, la notoriété publique de ces discussions était bien plus grande que celles avec Alstom, car il y avait eu des fuites dans la presse à plusieurs reprises. L'alternative était que Siemens parte avec Bombardier, ce qui aurait fait décrocher Alstom. Quant à la menace chinoise, dont il a beaucoup été question, le marché des matériels ferroviaires et de la signalisation se trouve en effet dans l'ombre du gigantesque acteur chinois qui s'est constitué dans ce domaine, mais les circonstances de court terme qui ont poussé à conclure l'accord sont d'abord liées à la perspective d'un deal entre Bombardier et Siemens.
Pourquoi le call n'a-t-il pas été exercé par l'État ? D'abord, le Gouvernement a dit qu'il considérait favorablement l'opération : il n'allait donc pas faire jouer son option et bloquer le deal. Ne pouvait-il pas, néanmoins, exercer le call dans un but purement financier, sans chercher à s'opposer ? M. Bruno Le Maire a déclaré que la transaction ne se serait peut-être pas faite dans ce cas. C'était donc une question de cohérence. Par ailleurs, on se serait trouvé dans la même position que Bouygues, qui s'était engagé à soutenir l'opération et à garder ses titres au moins jusqu'au milieu de l'année 2018. Il ne s'agissait donc pas seulement de réaliser un « aller-retour », opération qui n'aurait d'ailleurs pas été évidente compte tenu du volume d'actions : on aurait au contraire porté un risque pendant six ou huit mois. Or le marché des actions n'a rien à voir avec celui des obligations d'État – on l'a bien vu il y a quelques jours : on peut toujours se dire qu'il y a une importante plus-value à réaliser, à condition d'acheter maintenant et de revendre plus cher dans quelques mois, mais rien n'est jamais garanti en la matière. Je n'ose imaginer dans quelle position se trouverait le successeur de mon successeur s'il se retrouvait avec une perte ou à l'impossibilité de sortir du capital après avoir investi 1 ou 1,5 milliard d'euros d'argent public. Un gestionnaire de fonds privés peut « prendre sa paume », comme on dit : il « coupe » sa perte, car il ne sait jamais jusqu'où la situation peut aller. En revanche, j'ai connu des circonstances où l'on a considéré qu'il ne fallait pas vendre un titre, que je ne citerai pas, pour ne pas afficher une petite moins-value et passer pour un mauvais gestionnaire de deniers publics.
C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est difficile pour la puissance publique de se comporter comme un actionnaire : elle n'a pas la même rapidité d'intervention et elle se trouve exposée à tous les regards, alors que personne n'ira examiner ligne après ligne si un gestionnaire de fonds a réalisé des plus-values : on prendra en considération le résultat global.